De nombreux collègues et de nombreuses organisations représentatives, anciennes (principaux syndicats) ou nouvelles (SLR, SLU) du monde des enseignants-chercheurs avaient exprimé de fortes craintes sur les potentialités de déstabilisation du statut d’enseignant-chercheur (ou de chercheur) que comportaient certains articles de la L. R. U. .
Eh bien, lisez ce qu’ont pu lire il y a quelques jours les abonnés à la liste de l’ANCMSP (Association nationale des candidats aux métiers de la science politique) :
« Bonjour,
La faculté de droit de (censuré, il ne s’agit pas de personnaliser le problème) propose pour cette rentrée (2010) un poste de contractuel à un docteur en science politique. Il s’agit d’un poste d’un an qui pourrait être renouvelé une deuxième année. Le salaire est légèrement inférieur à celui d’un MCF débutant. (Je souligne). Le service est composé notamment d’un cours d’Introduction à la science politique (L1), de Relations internationales (L1), de Sociologie politique (L2), de Politiques communautaires (M1) et de conférences de Culture générale au Centre de préparation aux concours administratifs. (Donc, vu la teneur des enseignements prévus, notre futur contractuel possèdera de très grandes qualités : il ne maîtrisera pas moins de trois ou quatre sous-disciplines de la science politique qu’il pourra enseigner derechef à un niveau universitaire.) Tout cela est assez urgent. (Je souligne.) Les services de la présidence de l’Université n’ont pas encore décidé si le recrutement doit se faire par un comité de sélection ou de manière plus souple. (Je souligne et je m’interroge). En attendant vous pouvez m’envoyer les demandes de candidature et un cv soit sur mon mail perso (Je censure le nom du collègue dont émane cette recherche de candidats), soit sur (idem). Dès que les modalités exactes de recrutement seront arrêtées, je vous en informerai. Merci pour vos réponses.
Cordialement(idem : inutile de personnaliser). »
Si cette information n’est pas un hoax, une blague un peu provocante d’un candidat déprimé par quelques campagnes de recrutement infructueuses, ou encore une sorte d’enquête sociologique (peu éthique) destinée à voir combien de réponses on peut obtenir par un tel biais, cette annonce confirmerait (donc au conditionnel, modalité de l’incertitude en français) :
a) Que les postes contractuels d’enseignement-recherche vont bien être soumis à la dure loi du marché, et qu’en ce qui concerne la science politique (dont il faut bien dire avec modestie que l’avenir de la France sur le marché mondial des technologies émergentes ne dépend pas, non plus d’ailleurs que le prestige des universités hébergeant de tels enseignements), nous allons assister à de belles enchères inversées. A un moins-disant tout à fait digne d’aligner le sort de ces nantis d’intellectuels sur le sort du prolétariat, comme dirait un marxiste grossier. En effet, s’agissant d’un poste contractuel à durée déterminée, oser offrir un salaire moindre que celui de MCF débutant (qui n’est déjà pas mirobolant, même après la récente revalorisation de la grille salariale) me parait légèrement, légèrement indécent. Pourquoi ne pas aller jusqu’à offrir le SMIC après tout? On trouvera toujours au moins un(e) docteur(e) sans poste en fin de droits, prêt(e) à saisir cette planche de salut, – qui sera certes toujours plus intéressante pour l’esprit qu’un petit job dans le télémarketing par exemple. Je souligne toutefois que, dans le secteur privé, les contrats temporaires (CDD et Intérim) donnent droit à des avantages pécuniaires (s’ils ne sont pas transformés in fine en CDI). Cela ne semble pas être le cas ici. Ou alors, faut-il y voir une sorte de pré-recrutement pour un poste de MCF? Au quel cas, la procédure de recrutement s’impose d’elle-même (à savoir la commission de sélection et tout le tralala), la Faculté de droit concernée se contenant de faire une gymnastique bureaucratique pour recruter tout de suite quelqu’un dont elle n’aura le support budgétaire que dans un ou deux ans.
b) Que la préparation de la rentrée n’est pas excellente dans certaines universités; en effet, faire, de manière plutôt informelle, une telle annonce à moins de trois semaines de la rentrée universitaire (mi-septembre) me parait témoigner du caractère médiocre de la gouvernance universitaire. En même temps, comme dit la blague (vétéro-)soviétique, « Puisque vous faites semblant de me payer, je fais semblant de travailler, nous sommes quitte, camarade commissaire! » Les étudiants concernés par ce futur enseignant à coût réduit et à obsolescence programmée ne seront pas en droit d’exiger grand chose de lui.
c) Qu’en l’espèce, l’Université française continue de s’illustrer par la capacité de ses jeunes enseignants à traiter sans frémir de plusieurs matières qui, ailleurs, supposeraient une longue spécialisation à chaque fois pour avoir le droit de s’adresser à un auditoire d’étudiants du supérieur. Il est piquant de se souvenir que ces postes contractuels dans l’enseignement ou dans la recherche avaient été présentés lors du service après-vente de la L. R. U. en direction de la communauté universitaire et scientifique comme un moyen de payer enfin en France des spécialistes pointus dans leur domaine d’excellence – et donc de tirer vers le haut l’Université française. Avec une telle offre d’emploi, nous sommes dans le cas bien plus ordinaire du jeune universitaire recruté dans notre pays. Ce dernier, dans une large mesure, est supposé, nécessité du service oblige, pouvoir traiter de presque tout dans sa discipline de rattachement. On évitera toutefois de demander à un politiste de traiter ex abrupto du droit romain… Ce postulat de généralisme, voire de pic-de-la-mirandolisme, possède sans doute des côtés formateurs, dont j’attesterais volontiers par ma propre expérience, mais il nous éloigne de l’idée de « chaire » typique au contraire des universités étrangères les plus admirées.
Enfin, espérons qu’il s’agit en fait d’une simple vapeur estivale de quelque bureaucratie universitaire.
Je pense que de nombreuses informations portant atteinte à la dignité des fonctionnaires de l’E.N. circulent sur internet, mais ceci ne serait que des effets d’un problème de fond beaucoup plus profond et dangereux, car portant atteinte à nos libertés fondamentales.
En d’autres mots, je suis né dans un siècle qui considérait que la seule richesse d’un pays était l’homme, que nous devions apprendre à apprendre aux plus jeunes de manière à enrichir le pays. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’idée qui unissait ma Nation a disparu, que la France n’existe plus, seuls restent des mœurs de pays barbares qui formatent, mœurs qui qui nous apprennent à singer, à imiter, un seul qui pense et une multitude qui imite. La destruction de toutes nos richesses et l’homme sans âme, est devenu un tas de viande qui peut fournir quelques organes sains contre un peu de symboliques ubuesques !
@ temps : en même temps, énormément de gens ne sont pas d’accord avec l’évolution que vous décrivez. Certains politiques publiques sont sans doute peu avisées, mais les exécutants de ces dernières ne laissent pas nécessairement tomber les anciens objectifs humanistes.
Bravo pour ce post. J’ai lu avec le même effarement le message sur LA liste. On pourrait ajouter à toutes vos remarques que bien des collègues qui protestent contre la politique du gouvernement et de la majorité en matière d’enseignement supérieur (évaluation, financement de la recherche, recrutement…) sont beaucoup moins virulents quand il s’agit de bénéficier des dispositifs mis en place. Et, j’ai testé la chose, quand on leur fait remarquer, ils ne voient pas bien… de quoi on leur parle.
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@ Laurent Bouvet : même observation de mon côté. Ne pourrait-on pas dire que nos collègues se conduisent souvent des homo oeconomicus qui répondent plus aux incitations qu’aux idées éthiques qu’ils professent sur le métier?… Avec en plus souvent la remarque justificative : si je ne le fais pas, d’autres le feront et je perdrais cet avantage à leur profit. C’est la vie, n’est-ce pas?
C’est la vie en effet. Disons aussi que l’avantage avec ce genre de comportements, c’est que ça permet de faire le tri et de limiter les mauvaises fréquentations.
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