Moi Président…

Son bilan à mi-mandat – billet d’humeur saumâtre:

« Moi Président, je réussirai à battre tous les records d’impopularité dans les sondages d’opinion de tous les instituts de France, de Navarre et d’ailleurs. Et encore, bonnes gens, vous n’avez encore rien vu en ce jour de mi-mandat! Avec le chômage qui  augmentera encore pendant  quelques mois au minimum selon les dires de mon propre Ministre du travail, je dispose encore de très bonnes chances de passer sous les 10% d’opinions favorables. J’espère en effet toujours battre ce record-là pour rester définitivement dans l’Histoire, mais je ne sais pas si je réussirais, car il reste encore quelques indécrottables à décevoir dans mon propre camp, plus beaucoup certes, mais ils sont vraiment coriaces les bougres.

Moi Président, je débarrasserai ainsi le pays de la plupart de ces élus socialistes et radicaux qui obscurcissent depuis trop longtemps le paysage du pouvoir local et national. J’ai déjà réussi au mieux les municipales et les sénatoriales, je compte bien réussir brillamment les cantonales et les régionales, avant l’apothéose finale des législatives de 2017. J’espère ainsi envoyer tous mes braves anciens collègues politiciens du PS et du PRG découvrir les services de Pôle Emploi, tout au moins pour ceux en âge de le faire. Cela leur fera beaucoup de bien, cela les rapprochera des Français et leur permettra de revenir un jour vraiment très lointain au pouvoir avec des idées bien plus claires qu’en 2012. J’ai  d’ailleurs déjà réussi à envoyer un ancien Ministre « démondialisateur » étudier le management auprès des grands prêtres du grand capital transnational, c’est tout dire.

Moi Président, je ne m’interrogerai pas avant qu’il ne soit déjà bien trop tard sur la lenteur anormale des réformes engagées depuis le printemps 2012. Je ne me demanderai pas pourquoi le Conseil constitutionnel se montre si retors avec les lois que vote ma majorité. Je n’abandonnerai pas non plus à leur sort des dispositifs qui, d’évidence ne marchent pas, comme le « contrat de génération ». Je parlerai de « simplification« , tout en laissant faire des ordres et contrordres en matière législative et réglementaire de manière continuelle. Je ferai voter des lois et je les annulerai ensuite, parce que quelque groupe irrité et puissant se sera plaint alors même qu’il aura donné son accord quelque temps auparavant.

Moi Président, lors de mon émission télévisée de mi-mandat, je me garderai bien d’annoncer aux Français les « réformes structurelles » que mon gouvernement  négocie au même moment avec la Commission européenne et avec mon partenaire  principal, l’Allemagne, dans le cadre du « Semestre européen ». J’aime bien faire des surprises au bon peuple, qui me le rend bien jusqu’ici. Je me contenterai de parler de petites choses cuites et recuites, comme des « emplois d’avenir » ou de l’informatique à l’école, ou de grandes choses qui ne sauraient en rien changer le destin du pays, comme de possibles Jeux olympiques à Paris en 2024. Panem et circenses, j’ai des lettres, voyez-vous.

Moi Président, je vais devoir sans doute expliquer à la Commission européenne et à mes partenaires européens pourquoi lors de mon émission télévisée de mi-mandat, j’ai promis aux Français de ne plus augmenter les impôts, de ne pas faire de nouvelles réductions de dépenses publiques en dehors des 50 milliards prévus à ce jour, et pourquoi je ne leur ai pas parlé des « réformes structurelles » dont nous discutons par ailleurs, mais je compte sur leur compréhension pour ma prudence face à notre vieux peuple de Gaulois têtus rétifs au changement .

Moi Président, je proposerai d’expérimenter un « service civique » d’une durée d’un à trois mois, qui évoquera à certains de mes concitoyens à l’esprit chagrin, s’il n’est pas rémunéré, la bonne vieille corvée d’Ancien Régime, et, s’il l’est, l’extension du domaine du stage à toute une génération. Et aussi à d’autres à l’esprit encore plus mal tourné, un Service du Travail Obligatoire de sinistre mémoire. Moi Président, conscient en fait de l’énormité de ma proposition, je prononcerai à ce propos le terme maudit depuis le 29 mai 2005 de référendum, alors que tout un chacun sait bien qu’un référendum organisé par moi obtiendrait quelle que soit la question posée un non retentissant, tant la vile et rancunière populace y trouverait occasion de se débarrasser de moi.

Moi Président, je finirai par transformer en 2017 seulement le CICE en baisse de charges patronales pérennes, reconnaissant ainsi que cela aurait été bien plus simple de procéder ainsi dès le début si je n’avais pas voulu faire un jeu de bonneteau, finalement inutile, avec l’Europe, mais aussi que, quelque soit l’effet observable du dit CICE sur l’emploi, je suis en fait déterminé à maintenir cette baisse de charges patronales, montrant ainsi même aux plus benêts des syndicalistes me soutenant encore mollement que mon discours de la « responsabilité », de la contrepartie, du donnant-donnant, c’est du flan.  Je réussirai du coup d’un même mouvement à désespérer les économistes libéraux partisans de la mesure et les économistes hétérodoxes hostiles à cette dernière. I’m a genius, no doubt about it.

Moi Président, je ne m’interrogerai pas vraiment sur la montée du Front National, je me contenterai de la déplorer, et je continuerai à présenter les options de ce parti comme un simple retour maléfique au passé, en jouant de la Morale, de l’Europe, et du Sens de l’Histoire pour faire réfléchir l’électeur. Je n’aurai même pas conscience d’insulter ainsi des millions de gens.

Moi Président, je m’arrangerai pour humilier de toutes les façons possibles mon allié écologiste de 2012, et pour être vraiment sûr que, s’il ne lui reste ne serait-ce  qu’une once d’amour propre, il présentera en 2017 un(e) candidat(e) contre moi, ou appuiera une candidature unitaire de la « vraie gauche » contre ma personne honnie. J’humilierai aussi au passage tou(te)s les ministres socialistes ayant pris l’écologie un peu au sérieux, il ne me reste à ce jour que mon ancienne femme à humilier à ce propos puisque je lui ai confié le poste de Ministre de l’écologie, cela ne tardera pas, et sa vengeance à elle n’en sera que plus flamboyante.

Moi Président, je caricaturerai le régime de la Vème République, en m’appuyant sur toutes les ficelles qui permettent de continuer à gouverner sans l’appui de l’opinion. Je ferai une « réforme territoriale »  sans un vaste débat préalable avec la population, mais je me gargariserai toutefois de ma capacité à être à l’écoute de l’opinion publique.

Moi Président, je démontrerai que je n’ai rien appris du sort tragique de mes camarades socialistes espagnols, portugais et surtout grecs, depuis 2010. Bien que je l’ai déjà dénoncé avant mon élection, je ferai mine en 2014 de redécouvrir que l’austérité est mauvaise pour l’économie européenne et l’économie française, tout en ne me décidant pas à rompre vraiment avec l’orthodoxie économique en vigueur, bien au contraire diront certains.

Moi Président, j’exaspérerai tellement une bonne partie du « peuple de gauche » en gouvernant de plus en plus nettement à droite qu’il ne faudra pas que je m’étonne quand ce dernier se fera porter pâle quand la droite voudra se débarrasser de moi à la suite d’élections législatives anticipées s’il me vient la fantaisie d’y faire appel.

Moi Président, je ferai perdre mon temps aux blogueurs, qui se sentiront obligés de soulager leur bile noire par des billets acerbes et inutiles et qui s’en voudront de ne point être objectifs et exhaustifs. »

10 réponses à “Moi Président…

  1. Parfait. A « C dans l’air » hier, ils étaient louangeurs d’Hollande dans son rôle de voir loin pour la France! De grands projets d’avenir!

  2. Excellent billet Christophe. Tu n’as pas perdu ton temps. La dernière sortie de Hollande au Canada pour dire que l’exploitation des sables bitumineux c’était génial m’a définitivement convaincu que le pauvre homme est une cause perdue.

    • @ François Bonnet : c’est sûr que, pour ce qui concerne là encore l’écologie, il a fait très fort lors de ce voyage, il faudrait expliquer pourquoi il en veut tant aux écologistes (dont je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi ils ne rompent pas encore plus franchement avec lui), en même temps, c’est assez logique : dans la France des années 1970, il aurait pu être séduit par leur vision du monde qui existait déjà, il ne l’a pas été, il est devenu socialiste, il est donc logique avec les choix de sa jeunesse. Idem finalement que pour son approche de l’économie, restée apparemment bloquée à 1975 et alentours.

  3. Moi non plus je ne comprends pas pourquoi les écologistes ne rompent pas plus franchement avec le gouvernement de François Hollande. Cette absence de réelle alternative à gauche (hormis l’extrême gauche) est pour ma part plus inquiétante que la politique actuelle du PS, qui n’a malgré tout rien de très surprenant. Les écologistes ont pourtant un boulevard en ce moment, non ? La ville de Grenoble ne leur sert-elle pas d’exemple ?

    • @ Léo : on peut supposer que EELV est « sous le choc » de la politique de F. Hollande et ne s’en est pas encore remis à ce jour. A Grenoble, les écologistes sont autonomes des socialistes depuis un bon moment déjà quand Eric Piolle arrive à la mairie. Il y a eu toute une maturation de la rupture (à partir de l’affaire du Grand stade des Alpes en particulier). Je suppose qu’en Ile-de-France, il est par ailleurs dur de rompre l’alliance avec le PS, car elle fonctionne beaucoup au niveau de la Région Ile-de-France et au niveau de Paris. Il ne faut pas négliger cet aspect « localisé » (parisien-banlieusard) du leadership actuel d’EELV (Duflot-Cosse). Est-ce un hasard si un Noël Mamère, un maire de province, est sorti du jeu depuis longtemps?

  4. Hypothèse de travail : François Hollande veut simplement prouver à la communauté des politistes que la France est une autocratie productiviste (oui, moi aussi, il me fatigue, et j’en viens à commenter comme n’importe quel troll de Mediapart)…

  5. @ Fab Escalona : il ne manque plus en somme que le « Fukushima français » pour compléter ce tableau désolant.

  6. M. Valls tient plutôt bien dans les sondages…il plafonne autour des 30%,
    comme quoi !

  7. Néolibéralisme?? cette « loi » Macron répète les recettes de la commission Attali – accroître la concurrence, dont plus de commerces pour se partager les dépenses des français. Et elle a pour but (politique) de dire à la commission et à l’Allemagne « la France fait des réformes de fond; bourreau, encore un délai ». D’ailleurs aujourd’hui pour le prouver le gouvernement annonce une baisse de déficit pour 2016 et plus encore pour 2017. C’est désespérant de voir à quel point certains de nos plus brillants élèves, formés par notre système social, à Normale Sup à l’ENA et à l’X ignorent comment fonctionne la société, ses institutions , ménages, entreprises et collectivités locales qui produisent les biens et services dont nous bénéficions, que nous utilisons et consommons. Revenus, dépenses, impôts et taxes, épargne, investissements publics et privés qui améliorent sécurité, santé, éducation, bien-être; tout cela est le BABA de l’économie qu’on a bien du mal …. Relire le rapport Pierre Cahuc et André Zylberberg les réformes ratées de Sarkozy http://bit.ly/1x6rQ0m et peut-on réformer en France http://bit.ly/1x6s7QK

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