Je me fais de plus en plus rare dans ses parages, et il sera bientôt temps de fermer boutique complètement. 2027 approche en effet, et ce sera bientôt le temps de l’exil intérieur.
Cependant, je profite de l’existence de ce blog pour faire ici un plaidoyer pour la plus large diffusion dans la langue française du terme d’assumisme.
En effet, ce mot, qui a été déjà inventé au XIXème siècle, mérite d’être érigé au rang de concept descriptif de notre réalité présente, tant nos dirigeants actuels usent, et surtout abusent, de la formule magique à leurs yeux pour clore tout débat: « J’assume. » La répétition de cette formule est devenue tellement courante dans le langage présidentiel, et aussi dans celui du nouveau Premier Ministre, Gabriel Attal, que des journalistes de Libération ont fait récemment la promotion du terme d’« assumoir » à propos du tournant d’Emmanuel Macron vers des propositions en matière d’immigration portées jusqu’ici par l’extrême-droite. Ce dernier terme a bien sûr l’avantage d’évoquer phonétiquement l’assommoir à la Zola. Je plaide ici cependant pour l’assumisme, qui possède le mérite de bien souligner qu’il s’agit chez nos gouvernants d’une caractéristique durable et fondamentale chez eux, de quelque chose de systématique.
L’expression « J’assume » (ou « J’assume de… ») est en principe l’expression d’une prise de responsabilité, pour un acte, une décision. Une prise de responsabilité suppose que celui qui dit « J’assume » accepte aux yeux du monde d’être tenu ensuite comptable des conséquences proches ou lointaines de cet acte ou de cette décision, et d’en récolter blâmes ou louanges, sanctions ou récompenses. C’est donc plutôt une expression positive dans le cadre de la morale commune. Or, dans l’usage qui en est fait actuellement par nos gouvernants, le terme a fini par prendre deux sens bien moins recommandables. Le premier, le plus évident, correspond à un bras d’honneur langagier, à toute personne qui s’opposerait de quelque façon à la (rationnelle et sage) décision du (grand et magnifique) leader. C’est la simple expression de la force, l’équivalent de « De toute façon, vous (opposants irrationnels et bêtes) n’avez pas les moyens (physiques ou légaux) de m’empêcher de faire ce que j’ai décidé de faire ». C’est dans la vie quotidienne le « J’assume » du conducteur d’un poids-lourd face à un cycliste demandant la priorité à un carrefour, c’est dans l’histoire du dernier siècle le « J’assume » de Benito Mussolini, d’Adolf Hitler, ou plus récemment de Vladimir Poutine.
Mais il existe aussi un second sens, encore plus inquiétant à mon sens. Dire « J’assume » pour nos dirigeants, c’est dire de plus en plus : « Oui, je sais bien ou je devrais savoir que toutes les preuves scientifiques ou tous les arguments rationnels donnés par des gens désintéressés et dignes de foi vont contre la décision que je vais prendre pour satisfaire mes lubies ou bien les demandes de quelque lobby bien en cour, je sais bien ou je devrais savoir que les conséquences de cette décision vont être mauvaises pour la collectivité que je dirige actuellement, mais je n’ai pas envie d’en discuter plus avant, car tel est mon bon plaisir ». C’est le « J’assume » du roi Louis XIV révoquant l’Édit de Nantes – sans doute une des pires erreurs qu’un dirigeant français du dernier millénaire ait pu faire -, ou celui de notre pouvoir actuel décidant en cette année 2023 de jeter par dessus bord la santé publique, la biodiversité, l’alimentation en eau potable, et l’agriculture biologique, etc. pour complaire aux lobbys FNSEA/agro-industrie/chimie. La différence avec le temps de Louis XIV est que bien sûr ce roi très chrétien ne disposait pas de tous les instruments développés depuis lors par les sciences modernes, dont les sciences sociales, pour prévoir avec quelque justesse la conséquence de certaines actions de sa part. Il y avait des excuses dans son aveuglement. Le mépris de nos gouvernants de l’heure pour les avertissements ou conseils donnés par les scientifiques n’en apparait alors que plus remarquable, et, à la fin, ces mêmes faux naïfs qui nous gouvernent, de s’exclamer face aux conséquences arrivant avec une régularité d’horloge suisse, « Qui aurait pu prévoir? ». En effet, élément remarquable de ce second quinquennat, nous en sommes aussi clairement arrivés au moment où les conséquences des décisions prises depuis 2017 (voire 2012 si l’on se souvient du rôle d’E. Macron auprès de F. Hollande) s’inscrivent dans le réel : crise de l’école, crise des médecines de ville et hospitalière, crise du logement, insécurité, etc. Et, là, bien sûr, il est hors de question pour nos gouvernants, pour E. Macron, de prendre la responsabilité de quoi que ce soit. Ainsi, nos gouvernants ne cessent de dire « J’assume » pour les décisions présentes et n’assument jamais leurs responsabilité pour leurs décisions passées.
De ce second point de vue, c’est surtout la fin de toute possibilité de discussion un peu rationnelle et argumentée sur les politiques publiques à mener. La décision politique devient alors un mélange entre un néo-corporatisme qui favorise les intérêts de certains lobbys bien installés au détriment de tous les autres citoyens et des lubies très semblables au « bon plaisir » d’un monarque.
Le premier aspect ne surprend nullement la science politique. L’omniprésence de l’assumisme, qui revient en fait souvent à acter publiquement que le pouvoir ne dispose pas d’arguments rationnels vraiment crédibles à l’appui de sa décision, tient sans doute au fait que, en étudiant rationnellement les divers problèmes auxquels nos sociétés sont confrontées, des bifurcations seraient à prendre. Or ces réorientations radicales de certaines politiques publiques heurtent tellement des intérêts bien établis qu’il vaut mieux clore là toute discussion. L’assumisme, c’est en somme l’exact inverse de la délibération rationnelle à la Habermas. Toutefois, cela ne va pas jusqu’à défendre publiquement une réalité alternative. En somme, l’assumeur va autoriser sans état d’âme la construction d’une nouvelle autoroute ou la mise en service de nouveaux puits de pétrole, il assume, mais il ne va tout de même pas aller prétendre haut et fort que le réchauffement climatique d’origine anthropique n’existe tout bonnement pas ou qu’il s’agit d’une très bonne chose. Cette hypocrisie, ce double langage, est particulièrement irritant en ce qu’il donne l’impression qu’on se moque là de toute cohérence.
Au côté de cette défense et illustration des lobbys les plus installés, il ne faut pas sous-estimer par ailleurs un second aspect, l’aspect « bon plaisir » des décisions actuelles. Ainsi, le SNU et l’uniforme à l’école constituent actuellement les deux marqueurs les plus évidents de cette nouveauté du règne de celui qui se prend apparemment pour Emmanuel Ier. Du point de vue de l’augmentation de l’attachement des jeunes générations au pays ou de celui de l’amélioration des performances scolaires, comme le montrent par avance les acquis de la recherche, ces deux mesures ne servent strictement à rien. On aura aussi bien du mal à trouver un lobby constitué à l’origine de ces décisions. Difficile d’expliquer qu’il s’agit là d’une demande du secteur textile français pour vendre cher sa camelote, ou des loueurs d’espace de loisir capables d’accueillir des jeunes pendant leurs séjours du SNU … On constatera certes que, dans une perspective de communication politique, de telles décisions peuvent flatter l’idiotie, pour ne pas dire la sénilité acariâtre, d’une part de l’électorat âgé et conservateur, mais, vu le coût aberrant de telles mesures pour les finances publiques, il y a là comme une contradiction avec les demandes anti-fiscales de ce même électorat. Du point de vue de la popularité du pouvoir en place auprès des personnes âgées, ne vaudrait-il pas mieux abandonner le SNU et l’uniforme à l’école et ne pas leur faire payer désormais une franchise de 1 euro par boite de médicaments (pour 50 centimes jusqu’ici)? Il est vrai que promettre de (re)dresser les jeunes peut avoir un effet bénéfique sur l’esprit de certains seniors qui vaut sans doute une hausse du reste à charge sur leurs remèdes favoris. Il reste que, même en adoptant un point de vue conservateur, réactionnaire, ou même fascisant, il y avait sans doute mieux à faire avec cet argent public (des places de prison ou la création d’un mouvement de jeunesse paramilitaire par ex.).
L’assumisme comme terme entend aussi rendre compte de cette dérive vers le n’importe quoi dans bien des aspects du pouvoir actuel. Le sempiternel ‘J’assume’ lui permet de faire mine de ne pas voir toutes les contradictions qu’il a semé depuis 2017. La très prochaine panthéonisation des époux Manouchian me parait comme l’apogée tragi-comique de ce n’importe quoi. Le Président qui va amener immanquablement désormais le RN au pouvoir en 2027 par la légitimation qu’il lui aura donnée et par ses choix en matière de politiques publiques depuis 2017 aura donc rendu hommage à l’antithèse en acte des idées du RN sur la nation, à des métèques patriotes! Et là encore, il va assumer, assumer, assumer. Par contre, on le sent déjà, notre Emmanuel Ier n’est guère prêt à assumer la victoire du RN en 2027, cela sera là bien sûr la responsabilité d’autres que lui, de ses alliés, de ses ministres, des oppositions, des médias, des universitaires, des entreprises, de l’Europe, etc.
En tout cas, citoyennes et citoyens, j’assume moi-même ce post, et que vive l’assumisme comme définition du macronisme!