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Bilan (personnel) des départementales 2015 : la routine (éternelle?) de la Ve République.

Dans la métropole de Lyon, nous n’étions pas invité à voter pour les départementales de mars 2015, puisque ici les compétences du département et de l’intercommunalité ont été dévolues depuis le 1er janvier 2015 à l’assemblée intercommunale élue l’année dernière à travers les municipales. Je n’ai donc pas pu suivre en direct une campagne départementale, et je n’ai eu finalement accès qu’aux résultats de ces départementales tels qu’ils ont été diffusés par les médias nationaux.

Contrairement aux commentateurs qui en ont souligné les nouveautés (parité, percée du Front national au premier tour, implantation nationale de ce dernier, effondrement de la gauche en général, etc.), je reste frappé par la normalité des résultats si on les examine dans la perspective longue de la Vème République.

Premièrement, comment ne pas voir qu’il s’agit d‘élections intermédiaires classiques désormais pour une Vème République complètement incapable depuis la fin des « Trente Glorieuses » de mener des politiques publiques qui satisfassent des majorités durables d’électeurs ? Comme d’habitude, en particulier avec le chômage de masse qui persiste et embellit depuis des lustres,  le camp gouvernemental se prend une rouste (méritée), et l’opposition classique (en l’occurrence la droite républicaine) l’emporte (sans grand effort). L’alliance partisane UMP-UDI-Modem gagne en effet très largement l’élection en voix (33,3% des suffrages exprimés selon les calculs des collègues de Slowpolitix). La droite (y compris les divers droite) l’emporte largement en terme de sièges de conseillers départementaux (plus de 2400), et en terme de présidences de départements (67 sur 98). Le rapport de force droite/gauche à ce niveau est ainsi complètement inversé.  C’est d’autant plus remarquable qu’il y a quelques années, dans une conjoncture similaire pour les forces soutenant le gouvernement en place, des commentateurs de droite pleuraient dans le pages du Monde sur l’implantation locale perdue de la droite et du centre, et n’y voyaient pas de remède. Il suffisait pourtant d’attendre le retour du balancier. Quod demostrandum erat. Du coup, attribuer à l’action de Nicolas Sarkozy himself cette victoire constitue une affirmation bien héroïque à tous les sens du terme, elle résulte surtout du traditionalisme de l’électorat français -en fait du traditionalisme de la (toute petite) majorité de votants parmi les inscrits!  N’importe quel leader de la droite aurait sans doute gagné cette élection départementale. Ceux des électeurs qui se déplacent pour voter ne sont de toute façon pas prêts dans leur majorité pour essayer des nouveautés. Pas d’aventurisme surtout.

Deuxièmement, dans le camp de la gauche, si l’on observe le nombre de conseillers départementaux élus et encore plus les présidences des départements conservés (ou gagné), comment ne pas être frappé par la prééminence maintenue du PS? Même à cet étiage bas, le PS dispose encore selon les calculs des Décodeurs du Monde d’un peu plus de 1000 conseillers départementaux, alors qu’EELV plafonne à 48,  le PRG à 65 et le FG (PCF et PG) à 156.  Selon les collègues de Slowpolitix,  la proportion de voix obtenus par les partis situés à la gauche du PS au premier tour serait de 10,1% des suffrages exprimés, alors que le PS serait lui à 24,7%.  Les candidats du PS auraient donc réussi à mobiliser en leur faveur un électorat près de deux fois et demi plus important que celui de ses alliés (habituels) à gauche. Il reste en fait le seul parti de gauche à avoir un maillage territorial important (même s’il y a désormais des conseils départementaux d’où il est absent ou marginalisé), et presque le seul à conserver des présidences de conseils départementaux. Selon les calculs des décodeurs du Monde, le PS serait même le parti de gauche où le taux de survie des sortants se représentant serait le meilleur! 61% des sortants socialistes se représentant auraient retrouvé leur siège, contre seulement 46% des anciens élus divers gauche, 56% des élus communistes et 55% des radicaux de gauche. Les élus EELV qui se représentaient n’auraient été que 6 sur 22 à revenir siéger dans l’arène départementale, et les élus FG (non-PCF) seulement 4 sur 12. De fait, la modération du PS, autrement dit le fait de se situer à la droite de la gauche, lui permet de continuer à dominer de très loin les autres partis de gauche en terme d’élus départementaux. Dans la perspective de la « reconstruction de la gauche » après sa (à ce stade très probable) éviction (probablement fort méritée) du pouvoir national en 2017 (si le quinquennat va à son terme naturel), cette donnée – la prééminence de la gauche (très) modérée au niveau des élus locaux –  continuera à jouer à plein. Les autres partis de gauche connaissent eux, soit la poursuite de leur interminable déclin  (comme pour le PCF qui ne préside plus qu’un département), soit une implantation locale toujours très limitée et le plus souvent dépendante du bon vouloir du PS lui-même (EELV en particulier, qui lui ne préside toujours aucun département à ce jour).

Troisièmement, contrairement à l’image qu’en ont donnée les médias, il faut souligner que, envisagé du point de vue stratégique, le FN s’est pris lui aussi une rouste lors de ces départementales. Certes, il fait au premier tour de l’élection départementale son meilleur score pour ce qui concerne une élection locale (25,7% des suffrages exprimés toujours selon les collègues de Slowpolitix), mais, au second tour, c’est globalement la branlée. Il réussit certes à obtenir beaucoup plus d’élus qu’auparavant (68, il n’en avait que deux), mais il se fait battre dans la plupart des cas quand il s’avère présent au second tour. La logique du scrutin majoritaire à deux tours – au premier tour, on choisit, au second tour, on élimine – fonctionne donc encore à plein à son détriment. Et cela vaut aussi en cas de triangulaire : toujours selon les décodeurs du Monde, les binômes FN ne remportent que 5 triangulaires sur les 273 auxquels ils ont participé, soit un taux de succès (misérable) de 1,8%.  Cette logique, qui vaudrait d’ailleurs pour tout parti se situant à une extrême du système politique se retrouvant dans la même situation, est renforcée, d’une part, par l’absence totale de parti allié du FN qui soit de quelque importance (les autres partis d’extrême droite aurait recueilli, 0,1% des suffrages exprimés, et encore je parie que le gros de ces voix concernent le rival de la « Ligue du sud » de Bompard & Cie),  d’autre part, par la médiocre éligibilité des binômes proposés par le FN à l’attention des électeurs. Le Monde a publié un article cruel sur une candidate FN dans l’Aisne, soulignant à quel point le FN manque d’éligibles même là où il dispose a priori d’électeurs. Certes, il semble qu’une partie des électeurs de la droite le rejoignent en cas de duel FN/gauche, mais ce transfert de voix n’est pas appuyé par une consigne partisane en ce sens, encore moins par une alliance en bonne et due forme. Le FN peut bien se glorifier d’être (en suffrages exprimés) le « premier parti de France » (aux européennes de 2014), il reste le vilain petit canard de la politique française avec lequel personne ne veut patauger. Ce constat n’est sans doute pas étranger à la crise  au sein du FN autour des déclarations de J.M. Le Pen dans les jours qui ont suivi ces résultats. De fait, si aucun parti ne veut s’allier dans le futur avec le FN, ce reniement du fondateur par la direction actuelle du FN, dont sa propre fille,  ne servira pas à grand chose. En effet, s’il veut l’emporter, s’il reste sans allié, le FN doit nécessairement  être majoritaire à lui tout seul. Or, dans un scrutin majoritaire à deux tours comme les départementales, ce seuil lui est en l’état présent des rapports de force la plupart du temps inaccessible. En principe, les régionales lui sont un peu plus favorables, puisqu’au second tour, une majorité relative suffit pour emporter une région. Cela reste toutefois à vérifier, et ce mode de scrutin des régionales pourra toujours être modifié par les autres partis largement majoritaires à l’AN et au Sénat si besoin est s’il permettait trop souvent au FN d’accéder seul aux responsabilités régionales (ce qui a été déjà fait en 2004 suite aux élections régionales de 1998). En somme, le seul espoir pour le FN solitaire d’accéder au pouvoir  demeure l’élection présidentielle – et en imaginant que des (r)alliés viennent ensuite à la soupe une fois la victoire présidentielle acquise pour assurer une majorité parlementaire permettant de gouverner ensuite. Les départementales de 2015 tendraient pourtant à indiquer qu’il s’agit d’un espoir bien ténu. Le FN reste un tiers exclu de la politique française – tant que personne ne lui ouvre la porte.

Quatrièmement, au total, est-ce qu’on ne doit pas constater surtout l’inertie du système politique français? Nous sommes pourtant dans une crise économique majeure, le chômage est au plus haut, les sondages d’opinion montrent une insatisfaction massive de l’opinion envers les politiques, l’abstention persiste et signe, mais, finalement, pas grand chose de nouveau ne se passe. L’alternance régulière entre la droite républicaine et la gauche continue à s’effectuer, sans que le FN – qui occupe pourtant tant les médias  aux deux sens du terme – perturbe le jeu politique tant que cela. Il n’a même pas réussi à conquérir une présidence de département, et il n’a même pas réussi à bloquer par sa présence même le moindre conseil départemental. E la nave va.

Par ailleurs, aucune autre force politique alternative que le FN n’émerge au niveau national, en particulier à gauche, comme le note plus généralement le collègue Fabien Escalona, spécialiste des gauches européennes, sur Slate.  On reste toujours dans cette atonie de la gauche de gauche observable en France par comparaison depuis 2010 au moins – en dehors du feu de paille Mélenchon aux présidentielles de 2012. En effet, je veux bien que la situation grenobloise soit un signal important avec la victoire dans deux cantons de binômes du « Rassemblement citoyen » soutenant l’actuel maire de Grenoble, mais cet événement ancré déjà dans une longue histoire de la ville des Alpes  ne correspond pas à un bouleversement des rapports de force nationaux au sein de la gauche. Ce phénomène général d’inertie s’est trouvé sans doute renforcé par la caractéristique même de ces élections départementales. En effet, malgré leur nationalisation due à leur organisation en une seule fois sur la France entière, ces départementales restent destinées à désigner des élus locaux, dont les compétences (un peu floues en plus ces temps-ci…) ne sont susceptibles de mobiliser sur le fond des politiques publiques concernées qu’une part limitée des électeurs. La part de notabilité locale dans chaque élection n’est sans doute pas non plus à négliger – contrairement d’ailleurs à ce qu’avait pu faire penser le redécoupage des cantons et l’introduction des binômes paritaires. Surtout, dans ce résultat finalement si banal (en particulier si l’on observe « qui gagne à la fin »),  j’ai du mal à ne pas voir  le rôle central du mode de scrutin majoritaire à deux tours. En effet, ce scrutin oblige un parti nouveau qui veut avoir des élus, soit à attendre d’être à soi seul  majoritaire – ce qui n’a jamais pris qu’une bonne quarantaine d’années à un FN fondé tout de même en 1972… et encore le compte n’y est pas encore -, soit à s’allier avec plus centriste que soi, et donc à risquer de ne pas apparaître « nouveau » très longtemps aux yeux des électeurs. Pour prendre un exemple (facile, trop facile), avec ce que synthétise un personnage comme le sénateur Jean-Vincent Placé,  un parti comme EELV réussit à sembler aussi vieillot que le radicalisme de gauche, de droite ou du centre réunis, sans même en avoir l’histoire sénescente pour excuse.

Si les départementales avaient été organisées sur un autre mode de scrutin, proportionnel par exemple, les dynamiques observées auraient été sans doute différentes. Des partis comme DLF (Debout la France) ou Nouvelle Donne auraient eu leur (petite) chance. Pour l’heure, malgré les bruits qui courent d’un coup à la Mitterrand de F. Hollande en ce sens,  il faudra nous en passer sauf sous forme d’ersatz cache-misère, car le scrutin majoritaire à deux tours demeure trop bien favorable aux deux partis dominants, l’UMP et le PS, et à leurs annexes directes, l’UDI et le PRG, pour qu’ils décident d’un coup de s’en passer. Il n’est que d’observer leur presque parfaite harmonie quand il s’agit de légiférer ces jours-ci sur le renseignement au détriment des libertés publiques pour mesurer le caractère commun de leurs « intérêts professionnels ». Aucun des responsables de ces partis n’imagine même qu’ils pourraient être un jour durablement cantonnés dans l’opposition et en proie à un pouvoir devenu par malheur tyrannique et usant des outils qu’ils mettent en place.  Ils sont le pouvoir, et ne sauraient donc craindre ses abus. CQFD.

On sent déjà du coup le triste scénario pour 2017. Probablement, Marine Le Pen, candidate du seul FN, sera au second tour – sauf si les diverses affaires qu’on voit monter ces derniers temps la concernant auront réussi d’ici là à faire place nette de sa personne. Sauf bouleversement économique ou géopolitique (inimaginable à ce jour?), elle sera pourtant battue par n’importe quel candidat « républicain », de gauche ou de droite, qui ralliera une majorité (âgée et/ou éduquée) de citoyens craignant les aventures. On ne fait pas la (contre-)révolution par les urnes dans une maison de retraite qui, quoique décrépie, arrive encore à servir des repas encore tièdes, si ce n’est chauds, à la plupart des résidents. Cela va aviver les batailles à droite et à gauche pour être ce candidat « républicain », mais cela n’apportera rien de neuf en matière de réorientation générale des politiques publiques, parce qu’aucun des deux camps ne peut d’évidence se renouveler de l’intérieur, parce qu’aucun ne constitue plus depuis longtemps un vecteur portant un ou des mouvements sociaux défendant des besoins actuels des citoyens. Le système politique de la Vème République est bloqué, et bien bloqué, et ce ne sont pas à en juger par ces départementales les électeurs eux-mêmes qui risquent de le débloquer.

Et comme symbole de tout cela, un réacteur EPR à x milliards d’euros qui se moque de nos présomptions à la maîtrise technologique.

 Ps. Allez lire aussi l’excellent entretien avec mon collègue Pierre Martin, qui va plus en détail dans le cambouis électoral que je ne saurais le faire.  Nos conclusions se rejoignent, en particulier sur le FN. Selon P. Martin, le FN reste une « force impuissante » : « La conclusion est cruelle pour le FN : le PS et l’UMP conservent le quasi-monopole de la capacité à offrir des carrières politiques attractives. C’est un échec important pour la stratégie de Marine Le Pen et un facteur de crise pour ce parti car ceux qui espéraient trouver dans le FN l’opportunité d’accéder à des carrières politiques ont presque tous échoué. »  Une question accessoire se pose alors : si cette analyse du blocage du système politique français se répand largement dans l’opinion, que peut-il se passer? Est-ce que l’opportun (?) retour de l’idée du vote obligatoire n’a pas à voir avec ce constat dérangeant qui pourrait être (un peu trop) partagé?

« Gangs of RPR », le retour?

Certains de mes lecteurs se rappelleront peut-être de l’hilarante série de sketches de la part des « Guignols de l’Info » dans les années de la lutte homérique entre Balladur et Chirac. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens venir le remake, et comme tous les remakes, je trouve cela plutôt lassant.

D’une part, notre cher Jean-François Copé, ci-devant leader de l’UMP, est victime d’une cabale de la part de ce brûlot de l’ultra-gauche qu’a toujours été le Point, bien connu pour son engagement mao-spontex et ses pétroleuses. Il faut dire que le brave Copé dans sa réponse d’hier matin aux allégations du Point  a réussi à démontrer encore une fois qu‘il existe une exception française, en politique tout au moins. Tout ce que nous a appris le Point et qui n’est pas discuté par Copé lui-même aurait sans aucun doute conduit un politique de l’Europe du nord que ce même Copé admire tant sous son espèce germanique à une rapide démission de son poste de chef de parti. Rien de tel ici. J’y suis, j’y reste, et n’en sortirais que par la force des baïonnettes. En plus, notre grand politique à la française invente la mise sous scellés des documents comptables de son parti jusqu’à une possible réforme de la législation de le vie politique, soit jusqu’aux calendes grecques en somme, et le tout au nom de la transparence. Personne n’est trop surpris en fait de tant de courage, mais il ne faudra pas non plus s’étonner après de la faible cote de confiance de la classe politique auprès des Français.

D’autre part, le Canard enchainé publie apparemment demain des verbatims supposés de conversations qui se seraient tenues autour de Nicolas Sarkozy du temps de sa Présidence. Celles-ci correspondraient à des cassettes pirates, des bootleg tapes, qui auraient été faites par le conseiller Patrick Buisson à l’insu du  brave Président – peut-être pour pouvoir écrire dans quelques années, son « Sarkozy m’a dit », son « C’était Sarkozy », son « Verbatim » à lui (Après tout, Buisson est historien à ce que j’en ai compris). Quoi qu’il en soit des raisons premières de ces enregistrements s’ils existent vraiment, à qui le crime profitera à ce stade de l’affaire, on verra bien. Cela sera bien sûr « abracadabrantesque », comme d’habitude en de telles circonstances, si l’on venait d’aventure à y découvrir des choses qui manqueraient à la décence de la part de l’ancien Président. En même temps, je ne suis pas sûr que cela n’ajoute pas à sa légende en fait. Si ces supposés enregistrements devaient nuire à quelqu’un, c’est bien plutôt aux autres personnes enregistrées à leur insu, et à celui qui se serait permis de faire cela.

Quoi qu’il en soit, il y aurait comme de l’ambiance à l’UMP et alentours. Cela doit être les résultats de l’infiltration socialo-communiste qu’ils subissent depuis quelque temps. Pour l’instant, pas de révélation de la part d’un cheval de Bayrou sur son patron? Ouf, on est sauvé!

(A part ça, en Ukraine…)

Jusqu’ici tout va bien… pour le PS.

L’élection législative partielle dans l’ancienne circonscription de Jérôme Cahuzac  s’est donc très bien déroulée au total pour le candidat du PS.  Il arrive tout de même troisième! Il a conquis pas les suffrages de pas moins de 10,35% des inscrits de la circonscription de Villeneuve-sur-Lot, soit 23,76% des suffrages exprimés. Pas si mal. Le candidat de l’UMP fait 12,54% des inscrits et 28,80% des exprimés, et le candidat FN fait 11,37% des inscrits et 26,11% des exprimés. Bien sûr, le PS subit une hémorragie en voix par rapport à 2012, et  le candidat du PS est sèchement éliminé du deuxième tour, comme il se doit avec un tel niveau d’abstention établi à 54,28% (sans compter un niveau de blancs et nuls de près de 5% parmi les votants).

Pourtant, tout va très bien, dans cette circonscription le PS reste malgré tout le grand parti indépassable de la gauche. Ni le « Front de gauche » (5,10% des exprimés) ni bien sûr les « Verts » (2,79% des exprimés) ne sont sur le point de le remplacer là-bas dans le cœur de l’électorat de gauche. Surtout, le PS ne tombe pas comme une pierre. Il n’est pas (encore?) à 5% ou moins des exprimés.

Ma réaction vous étonne? Simplement, je me permets de comparer implicitement la situation du PS avec celle du PSI (Parti socialiste italien) dans les années 1990. J’ai vu la mort électorale de ce parti, où il est passé en quelques mois au début des années 1990 de 15/13% des voix à 2/1%, pour ne plus jamais dépasser ensuite cet étiage lors de ses diverses tentatives de réincarnation. (Et il y en a eu, un vrai roman.) Je pense aussi à la mort électorale des socialistes polonais et hongrois, tout aussi brutale.

Pourquoi une comparaison avec le PSI?

Parce qu’en l’occurrence, s’il y a dû y avoir une législative partielle, c’est suite à l’affaire Cahuzac, magnifique exemple de corruption et d’arrivisme des élites socialistes de ces dernières années.  Pour voter le candidat du PS à Villeuneve-sur-Lot, il fallait bien différentier l’homme Cahuzac et le PS – pour ne pas voter aussi d’ailleurs, puisqu’il y a eu, semble-t-il, une candidate fantaisiste pro-Cahuzac. En pratique, cela veut dire que la marque PS est encore dissociée par une partie des électeurs de cette circonscription de la corruption avouée d’un de ses membres éminents. En Italie, à un certain moment (entre le printemps et l’automne 1992), le mot même de « socialiste » est devenu pour l’immense majorité de l’électorat un synonyme de « corrompu », et le beau mot de « socialisme » ne s’en est jamais remis (encore en 2013). Il est d’ailleurs intéressant de ce point de vue que le PS ait choisi de présenter son candidat et n’ait pas essayé de se cacher derrière une candidature unitaire d’un Monsieur Propre venu d’un autre parti de gauche.

Parce que la situation économique de la France (comme de l’Italie au début des années 1990) est pour le moins mauvaise (euphémisme) : chômage record, croissance nulle, et pouvoir d’achat stagnant ou en régression. Un candidat pro-gouvernemental n’a donc pas grand chose à faire valoir auprès de l’électeur comme bilan après un an de gouvernement de la gauche.

Donc, pour le moins, les vents étaient contraires au candidat du PS, et pourtant il fait tout de même un petit quart des suffrages exprimés, et le reste de la gauche n’est visiblement pas en état de modifier le rapport de force interne dans ce camp.

Donc j’en conclus que tout va bien pour le PS : il va continuer à perdre toutes les élections à venir, mais il restera la force à laquelle la majorité de l’électorat de gauche (en tout la partie qui va voter) s’identifie. En conséquence de quoi, une fois renvoyé dans l’opposition, ce qui ne manquera pas de se produire au train où vont les choses,  il pourra repartir à la conquête du pouvoir.

Hallal-follies!

Quand, lors de la revue de presse hebdomadaire de mes étudiants de 3ième année à l’IEP ce mardi, ces derniers ont rappelé à l’auditoire que N. Sarkozy avait déclaré en gros que le problème du caractère hallal ou non de la viande était le problème qui préoccupait le plus les Français, je n’y ai pas cru. Je me suis dit que mes étudiants se trompaient, mais il m’a été facile de vérifier (par exemple, ici ou ) qu’ils avaient bien fait le travail que je leur avais demandé.

Effectivement, le Président de la République française a déclaré lundi lors d’une visite à Saint-Quentin à des journalistes : «Le premier sujet de préoccupation, de discussion des Français – je parle sous votre contrôle -, c’est cette question de la viande halal.» (sic, selon le Figaro, qu’on ne peut soupçonner de  bidonner les propos présidentiels!) . Deux journalistes du Monde, Arnaud Leparmentier et Vanessa Schneider, proposent une belle reconstitution à chaud de ce revirement, qui tient, semble-t-il, à une lecture de sondages indiquant que le cœur de cible électoral de N. Sarkozy discutait effectivement de la question.  François Fillon a rajouté son grain de sel sur l’abattage rituel juif et musulman qui doit se mettre au goût du jour, et, voilà, effectivement, une belle polémique bien lancée.

Sur le fond, ce n’est pas la première fois qu’un leader de la « droite républicaine » en période d’élection présidentielle se lance dans un propos clairement destiné à attirer (ou retenir) la partie la plus xénophobe de son électorat potentiel. Aurait-on oublié la bonne vieille diatribe de Jacques Chirac sur le « bruit et l’odeur »?

Ces déclarations sur le hallal s’inscrivent donc dans une tradition de mobilisation de l’électorat conservateur : en effet, il est absolument certain que la viande hallal n’est pas la première préoccupation des électeurs français en général (d’ailleurs les sondages disponibles ne testent même pas ce supposé problème); par contre, il est tout aussi certain qu’une partie des électeurs, ceux qui se sentent  proches des positions du  Front National, se déclarent prioritairement préoccupés par l’immigration.

Autrement dit, je n’aurais pas dû m’étonner tant que cela.

Encore que je ne voie pas l’intérêt qu’il y a à donner de fait raison si vite  à Marine Le Pen (après lui avoir donné tort dans un premier temps en plus), qui a évoqué la première le supposé problème il y a moins de trois semaines , ce qui va lui permettre ensuite de plastronner en soulignant qu’elle a eu raison de parler la première de « cette première préoccupation des Français ».

Encore que je ne voie pas l’intérêt de mettre en porte-à-faux une Rachida Dati que le camp présidentiel venait juste de mobiliser au service de la campagne présidentielle. Considère-t-on au château que tout l’électorat issu de la « diversité » (pour utiliser l’affreux jargon en usage) est de toute façon perdu, ou négligeable dans la recherche d’une majorité au second tour?

Encore que je ne voie pas l’intérêt de semer le désordre dans sa propre majorité (voir les déclarations des uns et des autres, y compris d’un Jean-Claude Gaudin), et de donner à tous ses opposants (en dehors du FN) le beau rôle de défenseurs des traditions républicaines de tolérance (et, accessoirement, des intérêts géopolitiques de la France).

Encore que je ne voie pas l’intérêt d’inquiéter la communauté juive par la même occasion, ou encore de mettre en cause la filière viande de l’agro-alimentaire qui a déjà connu quelques crises de confiance de la part du consommateur depuis 20 ans.

Bref, c’est bien beau de monter en gamme dans la provocation pour occuper le devant de la scène – cela peut certes marcher, comme l’a démontré un Berrlusconi pendant des années -, mais il faudrait tout de même penser à ne pas sombrer dans le ridicule!

Ps. Dans le même ordre d’idée, la déclaration de l’actuelle Madame Sarkozy, « Nous sommes des gens modestes. » Il ne manque plus qu’une déclaration du genre « Les Allemands, cela commence à bien faire… »

Vallée sociale du 18 janvier

Je ne sais pas qui conseille actuellement le chef de l’État, mais ces deux dernières semaines n’ont pas été un modèle en matière de communication politique. Je dois dire que je suis même étonné à quel point tout cela tient du cafouillage permanent, qui se passe presque de commentaires.

Passons sur la perte du « Triple AAA », amplement analysée de Brest à Vladivostok comme un désastre politique pour l’exécutif français, ou sur l’affaire Seafrance, un modèle de communication de crise ratée, mais revenons sur le « Sommet social du 18 janvier ». Soit disant selon la communication de l’exécutif avant Noël, ce moment devait marquer une modification radicale de la politique de l’emploi en France, un « grand soir », une « aube nouvelle », un « nouveau départ ». Certains (à gauche) craignaient le pire. Finalement, l’exécutif a annoncé un plan, chiffré à un demi-milliard d’euros, qui ne comporte que la resucée de mesures déjà expérimentées depuis 25 ans au moins dans ce pays avec le succès que l’on sait, et, pour certaines, à peine abandonnées il y a un an. Il est vrai que N. Sarkozy se réserve des annonces plus corsées pour fin janvier (TVA sociale par exemple), mais il reste que le sommet social du 18 janvier en est devenu du coup une bien morne vallée.

Quand j’ai lu le détail de ces mesures, je suis en effet un peu tombé de ma chaise. Étant donné les délais légaux, administratifs, de mise en œuvre, de tout ce fatras, l’exécutif pourra s’estimer heureux s’il trouve quelques rares chômeurs ayant retrouvé du travail, ou entrepris une formation, grâce à ces dispositifs, qu’il pourra exhiber dans les médias avant le premier tour de la Présidentielle. Pour ce qui est des chiffres globaux et surtout du vécu de nos concitoyens face au chômage, ces mesures n’auront aucun effet. Elles auront peut-être même un effet contre-productif, dans la mesure où elles montrent à toute personne qui y réfléchit cinq minutes qu’on recourt toujours aux mêmes vieilles recettes (exonérations de charges) et que cela ne marche(ra) pas. (Je croyais d’ailleurs qu’il fallait réduire les niches fiscales…) Le chômage restera la préoccupation n°1. Je suis particulièrement sensible (par ma profession) au thème de la formation des chômeurs. Toute personne ayant été au chômage ou ayant eu un proche au chômage sait très bien que saisir l’occasion de cette oisiveté forcée pour se former ne va pas du tout de soi dans notre pays. Seul un chômeur avec une motivation en béton et des nerfs d’acier réussira à se former. Est-il besoin que l’exécutif fasse mine de découvrir  cette lacune béante à trois mois des élections et après cinq dix ans de pouvoir? Proposer 16000 places de formation supplémentaires, quelle personne censée pourrait critiquer cette mesure? Mais est-ce qu’au point où nous en sommes, il ne faudrait pas multiplier par un facteur 10 l’augmentation de l’effort qu’on se propose?

Dans le même ordre d’idée, l’exécutif annonce des mesures fortes sur le logement. A moins de donner les pleins pouvoirs de la République à quelque association genre DAL (Droit au Logement), là encore, les mesures, fussent-elles des plus raisonnables, qu’annoncera l’exécutif ne serviront qu’à souligner avec force l’échec du gouvernement dans ce domaine.

Je comprends fort bien que l’exécutif veuille faire mine de résoudre in extremis les problèmes qu’il n’a pas réussi à affronter avec succès pendant les années précédentes, mais se rend-il compte du point auquel cela souligne qu’un temps précieux a ainsi été perdu? Cela me fait irrésistiblement penser à l’étudiant qui n’a rien fait du semestre et qui révise le cours en catastrophe sur les notes prises par d’autres entre minuit et six heures du matin avant l’examen.

Si la campagne de N. Sarkozy continue dans ce style (« Je vais faire d’ici avril 2012, tout ce que j’aurais dû faire depuis mai 2007. »), on devrait bientôt voir des députés UMP et Nouveau Centre découvrir des vertus à ce cher François Bayrou.

Amendement Coppé-Jacob : un cadeau de Noël pour…

Pour qui? Mais pour tous les antiparlementaristes évidemment!

Petit rappel des faits : dans le cadre du récent débat parlementaire sur une loi visant à instaurer plus de transparence financière pour les parlementaires, le nouveau chef des députés UMP, Christian Jacob, avec le soutien du nouveau chef du parti UMP, Jean-François Coppé, a déposé un amendement visant à supprimer toute sanction pour fausse déclaration de patrimoine à la Commission pour la transparence de la vie politique par un élu soumis à cette obligation. Comme la ficelle était aussi grosse qu’une corde pour pendre la République aux cris de « Tous pourris! », les députés de la majorité ont réussi à corriger le tir, en maintenant comme sanctions pour fausse déclaration, une amende (30.000 euros?) et l’inéligibilité, mais pas la peine de prison prévue (2 ans?).

Si on remet cette décision dans le contexte général de durcissement des lois pénales (on vient juste de voter la loi dite « LOPPSI 2 » qui correspond à un magnifique catalogue liberticide au nom de « la sécurité, première des libertés »), l’abandon de la peine de prison – même si tout cela reste bien symbolique – pour les élus dissimulateurs de patrimoine apparait comme particulièrement (d)étonnant.  La presse régionale elle-même s’en émeut. Et comme dirait Christian Jacob venu défendre son amendement (sur France-Inter ce matin 22 décembre 2010), il est facile de faire à l’occasion « de la démagogie et du populisme faciles ». Sur ce point, le chef des députés UMP me parait bien avoir entièrement raison. Il aurait peut-être été avisé d’y penser avant. Même si le Parlement finissait par revenir  dans la suite du processus parlementaire à une peine de prison (éventuellement plus lourde que celle prévue au départ), le vase est cassé, et cet épisode d’avant-Noël va s’ajouter au déjà lourd dossier de la « République irréprochable ». Cela n’aura pas d’effet en soi sur l’opinion publique, mais cela servira comme une autre illustration des lieux communs antiparlementaires qui trainent de ci de là.

La vraie question du coup, c’est celui de la motivation d’un tel amendement. Je me perds en conjectures.

Incidemment, on a appris parce qu’il a soutenu Christian Jacob d’une déclaration au téléphone que Jean-François Coppé serait en vacances actuellement à… Cuba. Cela me laisse songeur là aussi : pour un libéral aussi affirmé que lui (ne veut-il pas comme Gérard Longuet, supprimer les 35 heures,  la source de tous nos maux!),  s’agit-il d’aller jouir du déplorable spectacle de l’échec du « socialisme qui ne marche pas »? Ou d’aller y préparer le terrain à la transition vers la liberté? Ou fait-il simplement partie de ces (trop) nombreux Occidentaux qui ne se rendent pas bien compte de ce que cela veut dire que faire du tourisme à bon compte dans un pays dictatorial?

Commentons, commentons, il en restera toujours quelque chose.

Les lendemains d’élections sont toujours pour moi des journées un peu pénibles. En effet, je dois subir – si tout au moins je ne m’enferme pas loin de tout média – un flot de déclarations, commentaires, analyses, etc. plus ou moins valables. Les imprécisions et les emportements sont un tout petit peu énervant par moment. Les présentes élections régionales (1er tour) ne laissent pas de répéter ce scénario connu.

Premier exemple : certains vont aller dire à la terre entière que les sondages se sont (encore une fois) trompés (lourdement)… L’épisode du 21 avril 2002 n’a, semble-t-il, servi de leçon à personne. Un sondage dans tous les cas de figure (qu’il soit fait en face à face, par téléphone, sur Internet, au strict hasard ou par quotas, avec un petit ou un grand échantillon) comporte une marge d’erreur, souvent bien plus importante en pourcentage que les valeurs qui ont des conséquences politiques. A ceci s’ajoute l’indécision des électeurs qui décident tard de leur  participation et de leur vote. Ainsi,  concrètement, un sondage qui affiche une semaine avant le vote une force politique à 11% dans une région veut dire en pratique que la barre fatidique des 10% des suffrages au premier tour ne sera pas dépassée à coup sûr. Tant que l’on continuera à commenter les chiffres des instituts de sondage sans prendre en compte ce qu’eux-mêmes indiquent comme marges d’erreur, on aura la désagréable impression que les sondages se trompent (et nous trompent). Si l’on considère les sondages préélectoraux comme la « photo floue » qu’ils sont à un moment donné, et rien de plus, la netteté issue du premier tour ne les rend pas caducs.

Deuxième exemple : les simplifications des étiquettes partisanes. Sauf exceptions, les journalistes et commentateurs parlent de l’UMP qui a fait un mauvais score et du PS qui a fait un bon score.  Or  aussi bien l’UMP que le PS proposaient aux électeurs des différentes régions  du pays des listes multipartites de fait, des coalitions de partis et/ou de personnalités. Pour prendre le seul exemple de la Région Rhône-Alpes, la liste dominée par l’UMP ne comptait pas moins de sept alliés, mis d’ailleurs en ordre de bataille droite-gauche sous le logo de l’UMP dans la profession de foi envoyé aux électeurs . Je les rappelle de gauche à droite dans l’ordre choisi par l’UMP: « La Gauche Moderne », « les Progressistes », « le Nouveau Centre », « le Parti Radical », « le Parti Chrétien-Démocrate », « le CNPT », « le MPF ». Du côté PS, dans la même région, on retrouvait le « Parti radical de gauche », l’allié traditionnel de ce parti depuis les années 1970, et le « MRC », un parti issu d’une scission du PS au début des années 1990. Ces deux partis n’avaient pas été associés à l’élaboration des listes du PS lors des Européennes de l’année dernière. S’ajoutent des personnalités du « mouvement écologiste » et du « monde associatif ». Cette situation de listes qui sont déjà des coalitions se reproduit partout en France pour l’UMP et le PS, avec des géométries très variables, surtout pour le PS. Il faudrait donc dans les commentaires tenir compte de ce fait. Par exemple, en soulignant que, malgré son évidente capacité à coaliser presque tout ce qui  bouge du point de vue partisan entre le FN et le Modem, les listes de l’UMP ne semblent pas en très bonne posture. Il faudrait ainsi recalculer les pertes en pourcentage de ce qu’il vaudrait mieux appeler la « majorité présidentielle »  plutôt que l’UMP en n’oubliant pas les scores des petits alliés – qui furent un jour non négligeable en voix comme pour le CNPT dans le sud-ouest de la France. A ce stade,  la majorité présidentielle ne peut compter que sur peu de ralliements de forces politiques constitués. En Ile-de-France, la liste « Debout la République » pourrait venir aider la majorité, mais est-ce possible vu les propos désagréables de son leader à l’encontre du Président de la République? En tenant compte de ces petits alliés à gauche, on se rend compte que « le PS » fait un bon score aussi parce qu’il a reconstitué et/ou préservé son système d’alliance au niveau local dans toutes les régions, sauf… en Languedoc-Roussillon, où c’est le système d’alliance local du PS qui s’est rendu autonome des choix nationaux du parti de la « rue de Solférino ».

Troisième exemple : le discours sur l’abstention. Les perdants du premier tour s’y rattachent avec une ferveur touchante. Il est vrai qu’une mobilisation de second tour peut renverser des situations compromises, mais encore faut-il que l’adversaire en passe de gagner fasse peur… Or je ne vois pas que la reconduction des présidents socialistes de région, avec les pouvoirs limités qui sont les leurs, puisse faire vraiment peur à qui ce soit, et cela d’autant plus que les rapports de force internes aux coalitions de gauche, issus du premier tour, laissent une place limitée à la radicalité écologique et/ou sociale. Par ailleurs, la haute abstention tendrait à faire dire que, finalement, ces élections ne veulent rien dire sur les rapports de force politique à venir. J’en doute : logiquement, ce sont toujours les électeurs les plus intéressés par la politique en général qui sont allés voter ce dimanche dernier. On peut donc voir se dessiner parmi ces électeurs  les plus intéressés de fait par la politique institutionnelle les grandes tendances à l’œuvre. La gauche en général progresse, mais la gauche « anti-électorale » (NPA et LO) séduit bien peu sur ce terrain où sa présence est illogique. L’UMP et ses alliés reculent, mais ne s’écroulent pas, contrairement à ce qu’on aurait tendance à dire ici ou là. Le FN continue à représenter une culture politique irréductible à la droite républicaine élargie. Et le Modem représente lui la situation inverse du FN : même avec une telle abstention, qui favorise les partis dont les électeurs croient (un peu ou beaucoup) à l’onction électorale, il n’a pas du tout la capacité de représenter quelque chose d’important qui ne soit ni à droite ni à gauche. La dégringolade depuis 2007 semble désormais sans appel. Vu ses scores et le mode de scrutin, le Modem n’aura pratiquement aucun élu régional, donc aucune façon de se constituer une classe politique autonome de ce qui restait encore de l’UDF en son sein. Se situant dans la plupart des régions en dessous des 5%,  les membres de ses listes ne peuvent même pas se vendre (avec paiement immédiat) à la majorité présidentielle ou à l’opposition de gauche. On voit d’ailleurs déjà la dissolution poindre : Corine Lepage semble avoir hâte de quitter ce rafiot qui fait eau de toute part, et vogue vers la gauche à grande allure. Le plus raisonnable serait la dissolution immédiate, plutôt que l’agonie, mais en politique, les agonies sont le plus souvent préférées.

Quatrième exemple : la situation serait « rose » pour le PS. Il serait bon de rappeler avant toute chose que ce score vient tout de même après… huit ans d’opposition. Tout le monde insiste sur le fait que N. Sarkozy connait une désaffection après trois années de pouvoir en ne retenant que la date de 2007. On devrait aussi rappeler que la droite républicaine tient fermement le pouvoir d’État dans ce pays depuis le printemps 2002. Il n’est du coup pas totalement surprenant qu’au bout de huit ans, une certaine usure se fasse jour. Un bilan de cette période commence à pouvoir être tiré par les électeurs. La droite républicaine a en effet désormais  eu le temps d’appliquer son programme. Pour l’instant, le PS semble se contenter de cette situation en se présentant comme l’inverse des conséquences pratiques de la mise en œuvre de ce programme. Martine Aubry a ainsi parlé  ce matin de défendre la « vraie France », en renvoyant la politique de la majorité présidentielle dans une anti-France susceptible de ratisser large (libérale, égoïste, ploutocratique, comptable, etc. ) C’est plutôt bien vu, mais cela ne fait pas vraiment un programme de gouvernement. En 2010, le PS et ses (r)alliés sont redevenus le premier parti de France, mais une nouvelle donne du point du vue du programme politique se fait toujours attendre.

Pour ce qui est de l’actuelle direction du PS, on ne saurait trop souligner enfin le poids des erreurs faites en Languedoc-Roussillon. Comme il était prévisible, la liste du PS-national connait un bel échec, renforcé par la circonstance (imprévue à une lecture hâtive des sondages) que les possibles alliés de second tour (les écologistes et le Front de gauche) passent juste en dessous de la barre des 10% interdisant de tenter la quadrangulaire contre l’imprésentable Frêche. La direction nationale se trouve donc dans la situation pour le moins ridicule d’appeler à faire barrage à la droite et à l’extrême-droite… ce qui revient à voter pour la liste Frêche. Si vraiment ce dernier est un personnage haïssable, une honte pour la France, il fallait avoir le cran d’aller au bout de la logique républicaine ou morale dont on se réclame, à savoir proposer un franc soutien au candidat soutenu par l’UMP. Ce dernier essaye d’ailleurs d’obtenir des ralliements individuels en ce sens. Dans cette situation imprévue (merci les sondages mal lus…), G. Frêche va sans doute gagner la région (encore que…) et disposera du coup d’une majorité d’élus régionaux,  épurée des traîtres à sa cause. Cette situation de dissidence ne manquera pas de se poursuivre dans le conflit qui aura lieu lors des primaires (si elles ont lieu) pour désigner le candidat socialiste à l’élection présidentielle. Il ne reste plus à l’actuelle direction du PS à souhaiter une très mauvaise santé au « Néron de Septimanie ». Un tel triomphe, pour le coup entièrement personnel, pourrait en effet avoir raison de lui. On remarquera en passant que le pari de Martine Aubry d’un « grand chelem » pour le PS et ses alliés s’avère d’ores et déjà perdu, puisque sauf erreur G. Frêche & Cie sont « en dehors du parti ».

Ps 1. J’ai l’impression de ne pas être le seul politiste un peu énervé ces jours-là : voir les propos de Frédéric Sawicki sur Mediapart, où l’on découvrira les délices des comptabilités en chiffres absolus pour juger des résultats de ces élections. Pour une autre version, moins maîtrisée, sur le même thème, voir  Meilcour.fr .

Pour un commentaire plus  serein, voir aussi Yves Surel sur son blog .

Ps 2. J’avais manqué ce propos prêté à notre excellent collègue Pascal Perrineau en première page du Monde de dimanche-lundi 14/15 mars 2010 : lors de ces élections, « (…) devrait se manifester une volonté de sortir de la bipolarisation ». P. Perrineau faisait allusion en fait au bon score prévisible d’Europe Ecologie… J’ai quelque doute sur le non-ancrage à gauche d’Europe Ecologie et sur la rupture que son score représenterait avec la bipolarisation. En tout  cas, la formule restera comme maladroite, vu la Bérézina du Modem. Par contre, il est vrai que le renouveau (relatif) du FN nous fait bel et bien sortir de la bipolarisation…

Partis (de gouvernement) de tous les pays, unissez-vous!

d'un internationalisme à l'autre?Grâce à la vigilance d’Eric Dupin, qui y consacre un billet, je n’ai pas échappé à cette information parue d’abord dans le Figaro : l’Union pour un Mouvement populaire (France) et le Parti communiste chinois (République populaire de Chine) ont signé à l’occasion de la visite en Orient de Xavier Bertrand, l’actuel petit timonier  de l’UMP, un protocole d’accord les engageant à entretenir un dialogue.  On peut même trouver une vidéo officielle du dit X. Bertrand justifiant de ce pas l’un vers l’autre. Dialoguer, qui pourrait y voir offense? Je dois dire que je connaissais le phénomène des internationales partisanes qui regroupent  les partis qui se réclament plus ou moins de la même orientation idéologique (les Internationales libérale, démocrate-chrétienne, socialiste, ou les rapprochements intercontinentaux entre partis progressistes, sans compter bien sûr les vieilles Internationales communistes dont date l’image choisie pour illustrer ce post), mais je ne connaissais pas encore les protocoles organisant un dialogue entre partis fonctionnant dans des cadres institutionnels a priori incomparables. Sauf erreur de ma part, le PCC reste le parti unique dans un régime à parti unique, où l’État et le Parti opèrent  en parfaite symbiose, et dans un pays où les Droits de l’Homme ne sont pas vraiment à l’honneur (litote!), l’UMP reste l’un des partis de gouvernement possible dans une démocratie pluraliste, où l’État se distingue de tout parti particulier, et, dans le pays européen qui se targue d’avoir inventé les Droits de l’Homme et du Citoyen pour le reste de l’humanité…  Que l’UMP reconnaisse un égal de quelque façon que ce soit dans le PCC devrait choquer, puisque jusqu’à preuve du contraire, l’UMP  occupe le pouvoir en France par la seule vertu de sa victoire à des élections libres, et que le  PCC ne gouverne la Chine  qu’en raison de sa victoire militaire de 1949, dont on vient d’ailleurs juste de célébrer le soixante ans.  Ou alors l’UMP croit-elle que le PCC a reçu l’onction populaire depuis? Y aurait-il eu un scrutin populaire libre en Chine continentale entre 1949 et 2009 dont j’ignorerais l’existence? Je peux faire erreur… sans doute suis-je mal informé. Il va falloir que je révise définitivement mes conceptions un peu datées. Des collègues annonçaient l’avènement futur d’une démocratie au delà des nations, d’une démocratie mondiale en somme, du rêve d’Emmanuel Kant d’un ordre cosmopolitique, je doute qu’ils aient envisagé une grande Internationale entre tous les partis (naturels?) de gouvernement de la terre. « Partis de gouvernement de tous les pays, unissez-vous!  Debout les vainqueurs de la terre!  » Il est vrai que, vu l’état actuel de ses opposants, la direction de l’UMP peut envisager d’occuper le pouvoir en France avec au moins  autant de certitude pour les dix années à venir que le PCC, soumis  lui à quelques pressions populaires (émeutes diverses dont le bruit arrive jusqu’ici). Comme l’UMP se conçoit comme le parti de gouvernement de la France pour tout avenir prévisible, il lui faut donc préparer l’avenir avec la puissance montante du moment. Le PCC et l’UMP peuvent  donc légitimement discuter sur un pied d’égalité parce qu’ils représentent deux entreprises collectives de gestion du peuple pour son plus grand profit (celui du peuple bien sûr, n’allez pas lire autre chose entre les lignes). A chaque peuple, son bon gestionnaire sous les auspices du Ciel, et, comme le dit dans sa vidéo X. Bertrand, discuter des affaires du monde avec le PCC (du réchauffement climatique) ne veut pas dire transiger bien sûr  sur les lignes respectives de deux partis.

Ce dialogue entre PCC et UMP ne fait en un sens que redoubler celui, engagé de très longue date, entre la République populaire de Chine et la République française, et l’on peut sans grand risque d’être démenti supposer que les élites du PCC et celles de l’UMP partagent des visions économiques assez proches (le refus du protectionnisme, la confiance dans le marché et dans l’État au service du marché), mais pourquoi s’engager dans des relations au niveau des partis? Les canaux diplomatiques, culturels et économiques habituels entre la France et la Chine populaire ne suffisent-ils donc plus? Ou est-ce que les dirigeants de ces deux partis ont réellement l’intention de discuter d’affaires spécifiquement partisanes? Que peuvent avoir à se dire deux partis opérant dans des mondes a priori différents? La grande convergence des modes de gestion « post-démocratiques » des peuples, comme dirait Colin Crouch, est-elle en marche? Hadopi et la « Grande muraille » électronique, même juste combat contre la chienlit du futur « World Unified Pirate Party »?

Il va falloir réviser les manuels de science politique…

Quant aux militants de droite old school, toujours un peu anticommunistes, il ne leur reste plus que l’émigration dans un pays de l’ex Europe soviétisée. Là, au moins, ils devraient trouver des vrais partis libéraux.

« Le travail du dimanche est une avancée sociale » (Luc Chatel)

En lisant la déclaration de Luc Chatel, secrétaire d’Etat chargé de l’industrie et de la consommation dans le Monde daté du 9 décembre 2008, je n’ai pu m’empêcher de penser que celui qui avait fait de celle-ci le titre même de l’article qui reprend son entretien de « Dimanche soir politique » (France Inter – i-Télé – le Monde) ne l’avait pas raté.

Cette déclaration est en effet une magnifique illustration de la langue politique, où l’on peut utiliser une expression, un syntagme, exactement à l’inverse du sens qu’il avait primitivement.  Pourquoi se gêner en effet? Si « travailler le dimanche est une avancée sociale », on pourra aussi bien dire dans le même genre, à propos de l’Iran et de la Chine et de leur vision (partagée) des Droits de l’Homme, « la peine de mort respecte pleinement la dignité de l’homme ». On s’amusera à inventer des expressions similaires, par exemple pour être de saison, « la faillite d’une entreprise est toujours l’amorce d’un renouveau ».

Pour être juste avec Luc Chatel, précisons toutefois le contexte d’où est tiré cette belle envolée : « (…) Le travail du dimanche est un engagement de la campagne présidentielle. C’est une liberté nouvelle offerte aux Français. C’est aussi, je pense, une avancée sociale, parce que cela répond à des modes de vie nouveaux, qui sont différents selon les régions. Il est important que la loi s’adapte et prenne en compte cette réalité ».

A vrai dire, on ne sait pas bien si l' »avancée sociale » consiste à permettre aux « Français » de faire leurs achats le dimanche ou à permettre aux salariés de travailler le dimanche pour gagner plus. Les deux sans doute.

Si c’est la première option (pouvoir faire ses achats le dimanche est une « avancée sociale »), cela sera bien la première fois qu’on attribuera le qualificatif de « social » au moment où l’on peut faire ses achats. On peut certes parler de « prix social », d' »épicerie social », de « restaurant social », etc. pour parler d’une offre, souvent non commerciale, d’un produit ou d’un service à destination des plus pauvres, mais de là à attribuer ce terme à la possibilité d’aller faire ses achats dans tous les commerces, y compris les plus huppés, le dimanche, il y a un pas. Ou serait-ce que L. Chatel vient d’inventer la notion de « consommation garantie à toute heure » comme un aspect de la « protection sociale » des Français par l’État. Pourquoi pas après tout? Faire du shopping comme on dit le dimanche après-midi vaut mieux que de prendre des cachets (remboursés par la Sécurité sociale en plus) pour oublier sa triste condition humaine. Si H & M et autres « vendeurs de fringue » peuvent aider à lutter contre la désespérance de la jeunesse, c’est effectivement presque de l' »action sociale ».

Si c’est la seconde option (travailler le dimanche est une avancée sociale), il n’échappera pas à quelques historiens du « social » que c’est là affirmer « les éléphants volent par temps clair ». Je suppose que c’est là le sens privilégié par le jeune secrétaire d’État, qui fait allusion dans le début de son interview à des « salariés (dans une librairie) qui risquent de perdre leur travail » si la loi n’autorise pas vite le travail du dimanche. Du point de vue libéral qui semble bien être le sien, L. Chatel a entièrement raison de privilégier cette solution; je lui suggère aussi l’ouverture 24 heures sur 24, 365 jours par an, en argüant que les magasins en ligne sont eux toujours ouverts (et, comme on ne peut les fermer eux, il faut permettre l’ouverture de tous les autres). L’ouverture du dimanche me parait bien timide, finalement bien peu libérale.  Encore du courage… Il est pourtant certain que cela créerait de l’emploi. Il est en effet sûr que les salariés concernés y trouveraient leur compte avec la paye plus élevée pour le travail de nuit. L. Chatel pourrait même ajouter que tous les services annexes (transports publics, sécurité, logistique, etc.) devraient suivre et que cela créerait encore plus d’emplois. Des économistes chagrins ont cependant fait remarquer qu’ouvrir le dimanche en payant les salariés plus que les autres jours aurait pour effet de faire augmenter les prix à la consommation, et que, par ailleurs, la demande solvable n’est pas extensible aux heures d’ouverture des magasins. Ces arguments ne tiennent sans doute pas la route face à une telle « avancée sociale », puisque les salaires dans le commerce ne sont pas connus pour avoir eu sur les dix dernières années une pente ascendante. Bien au contraire. (Rappelons qu’un conflit social plutôt long et dur dans la distribution du côté de Marseille a récemment abouti à une hausse salariale quasi-nulle.) Je ne crois pas que les dirigeants d’entreprise qui demandent à ouvrir le dimanche valident le calcul des économistes qui supposent que les salaires ne sont pas en réalité flexibles à la baisse (sans compter la remontée du chômage qui ramènera ces salariés à la raison).

Dans ce second sens de l' »avancée sociale », Luc Chatel nous promet donc de créer plus d’emplois dans ce secteur du commerce qui offre  une si basse rémunération qu’il faudra bien que les salariés soient « volontaires » pour travailler le dimanche. Nous allons donc avoir encore plus de travailleurs pauvres, ou plus généralement, la force de travail disponible va de plus en plus être occupé dans des services à basse valeur ajoutée – sur l’exemple nord-américain. C’est sans doute mieux que rien, mais, de là,  à parler d' »avancée sociale ».

Il aurait mieux valu dire : « face à la nouvelle division internationale du travail qui se dessine et où la France abritera sur son sol de moins en moins d’emplois à haute valeur ajoutée, le gouvernement a souhaité faute de mieux aider à la création d’emplois à basse valeur ajoutée, destinés à être occupés par tous ceux qui sont trop peu qualifiés pour espérer occuper un poste dans les rares secteurs encore compétitifs de notre économie à l’échelle internationale ou pour devenir fonctionnaire ou assimilé ». Je ne crois pas qu’au moment où les États-Unis découvrent les coûts sociaux de la « Walmartisation » de leur force de travail , il soit très avisé de s’engager dans la même stratégie, même si, grâce  aux aides de l’État Providence français, le sort des salariés dans les secteurs à faible valeur ajouté est meilleur qu’aux États-Unis. C’est comme dit l’expression populaire,  « un cautère sur un jambe de bois » – qui, d’ailleurs, ne durera pas très longtemps, parce que les géants français de la distribution étudient de multiples façons d’automatiser par exemple les caisses. (Je néglige ici tout l’aspect de concurrence entre formes de commerce, qui pourrait être présenté comme un appel à renforcer les bases nationales de nos champions à l’international, Carrefour par exemple).

Certes, un tel propos reviendrait à avertir les Français (pas ou peu qualifiés) qu’il s’agit d’une mesure qui témoigne de leur appauvrissement  – ce qu’il n’est pas conseillé de faire à aucun gouvernant en place.

On pourrait m’objecter que cette mesure est vraiment « sociale », puisque des salariés veulent travailler le dimanche. Certains s’opposent même vertement aux syndicats sur ce point. Certes. Mais c’est dans une autre mesure du gouvernement Fillon que je pense trouver la preuve du caractère pour le moins de non-« avancée sociale » de la mesure. Il se trouve en effet que ce même gouvernement a pris la décision de généraliser dans l’école primaire la « semaine de quatre jours ». Un des arguments avancés lors de cette autre réforme est qu’il s’agissait là de « favoriser la vie de famille » – ce qui a priori rentre dans la sphère de ce qui est défini en France comme le « social ». On voit facilement qu’il semble exister pour le présent gouvernement deux catégories d’habitants dans ce pays : ceux qui ont droit à une vie de famille comprenant deux jours complets de ce qu’il faut bien appeler un week-end (au détriment même selon bien des enseignants du primaire et des spécialistes de l’enfance de la réussite scolaire de tous les enfants)  et ceux qui sont appelés à travailler tous les jours de la semaine, y compris désormais le dimanche. Un gouvernement cohérent avec l’idée d' »avancée sociale » énoncée par Luc Chatel aurait instauré la semaine de 7 jours dans les crèches, maternelles et écoles primaires , pour permettre à tous les parents de travailler 7 jours sur 7 et aussi pour permettre aux enseignants concernés d’avoir la liberté de travailler eux aussi le dimanche.

Certes les mesures du gouvernement prennent leur sens  sociétal en ce qu’elles supposent  une disjonction entre les deux catégorie telle qu’elle satisfasse tout le monde : idéalement, les salariés âgés et assez bien payés pour « consommer » avec enfant(s) bénéficient de leur week-end (et ils utilisent un des deux jours libérés du travail pour aller faire « chauffer la Carte bleue » sous les ordres consuméristes de leur marmaille manipulée à souhait par la publicité), et les étudiants-salariés, célibataires hétérosexuels endurcis, homosexuels en couple sans enfants, ou toute autre minorité de « sans responsabilités parentales » (partagées ou non) se font une joie d’accueillir les premiers dans l’univers du petit, moyen et grand commerce.  La situation est  alors Pareto-optimale.  Malheureusement, la disjonction entre les deux catégories ne se fera pas aussi simplement que dans les exemples précédents : il existe en effet même des célibataires homosexuels qui veulent absolument aller à la messe le dimanche matin, pour aller ensuite déjeuner avec leur (vieille) mère (je caricature!). Pour ne pas parler des plus banales et bien plus réelles, femmes faiblement qualifiés élevant seules leurs enfants, ou des couples qui aimeraient bien se voir le dimanche même s’ils ont le malheur de travailler dans le commerce.  Cela se traduit bien dans les sondages d’opinion : une majorité de Français se déclare pour le travail du dimanche, tant que ce sont les autres qui travaillent. (D’ailleurs, qui est choqué que « l’Arabe du coin » comme on dit à Paris soit ouvert le dimanche et le soir jusqu’à point d’heure? N’est-il pas à la pointe de l’avancée sociale à la Luc Chatel? )

Pour finir, j’ajoute que la délicieuse déclaration de Luc Chatel a été faite il y a quelques jours, et que, face aux réticences de certains élus UMP, le débat parlementaire sur la loi  a été renvoyé en janvier.

Plus généralement, cette affaire de « travail du dimanche » traduit bien l’état des forces politiques et sociales. Il semble qu’une partie de l’UMP a réagi surtout parce que ses députés entretiennent des liens avec les divers secteurs du commerce présents sur leurs circonscriptions. C’est assez évident dans le département du Rhône, où le conflit latent porte sur la place des commerces de la métropole régionale dans l’ensemble du commerce départemental et régional. L’Église catholique m’a paru pour le moins terne sur ce débat. Le cardinal de Lyon, Mgr Barbarin, a livré un beau texte au Monde, mais,  au moins publiquement , l’Église semble s’en être tenue là, sans doute consciente que ses rares ouailles étaient finalement peu sensibles à ce stade à l’appel consumériste, et peut-être qu’une défense « catholicisée » du dimanche desservirait la cause tant le contexte est à la « diversité » (en effet, pourquoi le dimanche, et pas le samedi ou le vendredi? ou une subtile alternance des trois?). Le PS a été plus ou moins aux abonnés absents jusqu’à l’ouverture du débat au Parlement. Les syndicats, guère aidés par la bastonnade des élections prudhommales, n’ont guère de poids. J’ai aussi noté quelques tentatives de rattacher la question de l’ouverture du dimanche des commerces à la question environnementale, mais cela a fait long feu. J’ai surtout noté un groupe totalement absent du débat, focalisé sur les consommateurs et les salariés, à savoir les habitants… Pour habiter en centre-ville de Lyon, je peux aussi constater toutes les nuisances (externalités négatives) liés au statut de métropole régionale : dans mon quartier, le samedi après-midi est un grand plaisir des sens, et ce n’est pas sans une certaine appréhension que j’imagine avoir deux samedis par semaine pour me ramoner les poumons à la suie de diesel! De fait, personne n’a évoqué vraiment cet aspect: il est vrai qu’habiter au centre-ville par les temps qui courent est devenu un tel privilège que le reste de la population aura du mal à nous  plaindre. En même temps, ce cas n’est que la confirmation de la théorie de Mancur Olson sur l’action collective : l’intérêt au calme (relatif) un jour par semaine n’est pas assez important pour aucun habitant ou groupe d’habitants de centre-ville pour susciter une mobilisation.

C’est peut-être là finalement l' »avancée sociale », au sens disons anarcho-syndical d’avant 1914 : avec cette mesure, si elle est finalement adoptée, les quartiers à la fois  bourgeois et commerciaux seront  moins vivables le dimanche aussi. Ce ne sera là que « justice sociale », n’est-ce pas?