Des phrases à méditer.

Quelques petits extraits de textes littéraires glanés au fil de mes lectures :

Ma phrase préférée :

« De deux choses l’une, permettez : ou bien on révise, j’accepte, mais on ne change rien; ou bien, on ne révise pas, j’accepte! Mais alors on change par-ci, par-là, dans les points essentiels. Il n’y a pas à sortir de ce dilemme… J’ai dit! »

Phrase d’un personnage de Ion Luca Caragiale, auteur dramatique roumain (1852-1912), traduction française dans I. L. Caragiale, Théatre, L’Arche, Paris, 1994.

« On en finit même avec la semaine, si bien réglée: à présent, on imposait les ‘cinq jours continus’, les membres d’une même famille  avaient des jours de repos différents, le dimanche commun à tous  fut liquidé. Le temps s’était lancé dans une telle course ‘en avant’ qu’il en avait perdu son visage, cessant pour ainsi dire d’être. »

Tiré d’Alexandre Soljénitsyne, Nos jeunes, Paris, Fayard, 1997 (Livre de Poche, 2008, p.75).

« Et sous l’impulsion de Thorel, la respectable feuille, traditionaliste et digne, un peu collet-monté, se transforma en un journal abondant, épais, copieusement illustré, rehaussé d’annonces et de photos suggestives, parsemé d’articles gais, faciles, montant en épingle les crimes croustillants, vivant du scandale et des turpitudes, adoptant un plat conformisme à l’égard de tous les ministères et de tous les partis. « Gouvernemental », disait Thorel. Un de ces organes qui abaissent le public par leur veulerie, leur facilité, leur écœurante promptitude à flatter ses goûts, sa paresse, à lui épargner par l’image jusqu’à l’effort de lire, à ne traiter de ce qu’il aime, sports, spectacles, actrices et vedettes, crimes, affaires de mœurs et affaires policières… A côté, un loyalisme hypocrite à l’égard de la République, de l’armée, et du clergé (…) Il avait sur tous les autres cet avantage considérable d’être dépourvu d’opinion et de pouvoir être lu par tout le monde parce qu’il flattait la masse pour en vivre. »

Tiré de Maxence van der Meersch, Invasion 14, Paris, Albin Michel, 1935 (éd. 1950, p. 75).

Comme le soleil brillait à l’est sur la falaise blanche

J’entendis une voix venant du sud et qui criait :

Que la malédiction soit sur l’Angleterre,

blanchie à la chaux

ainsi qu’une tombe

mais noire dedans

noire comme la suie,

comme une barge à charbon

ancrée entre la mer du Nord et l’Atlantique.

Malédiction sur toi, île de marchands,

sur toi et ton esprit de lucre!

Que soit maudit lord Beaconsfield

qui au nom de l’humanité et de l’amour

régla en boutiquier

le conflit Orient-Occident.

Malédiction sur ta sainte Eglise

et tes vraies femmes

buveuses de thé et tricoteuses de chaussettes!

Malédiction sur tes éditions Tauchnitz et leurs romans,

tes sectes et tes armées du salut!

Moi venu du nord, je répondis :

Albion, blanche comme la suie!

Même si tes péchés sont rouges

comme le rosbif

même si ton cœur est noir

comme l’anthracite,

moi l’exilé, moi le fort,

dans ton gisement de craie marine

je prends de quoi rayer d’un trait

sur le grand tableau noir

ta grande dette;

non pas que je sois dupe

de ton excellente Pale Ale

ni de tes lames de rasoir;

je te pardonne tes péchés aux Indes,

tes crimes en Afrique

et tes forfaits irlandais;

Angleterre, je te pardonne,

non pas pour toi-même,

mais pour vous,

Dickens, Darwin, Spencer, Mill!

Extrait d’Exil d’ August Strinberg, traduit par Jean-Clarence Lambert, Anthologie de la poésie suédoise. Des stèles runiques à nos jours. Nouvelle édition revue et augmentée, Paris : Somogy/Unesco, 2000 (1ère édition, Paris : Seuil/Unesco, 1971), p. 199-200 (la date de publication originale de cet extrait n’est pas  précisée).

5 réponses à “Des phrases à méditer.

  1. J’aime bien la 2ème citation, tellement vraie cette description d’une course en avant, effrénée…

  2. Je préfère Christopher Lasch …La révolte des élites.

  3. J’aime bien la 2ème citation, tellement vraie cette description d’une course en avant, effrénée…
    +1

  4. bonjour, je découvre votre blog acheminé depuis Mediapart
    autant j ‘ai beaucoup apprécié votre article autant vos citations sont mortifères , pourquoi tant de délectation dans le morbide ? Je préf§re écouter René Char, René Queneau, André Breton etc….de grâce !

    • @ Samarkande : Vous découvrez ainsi un trait de mon caractère bien connu de mes collègues, amis et étudiants : mon pessimisme foncier. Cela ne m’empêche pas d’apprécier la vie, bien au contraire, et les poètes que vous citez sont évidemment de bon remèdes au désespoir. On pourrait citer aussi tous les auteurs de haïkus.

      Bien à vous en ces temps troublés.

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