Désinformation ou erreur? C. Rollot encore!

Hier soir en lisant dans le train qui me ramenait à Lyon mon exemplaire du Monde daté de ce jour, jeudi 5 février, j’ai failli avoir une crise de fou rire et de rage mêlés en lisant l’article de Catherine Rollot, « Université : l’évaluation des enseignants au cœur de l’agitation » (p 11, section France). Cet article est encore une fois ouvertement favorable à la réforme en cours du statut, et finit par la citation d’un économiste qui aurait déclaré (sic) : « ce projet ne contredit pas fondamentalement ce que les enseignants-chercheurs souhaitent (…) ». Je ne cite pas ici le nom de cet économiste n’ayant aucune garantie désormais que ce qui est rapporté par cette journaliste corresponde à la vérité des faits (voir plus bas). Mais on aura compris l’idée : si une grande partie des enseignants-chercheurs n’apprécient guère cette réforme de leur statut, c’est qu’ils ne sont pas en état de comprendre qu’il correspond à leurs vrais intérêts. Evidemment.

De plus, quelle ne fut pas ma surprise (formule polie pour signifier bien autre chose) de lire un encadré à côté de l’article (qui se trouve aussi ce matin à 11 heurs sur le site du Monde), qui dit je le cite (par copier/coller) :
« Principales dispositions du projet de décret

Modulation du temps de service. Les présidents d’université pourront moduler le temps de service des enseignants-chercheurs entre l’enseignement, la recherche et d’autres activités administratives ou pédagogiques.

Temps annuel d’enseignement. Le temps de service des enseignants n’est pas modifié. Ils ne pourront pas faire plus de 128 heures de cours annuels ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques. Ceux qui se consacreront essentiellement à la recherche devront quand même assurer au minimum 42 heures de cours magistraux annuels ou 64 h de travaux dirigés ou pratiques. »

On croit rêver! Le second paragraphe est fondamentalement erroné. Il inverse complétement ce qui est proposé et le sens du décret sur ce point. Il n’est pas vrai, mais pas vrai du tout, qu’« ils ne pourront pas faire plus de 128 heures de cours annuels ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ». J’invite la journaliste à suivre les déclarations de la Ministre concernée, ainsi qu’à visiter le site internet du Ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur.  Il est vrai par contre que la dernière mouture connue du décret prévoit le minimum cité. Il dit aussi que l’on laissera (toujours?) une part « significative » dans le service dû de recherche. Je n’ai pas été le seul à remarquer cette erreur … ou cette désinformation, à en juger par les réactions de certains abonnés du Monde . En effet, soit la journaliste du Monde (à laquelle on peut raisonnablement attribuer cet encadré) ne suit que d’un œil las  ce conflit  et n’a même pas fait attention à ce qu’elle affirme là (qui, de fait , dégonflerait une bonne part du conflit sur le décret) – et elle ferait bien de corriger  au plus vite cette bêtise énorme sur le site du journal, soit cela correspond à la volonté de tromper les gens qui ne s’informeraient que par le Monde de ce qui est en jeu. En effet, avec cette précision (fausse) et avec le contenu de l’article, on ne peut qu’en conclure: « mais pourquoi s’agitent-ils donc encore ces fainéants improductifs? » On notera toutefois que je préfère « m’agiter » (être saisi d’une « danse de Saint Guy » pour ainsi dire) plutôt que « grogner ». Nous sommes déjà passés du registre de l’animalité à celui de la maladie ou de la psychiatrie. C’est mieux, bientôt nous protesterons ou aurons des revendications à discuter, voire même des valeurs à faire valoir.

Les responsables du Monde seraient bien avisés de prendre en compte que ce qu’il leur reste de lecteurs dans le monde académique pourrait prendre ombrage de ce genre de comportements : un(e) journaliste peut être aussi engagé(e) qu’il(elle) veut pourvu qu’au moins il(elle) respecte au moins un peu la vérité des faits; de telles erreurs sur un sujet qui nous intéresse directement et avec des moyens de vérifier à la source qu’il s’agit bien d’une erreur grossière laissent planer un doute sérieux sur le reste du contenu du quotidien. Si tous les articles sont de la même encre, ne vous étonnez pas de perdre des lecteurs, ou alors de ne garder que ceux qui voudront vous lire comme on lisait dit-on la Pravda à la belle époque – ce qui devient de plus en plus mon attitude.

Et, pour le dire tout de go, je me suis aussi fait l’hypothèse (réjouissante) que C. Rollot (petite télégraphiste ou voyante inspirée?) indiquait en fait que le Ministère allait céder sur ce point de l’impossibilité d’imposer plus de 192 heures éq. TD d’enseignement à quelque collègue que ce soit qui ne voudrait pas aller au delà de ses obligations actuelles d’enseignement et garder une quantité « significative » de temps pour faire de la recherche.

Je recite cet adjectif de « significatif » qui apparaît dans la nouvelle mouture du décret si je ne me trompe pas, qui dit: « (La modulation de services) doit en outre laisser à chaque enseignant-chercheur un temps significatif pour ses activités de recherche » – art. 4 du décret, dans sa version du 30 janvier 2009, recupéré sur un site syndical). Les personnes bien évaluées par le CNU pourront quant à elles  refuser de dépasser les 192 heures éq. TD. d’enseignement. Ce terme de « significatif », qui ne concernerait donc que les mal évalués (en recherche… car que fait-on des mal évalués en enseignement ou en administration par le CNU?) , est bien sûr trop vague  pour vouloir dire grand chose : de fait,  il signifie qu’on peut porter  pour les mal évalués le service à :  (384 heures d’enseignement – Epsilon).  La quantité Epsilon en secondes, minutes et heures éq. TD de « recherche significative » est bien sûr à discuter au cas par cas. En l’état, cette disposibition aboutira inévitablement devant les tribunaux administratifs et le Conseil d’Etat ensuite pour en préciser la teneur exacte. Choisira-t-on en effet la définition subjective du « significatif » auquel cas l’enseignant-chercheur, qui ne veut pas enseigner plus pour gagner moins, dira inévitablement qu’il veut consacrer la moitié de son temps à la recherche, ou bien une vision « objective » de cette « significativité » auquel cas il faut une instance adéquate pour en juger? On risque bien de retomber sur le CNU dans ce cas, mais, puisque ce paragraphe concerne les gens dont leur CNU aurait déjà jugé qu’ils ne sont pas producteurs de recherche, il y a là une contradiction patente. Ou alors, on reconnaît que le CNU parfois ne sait pas reconnaitre ce qui est une « recherche significative ». Pourquoi pas d’ailleurs? Cette dernière interprétation serait croquignolesque, mais me réjouirait plutôt.

Pour ne pas ennuyer des lecteurs qui m’ont dit de faire court (même ici…), je ne m’engagerais pas sur l’usine à gaz que sont en train de devenir les promotions.  Je vais me mettre à jouer au Loto, cela sera plus simple, et au moins là, je comprends. Je m’interrogerais par contre sur l’asymétrie persistante entre enseignement et recherche, toujours avec cette version du décret. Un enseignant-chercheur mal évalué en recherche est toujours censé faire plus d’enseignement que les autres.  Mais que fait-on dans le cas inverse? Quelqu’un qui serait mal évalué par le CNU pour son enseignement ou ses capacités administratives (puisque cela sera son rôle aussi en enseignement ou en administration), va-t-on  lui diminuer ses heures d’enseignement ou l’interdire de tâches administratives, et va-t-on l’inciter à faire plus de recherche… chez lui si possible? Cette remarque m’a été inspirée par un collègue, sociologue proche de la retraite, qui m’a rappellé que, dans certains cas qu’il a vu dans sa longue carrière,  une institution ou un groupe de collègues pouvaient souhaiter une moindre intervention dans l’enseignement d’un individu considéré comme toxique pour les étudiants. L’enseignement considéré comme une sanction comme le voit le décret peut aussi l’être à tel point pour les étudiants qu’il vaut mieux s’en abstenir si l’on se veut une institution responsable.

Sur ce, je m’en vais préparer mes baskets pour aller manifester avec mes collègues lyonnais.

8 réponses à “Désinformation ou erreur? C. Rollot encore!

  1. Cette fois, cher Christophe, j’ai devancé l’appel et envoyé une lettre ouverte à Catherine Rollot en la rappelant à ses devoirs minimaux de journaliste à propos de son papier d’hier mais encore des précédents :

    Statut des universitaires : lettre ouverte à Catherine Rollot du Monde


    Bien à vous,
    LB

  2. @ LB .
    Effectivement, bravo pour cette réaction que j’approuve entièrement, et que je crois pas mal de gens approuveront. En effet, ce vendredi 6 février 2009 à 10h 20, l’erreur la plus grossière sur la « modulation des services » n’est toujours pas corrigée. Les réactions des lecteurs internautes du Monde sont toutes ou presque effarées face à tant de désinvolture. Ce matin, j’ai eu l’impression plus générale que le site du Monde commence à être en plein désarroi face à ce mouvement. Il dit ainsi que la CPU soutient à plein le décret, or, en allant voir sur le site de cette dernière, le soutien s’affirme pour le moins nuancé (par le rappel des aspects de financement de l’équivalence TD/TP par exemple).
    Notre désarroi commun tient sans doute à notre difficulté à admettre la déroute d’un journal qui ne fut pas si mauvais que cela il y a 20 ans. En tout cas, pour ma part, c’est un « dépit » difficile à admettre.

  3. Dans un registre qui n’est cette fois ni de la désinformation, ni de l’erreur, mais de la diatribe haineuse et non documentée alimentée de quelques références politiques croquignolettes, j’imagine que la tribune hallucinante de Christophe Barbier sur la réforme du statut des enseignants chercheurs ne vous a pas échappé. Elle est disponible sur le site de Sylvain Bourmeau :
    http://www.mediapart.fr/club/blog/sylvain-bourmeau

    Christophe Barbier nous avait pourtant habitué à un niveau de « journalisme » extrêmement bas. On espère bien sûr qu’il aura eu une belle médaille pour « faits d’armes en Sarkozie » à accrocher à sa poitrine après une telle chronique.

  4. @ Hyde : le morceau de bravoure de C. Barbier m’avait échappé. Je dois dire que cela m’afflige d’autant plus que nous sommes passés, lui et moi, par la même Khâgne (et je crois même l’avoir entrevu à l’époque) au début des années 1980. Cela m’interroge toujours sur ce qui reste des études que l’on a faites, des philosophes qu’on a lu, des sociologues qu’on a étudié, etc.

  5. Ce qui m’afflige le plus personnellement, c’est de savoir que C. Barbier est membre du conseil scientifique du Cevipof et que sa voix a fait basculer la dernière et controversée élection (ou devrais-je dire réélection) à la direction scientifique. Il est difficile d’imaginer après une telle chronique qu’il soit impliqué dans un laboratoire, tout comme il est difficile d’imaginer qu’il ait fait des études qui demandent une réflexion certaine, pourtant il semble que le personnage ne soit pas à un paradoxe près. Peut être, pour rebondir sur votre article suivant, s’est-il si parfaitement imprégné des discours politiques ambiants qu’il a atteint le niveau de réflexion de l’électeur schumpétérien moyen…

  6. @ Hyde : je dois dire ne rien savoir de la « cuisine interne » du Cevipof, et m’en désintéresser de fait totalement. C’est là un des avantages du « provincialisme ». Je ne sais donc pas si ce que vous prétendez sur cette élection est vrai, et je vous en laisse donc l’entière responsabilité. Je suppose que c’est là un « bruit qui court »… De toute façon, sa chronique peu amène à l’égard du monde universitaire ne l’empêchera pas de s’impliquer, bien au contraire, il a des « idées » qu’il veut porter. Simplement, ce ne sont pas les miennes, ni les vôtres apparemment. Je ne le crois pas incompétent, mais bien plutôt fort digne porte-voix d’une idéologie (qu’il n’a certes pas inventé). Ne négligez pas non plus la part de théâtre qui est la sienne.

  7. A cet égard, je me permets de rappeler que C. Barbier est metteur en scène (de théâtre) à ses heures !

  8. @ VJD : je pensais justement à cet aspect du personnage qu’il s’est créé, avec son écharpe rouge au col. Je suppose que cela l’amuse immensément de « jouer le procureur » dans cette situation où il peut se faire un milieu auquel il n’appartiendra plus jamais désormais. Des collègues lui ont écrit poliment à son mail de l’Express, et ils ont reçu des réponses tout aussi polies (qui ont circulé sur la liste professionnelle ANCMSP) sur le thème de son droit à exprimer fermement ses options en matière de réforme universitaire. Comme on dit en italien, plutôt quand on se situe à droite me semble-t-il, « Tanto nemici, tanto onore! » (autant d’ennemis, autant d’honneur!).

Laisser un commentaire