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Pacta sunt servanda? Du « Pacte budgétaire ».

Sauf événement totalement imprévu, la France va ratifier en l’état, sans y changer une virgule, le traité signé au printemps 2012 entre 25 Etats de l’Union européenne, le « Pacte budgétaire », alias le « Traité Merkozy » pour ses opposants, alias le TSCG (Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance) pour lui donner son nom officiel, et, dans la foulée, se doter de sa propre « règle d’or » budgétaire à travers le vote d’une loi organique. Sauf surprise de toute dernière minute, cette fois-ci à l’échelle européenne, ce traité entrera en vigueur dans de brefs délais, car il n’est prévu qu’un nombre réduit d’États (12 au minimum) l’ayant ratifié parmi les signataires pour lui permettre de s’appliquer.

Les « économistes atterrés » ont exprimé leur opposition au traité, dans les termes les plus vifs, ce qui ne saurait étonner personne vu leurs interventions publiques précédentes. Une tribune a été publiée dans le Monde par un groupe d’économistes critiques recoupant largement les précédents. Même un Jean Pisany-Ferry semble exprimer quelques doutes sur la manœuvre économique en cours au niveau de l’Union européenne.

Je ne veux pas entrer ici dans la logique économique de ce Traité, mais dans les conséquences que ce dernier aurait pour le fonctionnement politique des Etats européens l’ayant ratifié. Ce Traité, qui n’a l’air de rien selon le Conseil constitutionnel, si on le prend au sérieux si j’ose dire, change tout de même radicalement la donne en matière de finances publiques agrégées. En effet, il affirme que, si on imagine un univers économique sans aucune perturbation conjoncturelle, l’État au sens large ne devrait faire presque aucun déficit : 0,5% de « déficit structurel » au maximum avec une dette publique de plus de 60% du PIB et 1% au maximum avec une dette publique de moins de 60% du PIB. On ne se trouve certes pas au déficit zéro, mais on s’en rapproche. Surtout, point qui a été beaucoup moins souligné par les médias et par les hommes politiques défendant le Traité, les Etats signataires se font obligation de réduire leur dette publique, si elle est supérieure à 60% du PIB, à marche forcée d’un vingtième  par an de la valeur de l’écart entre 60% et son niveau présent.

Imaginons que ce Traité s’applique vraiment. Comme ses partisans le disent justement, la France connaît de forts déficits publics depuis le début des années 1970 – fin de la période dite des « Trente Glorieuses ». On peut certes se prendre à rêver qu’à coup de réformes de la gouvernance européenne, un « miracle européen » se produise à compter de 2013, et que les pays de l’Union européenne, et tout particulièrement ceux de la zone Euro, connaissent de forts taux de croissance (au delà de 3% par an) à compter de 2014. L’application des termes du Traité sera indolore dans ce cas, il suffira de donner la priorité au désendettement des administrations publiques et de ne pas céder quand apparaîtra une « cagnotte » fiscale vu le boom économique.

On peut aussi se mettre à cauchemarder avec de très nombreux économistes en se disant qu’avec toute cette austérité mise en place en Europe, nous allons droit vers une dépression style années 1930 – si nous n’y sommes pas déjà en fait. Quand je lis par exemple que la Grèce pourrait  encore faire -5% (sic) sur son PIB en 2013 ou que la France entre doucement dans la récession comme en 2009, ce scénario du pire me parait probable. Or, dans ce cas, tout l’appareil de régulation des comptes publics bâtis depuis deux ans à l’échelle européenne (le TSCG, mais aussi le « Six Pack » et bientôt le « Two Pack »), va sans doute se trouver, au moins temporairement, caduc. En effet, il peut arriver un moment où, même les partis actuellement au pouvoir dans les Etats européens finissent par déclarer d’eux-mêmes la situation « exceptionnelle », et donc s’affranchissent de toutes ces règles de contrôle des dépenses publiques qu’ils ont approuvées depuis deux ans au nom de la conjoncture d’exception qu’ils auraient eux-mêmes contribué à créer par leurs choix malavisés. L’appel au secours du Premier Ministre grec actuel, Antonio Samaras, représente peut-être le début d’un retournement dans la perception de la situation. Le recul du gouvernement portugais devant la rue sur une mesure particulièrement impopulaire est peut-être un autre signe en ce sens.

Cependant, ces deux scénarios, le rose (bien improbable) et le noir (moins improbable) peuvent fort bien être remplacés par une sortie de crise toute en mollesse, avec une croissance très basse (entre 0 et 1% par an), mais ni nulle, ni négative – probablement tirée par une reprise économique ailleurs dans le monde. Je suppose que, dans ce cas de la médiocrité durable, le « Pacte budgétaire » s’applique à plein. Et, là, arrivent les difficultés politiques! Si année après année, il faut rembourser la dette publique accumulée depuis le début des années 1970, cela signifie avec une croissance très faible qu’il faudra couper vraiment dans les dépenses publiques et/ou augmenter les impôts, taxes, cotisations. Il y aura bien en effet un moment où les ajustements incrémentaux ne suffiront plus. On en arrivera alors à devoir faire des choix de société et/ou de grande politique. Depuis la période de la reconstruction après la Seconde Guerre Mondiale, les sociétés à l’ouest de l’Europe ont toujours fonctionné pacifiquement et démocratiquement, soit grâce à un partage des « fruits de la croissance », soit grâce à la souplesse que donnait l’augmentation de la dette publique ou de l’inflation quand il n’y avait plus de « fruits » à partager. Que se passe-t-il si le jeu démocratique devient visiblement, sans échappatoire par la dette ou l’inflation, « à somme nulle », voire « à somme négative »? Il n’est pas très difficile de parier que le jeu va se durcir. Il n’est pas très difficile non plus de prévoir que les groupes d’intérêts les plus entreprenants seront mieux servis dans la débandade générale que les citoyens non organisés ou les groupes d’intérêts un peu moins entreprenants. (Petite illustration sur le budget 2013 de la France : on augmente les impôts/cotisations/taxes des retraités, fumeurs, buveurs de bière inorganisés, et on maintient la TVA réduite dans la restauration… et ce n’est que le début…)

Or, en France, tout semble se passer comme si les hommes et femmes politiques qui vont voter le « Pacte budgétaire » n’avaient pas envisagé vraiment cette éventualité moyenne, médiocre, d’une longue stagnation, d’un régime économique quasi-stationnaire avec remboursement de la dette et sous-emploi de masse durablement élevé, pourtant le scénario gris le plus probable vu l’histoire économique récente du pays. Toute une partie du Parti socialiste semble en effet approuver ce texte uniquement pour des raisons de haute politique européenne, tout en pariant que le jeu européen aura changé avant d’avoir à faire les choix drastiques que ce Traité implique (par exemple, la diminution radicale du nombre de communes, de plus 36000 à 5000 tout au plus, la suppression plus généralement d’une bonne part des administrations locales et de leur personnel doublonnant). Idem à droite (par exemple, avec l’abandon de la dissuasion nucléaire, d’évidence trop chère pour un « pays en faillite », ou de la politique familiale universelle, reliquat d’un nationalisme démographique d’un autre âge).

Je soupçonne fort nos politiques de croire s’engager, comme d’habitude, sur un traité dont la France – cette grande Nation – respectera ce qu’elle voudra bien respecter. Ils sous-estiment peut-être que, cette fois-ci, ce sont les conditions générales de la concurrence politique nationale qui sont en train de changer.