(Ir)responsables et (In)compétents

La division du travail politique, autrement dit le fait qu’il y ait des personnes spécialement désignées dans la société pour la gouverner et que le gouvernement ne soit pas au jour le jour l’affaire de tous à tout moment, suppose l’existence au sein de la société de personnes qui soient à la fois plus responsables et plus compétentes pour le faire que n’importe quel quidam de cette même société choisi au hasard. C’est le postulat fondamental de tout ordre politique dans les sociétés de grande taille. La méthode de choix (qu’elle s’appuie sur la raison humaine ou sur un choix d’une puissance supérieure) importe finalement peu de ce point de vue tant qu’elle suppose une qualité spécifique des personnes désignées pour gouverner.

Comme toute la division du travail par ailleurs, qui a probablement  commencé sous la forme actuelle dès ce qu’on a coutume d’appeler la « Révolution néolithique »,  le fait que des personnes se spécialisent dans le gouvernement de la société apporte des avantages en terme de bonheur attendu de cette société  – bonheur bien sûr très inégalement réparti le plus souvent: d’une part, comme dans tout métier, les personnes préposées à cette tâche disposent de certaines compétences, parfois difficiles à maîtriser pour un esprit humain, qui permettent de bien faire certaines choses qu’un quidam pris au hasard dans la société ne pourrait faire, tout au moins sur le champ (les expériences contemporaines de « démocratie délibérative » montrent bien a contrario qu’il faut du temps pour être au point sur un sujet d’intérêt collectif); d’autre part, dans la mesure même où il s’agit de gouverner une société dans son ensemble, il s’agit aussi d’être responsable, en un double sens, de mesurer les (larges) conséquences de ses propres décisions dans la mesure même de son savoir (limité), et aussi d’être prêt à rendre compte de ses (graves) décisions devant la société si nécessaire.

Ceci, résumé en quelques mots (qui devraient faire hurler tout anarchiste cohérent), c’est la théorie, valable d’ailleurs quel que soit le régime politique.

Or, aujourd’hui, dans la France du 21 mars 2020, que constate-t-on? Des gouvernants aussi irresponsables qu’incompétents. En effet, ces derniers jours, c’est vraiment devenu un festival. Je n’arrive plus bien à suivre toutes les déclarations et les décisions prises qui en témoignent. « Les fous ont pris le contrôle de l’asile », comme a coutume de blaguer une connaissance dans ce genre de cas, ce qui, ai-je coutume de lui rétorquer, n’est pas très gentil pour les fous (les vrais!) . Certes, pour filer la comparaison du post précédent avec notre grand désastre du XXème siècle, la défaite de mai-juin 1940, il y a comme un « moment Weygand » dans les dernières heures, avec une tentative de rétablir une situation désespérée. Je n’y crois guère cependant: nous n’échapperons pas à une situation à l’italienne. Et je ne suis vraiment guère rassuré sur mon propre sort et sur celui de mes proches et amis. « A la grâce de Dieu », ai-je dit plusieurs fois cette semaine à ma vieille mère.

Du coup, la question se pose de ce pourquoi tant d’irresponsabilité et d’incompétence.

A chaud, je ne peux que poser que des hypothèses, que les survivants pourront valider ou non, par des recherches aussi approfondies que nécessaires.

Premièrement, il y a le facteur purement conjoncturel du « macronisme », extraordinaire machine à promouvoir les plus médiocres parmi nos (prétendues) élites.

De mon point de vue, le « macronisme » est en effet d’abord un immense « effet Griveaux ». Maintenant que ce personnage a disparu politiquement de la manière la plus ridicule qui se puisse imaginer, la plus incohérente si l’on y pense aussi pour un prétendu représentant du « progressisme » d’ascendance strauss-kahnienne (il aurait dû assumer son côté gaulois bien gaulé!), on peut le prendre comme le symbole d’un effet qui portera son nom. Dans le cadre des carrières politiques possibles au sein des grands partis de gouvernement, il existait de fait jusqu’en 2017 un (trop lent) cursus honorum. La lutte des places était difficile et lente. De fait, le « macronisme » a été une formidable ouverture pour toute une série d’individus des deux sexes qui, au sein de leurs partis respectifs, ne pouvaient guère espérer aller très haut et très vite dans leur carrière. Si l’on passe en revue tous ces brillants sujets, qui ont pris le raccourcis du « macronisme », soit avant la victoire d’Emmanuel Macron, soit immédiatement après, on se dit qu’en temps normal, personne n’en aurait trop entendu parler. Rappelons par exemple que notre cher Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, lors de sa participation à la primaire de la droite, fait un score (2,38%) même pas digne d’un Manuel Valls dans la primaire de la gauche en 2012 (5,63%). Malgré une prétention sans borne à être toujours le premier de la classe, il est alors renvoyé par le « peuple de droite » à son charisme d’huitre parasitée. Il a sans doute compris à ce moment-là qu’il lui fallait aller chercher ailleurs que dans l’adulation de ce bon « peuple de droite » une belle carrière. Le Premier Ministre, totalement inconnu jusqu’à sa nomination en dehors de sa « bonne ville » de Normandie, est dans le même cas. On pourrait multiplier les exemples jusqu’à la nausée. Le problème est bien sûr que tous ces gens n’ont pas été assez sélectionnés par les épreuves précédentes de leur  carrière pour tenir le choc d’une telle crise. La porte-parole du gouvernement est aussi un magnifique exemple. Mais je préfère n’en rien dire ici de peur d’outrepasser les droits à la critique légitime d’une personne publique. Il est à ce stade inutile d’insister sur cette personne qui n’a visiblement pas suivi le moindre cursus de gestion de crise.

Ensuite, il y a l’« effet Delevoye », ou l’« effet Collomb », si l’on veut. On pourrait aussi parler plus vulgairement de l’effet « vieille baderne ». Ce sont des gens qui sont, en 2016-17, à la fin de leur carrière politique, mais qui n’ont jamais eu au sein de leur parti de gouvernement le grand rôle digne d’eux qu’ils auraient aimé avoir. Delevoye avait voulu diriger le RPR, mais avait été sèchement battu. Eux aussi, veulent enfin se surpasser. Montrer qu’ils ne sont pas aussi limités que ne l’avait jugé la majorité de leur propre parti. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Delevoye aura eu une belle fin de carrière désormais : comme responsable du choix pour le moins calamiteux des futurs députés « En Marche » (dont quelques cas relevant visiblement plus de la psychiatrie que de quoi ce soit d’autres), et comme l’homme chargé d’une préparation de la réforme des retraites totalement ratée là aussi au point de se prendre une critique de notre brave Conseil d’État comme il y en eu rarement pour une réforme. Il est donc prouvé qu’il est rare qu’on se révèle un grand génie politique à plus de 65 ans.

Puis, il y a l‘ »effet Buzyn », sans doute plus grave que les précédents par ce qu’elle révèle de pourrissement de nos élites en général.  C’est l’arrivée au gouvernement, via le « macronisme », de personnes venant d’une profession ou de la haute administration, en ayant visiblement épuisé les charmes, et bien décidé à servir aveuglément le pouvoir en place quoi qu’il arrive pour être Ministre.  Le problème de ces personnages sans aucune surface politique préalable à leur nomination à un poste ministériel est qu’ils peuvent ensuite difficilement mordre la main de celui qui les a fait. Ils n’étaient rien, ou pas grand chose, et les voilà ministres! L’entretien d’Agnès Buzyn avec une journaliste du Monde témoigne sans doute de la volonté de cette personne, qui se rêvait visiblement en Simone Veil sans en avoir l’étoffe, de se dédouaner du désastre qui a commencé. Elle aura en effet du mal à admettre qu’elle n’a été qu’une  « vile créature », une « marionnette sans âme », qui a accepté de dire ce que  le petit noyau qui gouverne le pays dans l’ombre des cabinets ministériels lui a demandé de dire. Pourquoi en effet, si elle savait la gravité du problème sanitaire à venir comme elle le prétend, n’a-t-elle pas hurlé à la face de la France entière au Journal de 20heures ou dans une Matinale d’une radio qu’il fallait faire quelque chose immédiatement et non pas tergiverser comme le gouvernement l’a fait pendant deux bons mois? Pourquoi n’a-t-elle pas démissionné à la mi-janvier en faisant un scandale pour avertir le bon peuple de la menace qui planait sur nous? Loyauté de courtisane, voilà tout. Significativement, l’un des seuls membres venus de la société civile, qui ait osé démissionner avec fracas du gouvernement depuis 2017, c’est un certain Nicolas Hulot. Comme par un étrange hasard, seul ce dernier ne devait pas qu’au seul fait du Prince sa récente notoriété en tant que Ministre de la République. Il n’était pas tenu de servir aveuglément le génie des collines de la Somme.

Tout cela ne serait pas si grave si, au moins, Emmanuel Macron savait remplacer vite et bien ces personnes visiblement incompétentes ou irresponsables qui se sont mis à son service dans un esprit de cour, des plus français il est vrai, par des personnalités un peu plus compétentes et responsables. Il est possible d’ailleurs que, lorsque l’heure des comptes viendra, Madame Buzyn soit chargée comme une mule par les zélateurs d’alors du Président de toute l’impréparation de la lutte contre la pandémie en France: n’avait-elle pas été sourde aux problèmes de l’hôpital public pendant une longue année avant le drame? Il reste qu’en ces heures où j’écris, les plus nuls des ministres n’ont pas encore été viré séance tenante. La liste s’allonge d’heure en heure, de déclaration déplorable en déclaration déplorable, de mensonge piteux en mensonge piteux.  Il est vrai que pour les remplacer, encore faudrait-il qu’Emmanuel Macron puisse puiser en dehors du vivier de LREM, et qu’il rentre donc dans un processus de limitation de fait de son pouvoir, en acceptant une vraie union nationale, et en accueillant des professionnels de valeur parmi ces propres ministres, ce qui pourrait lui faire quelque ombre en tant que personne. Il ne semble pas en prendre le chemin. Nous risquons désormais de payer très cher en pertes humaines et en désarroi social et économique notre système présidentiel où rien ne peut bien se passer en cas de crise majeure si le Président de la République s’avère lui-même incompétent et qu’il n’en tire pas lui-même les conséquences en démissionnant. Il est vrai que Gérard Larcher comme Président par intérim ne fera envie à personne, même pas sans doute au plus enragé militant de droite.  Les constituants de la Vème République n’avaient sans doute pas imaginé une telle hypothèse, où le peuple se serait autant trompé dans le choix de son chef. Une bonne crise ministérielle à la manière de la IIIème ou de la IVème République serait au final bien plus rassurante qu’un acteur perdu dans son rôle, et craignant sans doute de finir devant quelque tribunal populaire en cas de désastre.

Deuxièmement, il y a sans aucun doute des facteurs plus structurels liées à des élites trop stupidement généralistes.

Tout d’abord, la montée en puissance d’une manière de concevoir l’action publique à travers le néo-libéralisme, mais dans sa version « pour les nuls ». Cela n’est pas un scoop. J’ajouterai cependant ici que l’un des problèmes des recettes néo-libérales, c’est que leur simplicité même offre à n’importe quel étudiant très moyennement doué une série de réponses toutes faites à toutes les questions qu’il pourrait se poser sur l’organisation de la société. J’ai moi-même été séduit au début des années 1980 par cette pensée-réflexe, j’en vois les effets sur un ancien condisciple, Christophe Barbier, qui en est imbu à un point presque surnaturel, et j’en parle donc en quelque sorte comme d’une tentation que j’ai su éviter, non sans mal d’ailleurs, y étant pour ainsi dire porté par ma position de classe. De fait, il y a un paradoxe au sein du néo-libéralisme : l’un de ses grands promoteurs, Hayek, a développé une pensée de l’intelligence collective, de la répartition de tout le savoir disponible dans la société, dans chaque individu, dans chaque institution, d’où le refus logique de toute planification prétendûment omnisciente, et donc vouée à l’échec, et la promotion du caractère « naturel » des ajustements de marché. Or ses zélateurs n’ont retenu qu’une vision « universelle » des recettes néo-libérales, le célèbre « Consensus de Washington », ou le « New Public Management », qui nie justement toute la spécificité concrète, historique, institutionnelle, pratique, de toute situation, y compris bien sûr celle de tout marché réellement existant. En dehors de son aspect de son alignement sur des intérêts de classe, ce discours prêt à l’emploi, « one size fits all », correspond bien de fait aux nécessités de carrière de personnes qui ne sont spécialistes de rien, qui n’ont acquis aucune profession au sens traditionnel du terme (coiffeur, avocat, carrossier, cuisinier, etc.), profession acquise avec peine avec tous ces petits détails pratiques qui changent tout à la qualité finale d’un travail entre le bon, le médiocre ou le mauvais. Le néo-libéralisme pour les nuls va comme un gant à ceux qui se prétendent spécialistes du général, mais qui ne sont pas capables en réalité de faire les  grands efforts pour le maîtriser vraiment, ou du moins de comprendre qu’on ne le maîtrisera jamais vraiment. On admire Ricoeur, mais on est devenu soi-même le grand maître ès banalités en se croyant le plus malin des hommes. On en arrive à la farce, certes à très haute valeur éducative, qu’auront représentée devant nous les deux anciens conseillers d’Emmanuel Macron quand ils entendirent écrire à quatre mains un livre pour expliquer le « progressisme » de LREM. Leur patron est bien sûr lui aussi la quintessence de ce type humain encouragé par le néo-libéralisme « pour le nuls », mais il y ajoute un indéniable don d’acteur. Son laïus de cette semaine sur le rôle nécessaire de l’État m’a presque tiré des larmes. On aurait cru Sarkozy à Toulon en 2008. Un vrai chemin de Damas. A en croire les sondages disponibles, le bon peuple n’y a vu que du feu.

Plus sérieusement, il aura ainsi été  notable que les propos tenus pendant les débats sur la réforme des retraites par certains députés « macronistes » témoignent de leur refus profond, radical, de l’idée même de profession. Cette idée, qui remonte au moins au Moyen-Age, semblait les exaspérer au plus haut point : le refus de discuter du maintien du régime spécifique des avocats aura ainsi été une magnifique leçon de choses, puisqu’il s’agissait là plus de principes que de considérations financières. Cela correspond bien au discours d’origine économique sur l’adaptation sans fin des personnes (« vous ferez au moins trois métiers dans votre vie ») qui justifie ce régime universel de retraite par points, mais cela a fini par une prédiction qu’à l’avenir tout serait automatisé dans la justice française avec l’usage massif d’Intelligence Artificielle (IA) et qu’il n’y aurait donc presque plus d’avocats.  Il faudrait aussi relire ainsi à la lumière de la haine que déclenche chez l’être sans vocation, à part faire de l’argent, la vocation d’autrui tout le conflit avec le monde enseignant, avec celui de la recherche ou avec de la santé, où, à chaque fois, à côté de questions financières, ressortait le mépris abyssal de la parole des professionnels, de la base au sommet par exemple pour ce qui concerne le monde médical. Ce refus de la profession et du professionnalisme comme élément fondateur de la société de la part de nos élites dirigeantes de l’heure ressemble fortement à la tendance de la part des cadres (« bonzen ») des partis communistes d’avant 1989 à se méfier des vrais professionnels de quelque domaine que ce soit (ingénierie, musique, informatique, etc.) : l’essentiel est alors de connaître la ligne du parti, les médiocres y trouvent en effet leur planche de salut. Quoi de plus simple à apprendre qu’une « ligne de parti »?

Cette comparaison avec l’ère du communisme finissant se sent en particulier dans les fameux « éléments de langage » que nos pauvres hères de serviteurs du grand chef de guerre autoproclamé canonnent de plus en plus mollement faute d’être autorisé à penser par eux-mêmes. En seraient-il seulement capables? J’y verrai bien une touche franchement comique si des dizaines milliers de vie n’étaient pas en jeu, car n’est-ce pas, « tout va toujours très bien », « il n’y aucun problème », « tout a été prévu par la Direction générale de la Santé », « notre stratégie de confinement est la bonne, inutile de tester massivement les populations », « le plan quinquennal de productions de masques et de respirateurs a encore une fois été dépassé », « le Parti a tout prévu », « il faut avoir une confiance absolue dans le Parti, car la victoire est proche », « des hooligans islamo-trotkystes veulent faire trop de jogging, ils sabotent l’édification du socialisme » – désolé je m’égare… Enfin, pas tant que cela. Après tout, s’il y a un désastre, cela sera de notre faute à nous, les « Gaulois réfractaires ».

Ensuite, je ferai l’hypothèse que nous souffrons aussi d’élites trop généralistes, et surtout n’étant pas soumis tout au long de leur carrière à l’épreuve des conséquences de leurs actes. J’ai vu qu’un collectif de médecins s’est monté pour demander à la justice d’enquêter sur les manquements graves  des autorités dans la gestion de cette crise au nom de la mise en danger d’autrui. Certains opposants politiques évoquent des procédures spéciales de jugement contre les Ministres, voire contre le Président. En admettant même que ces procédures aillent à leur terme, ce dont je doute fort tant les difficultés juridiques s’accumuleraient dans de telles démarches, elles ne peuvent avoir aucun effet sur notre situation présente. En effet, celle-ci résulte du sort fait aux élites fautives dans notre pays depuis des décennies. Or il faut bien constater qu’à regarder les cinquante dernières années en France, être responsable personnellement de quelque grand désastre public (que ce soit par sa gestion de l’État, d’une collectivité locale, ou d’une grande entreprise) ne vous expose pas au final à grand chose. La civilisation des mœurs et le forclusion de la violence sont passés par là. Nous ne sommes plus à l’époque où la marine britannique pendait ses amiraux défaits lors d’une bataille – coutume certes cruelle, mais à forte valeur éducative. Nous ne sommes pas à celle d’un Staline faisant exécuter en 1941 par le NKVD ses chefs militaires ayant reculé d’un pouce de terrain – coutume là encore bien cruelle, mais quelque peu motivante pour les rescapés. Même si un citoyen ordinaire, par exemple un chef de petite entreprise, peut encore être ruiné, voire réduit à la mendicité par ses erreurs de gestion, ce n’est pas du tout le cas pour toute la classe dirigeante des grandes entreprises et de l’État. En cas d’échec pourtant patent aux yeux de tous, tout dirigeant de telle grande structure pourra toujours nier sa responsabilité en la rejetant sur la complexité de la situation, voire même se complaire comme une Agnès Buzyn dans le larmoyant en se présentant en victime d’une situation qui la dépasse.

Plus généralement, je fais l’hypothèse que la disparition de tout sentiment de honte chez nos élites et l’omniprésence de cette formule « J’assume! » qui frappe tant dans la situation contemporaine tiennent au fait que nos élites incompétentes et irresponsables savent très bien au fond d’elles-mêmes qu’aucun d’entre nous n’aura ni le courage ni les moyens ni la méchanceté d’aller leur mettre deux ou trois balles dans la tête pour prix de leurs manquements. L’assassinat politique est en effet une tradition quelque peu désuète et cruelle, j’en conviens, et cela n’améliore guère le karma de qui ce soit de seulement l’évoquer, mais sa possibilité même avait la vertu d’obliger chacun à bien soupeser les conséquences de ses actes. L’entartage, version toute symbolique et policée de cette réaction individuelle extrême face à un tort qu’un politique fait subir à une population, n’est lui-même  plus très pratiqué, et d’ailleurs BHL qui le fut à quelques reprises, est toujours là. Bref, que risque-t-on aujourd’hui à être une crapule? Une interview à l’eau de rose. Et ensuite sans doute un livre chez quelque éditeur complaisant. Grande incitation à l’irresponsabilité tout de même… Pour illustrer ce fait, rappelons que nous sommes quand même un pays qui échoue à construire une nouvelle centrale nucléaire, l’EPR de Flamanville (ce qui est peut-être heureux par ailleurs d’un point de vue antinucléaire) sans qu’il n’y ait eu aucun grand procès pour chercher les responsables de ce fiasco (à x milliards d’euros), même s’il y a eu des rapports faits, et un pays qui, visiblement, va se trouver en grande difficulté pour trouver des masques et des respirateurs comme ces Italiens que nos élites méprisent tant.

De plus, ce travers de l’irresponsabilité satisfaite d’elle-même est renforcé par la jeunesse des dirigeants – et plus encore de leurs conseillers qui œuvrent dans l’ombre. Pour diriger valablement une collectivité quelconque, il faut avoir fait des expériences préalables, les avoir ratés éventuellement. Tous les grands dirigeants de la France du XXème siècle ne sont pas venus de nulle part. Ils ont une longue biographie avant d’accéder au pouvoir suprême. Il est certain que les deux guerres mondiales et la Guerre d’Algérie ont eu un effet de sélection de personnalités ayant quelque sens de leurs responsabilités et ayant acquis des compétences par les épreuves traversées. Cette considération est d’ailleurs plus large que le cas français : quelques autres jeunes dirigeants (autour de 40 ans) actifs en Europe dans les dernières années se sont révélés des désastres pour leur pays par la légèreté de leurs décisions : David Cameron et Matteo  Renzi en particulier. Certes, ils peuvent encore apprendre, comme semble le faire Matteo Renzi qui s’accroche à son rêve de revenir à la tête de l’exécutif italien, mais force est de constater qu’il nous faudra un peu attendre pour les voir jouer les Churchill sur leurs vieux jours. Probablement, l’absence de personnes ayant l’expérience personnelle et directe de crises majeures vécues auparavant dans les premiers cercles du pouvoir joue très négativement. C’est là un problème plus général: comment peut-on se préparer à l’inédit? au « Cygne noir »?  Je ne devrais pas dire cela comme pédagogue, mais, probablement, il n’y a guère d’autre solution que de juger les gens à l’ouvrage. Personne ne peut savoir d’avance si tel ou tel sera un grand chef, ou un dirigeant médiocre.

Voilà, tout cela, ce ne sont que des hypothèses, écrites à la va-vite pour maîtriser la peur que je ne peux m’empêcher de ressentir. Mais je sens que les survivants seront fort préoccupés par cette faillite de nos dirigeants. Cela interroge bien sûr le modèle de formation dans lequel j’ai travaillé depuis plus de 20 ans. Nous devrons sans doute nous aussi balayer devant notre porte.

Voilà, c’est dit, maintenant que chacun prenne soin de soi et de ses proches.

23 réponses à “(Ir)responsables et (In)compétents

  1. Le constat est sévère, presque poujadiste, mais juste. Je me demande s’il ne faudrait pas ajouter, parmi les causes du désastre, et puisqu’on est dans le registre incorrect, deux éléments : 1/ l’attrait des gens de qualité vers les carrières plus rémunératrices telles que la finance ou les affaires ; 2/ la question de la parité, laquelle a propulsé dans la carrière politique des femmes peu motivées et instauré une barrière aux hommes motivés.

    • @Vince38:
      Sur le premier point, je suis d’accord, mais c’est plus large que la profession politique. Il me semble avoir vu passer des données d’économistes montrant pour les États-Unis à quel point la finance et ce qui en est proche (avocats dits d’affaire) était devenue beaucoup plus rémunératrice que tout autre secteur depuis 40 ans, dont en particulier l’industrie et accessoirement bien sûr la recherche, d’où le déclin technologique et industriel relatif du pays. Cette crise des élites s’inscrit dans un cadre plus général: seul la finance rapporte vraiment beaucoup depuis des décennies (millionnaires à 40 ans!) et tout le reste bien moins, cela vaut aussi pour le constat d’une perte de compétence technique dans beaucoup de pays occidentaux. Je me rappelle aussi de données sur l’Inde où l’ouverture des postes politiques aux castes moyennes et basses semble largement liée à l’investissement dans le « business » des hautes castes (brahmanes), et l’on voit aussi ce que vit l’Inde avec un Modi à sa tête. Nous sommes loin des Gandhi et Nehru des débuts de l’Union indienne.

      Sur le second point, en tout cas avant 2017, je dirai que c’est plutôt l’inverse : cette parité a du coup obligé les hommes médiocres, comme un Griveaux, à devoir tout faire pour s’imposer. En effet, avec la parité, qui intervient au début des années 2000, ces personnes de sexe masculin se trouvent du coup particulièrement loin dans la file d’attente de leur parti. Comme le changement de sexe ne leur est pas autorisé (!), elles enragent. Du coup, la tentation est grande d’envoyer valser des règles de séniorité et de se mettre dans la roue de l’outsider Macron quand il apparait.

      (Par ailleurs, mais c’est un détail, il semble bien que la femme Roselyne Bachelot ait eu plus de sens commun que beaucoup de gens après elle en matière de prévision d’une possible épidémie. )

      Au total, je ne pense qu’il s’agisse d’une question de motivation(« femmes peu motivées »), mais plutôt de capacités intellectuelles et morales. Nos Schiappa & Cie sont « motivées » pour servir, être servi et se servir, mais pas du tout au niveau attendu.

  2. arnaudetphotographie

    Bonjour M. Bouillaud, merci! Beaucoup de choses dans votre texte… la formation, la personnalité et l’irresponsabilité de nos gouvernants politiques actuels… En effet, cela n’est pas très réjouissant. Mais je pense que c’est l’occasion pour créer de nouvelles bases pour un nouveau « contrat social ». Comment faire pour que la politique arrête d’être une seule course au pouvoir? Comment sélectionner les personnes les plus compétentes dont vous parlez? Comment faire en sorte que ces personnes choisies pour leurs compétences ne soient pas petit à petit détachées du reste de la société… Comment les rendre davantage responsables? La centralisation du pouvoir dans les mains de quelques uns doit être revu… Je pense qu’il est tout simplement temps de créer une 6ème République (le changement de République n’est plus à la mode d’ailleurs…) qui consacrera ce nouveau contrat.

    • @arnaudetphotographie: Oui, je sais bien qu’au point où nous en sommes, il faudra sans doute une réforme constitutionnelle. La concentration du pouvoir n’est pas raisonnable, et nous allons sans doute voir nos voisins allemands s’en tirer bien mieux que nous, aussi en raison de leur institutions plus aptes à construire de la discussion.

  3. Cher Christophe,

    Je souscris plutôt à ton analyse, où ton légendaire pessimisme historique a encore frappé ! Quelques éléments épars me paraissent pouvoir être ajoutés, dont certains vont dans ton sens et d’autres pas :

    -On a oublié que quelques « poids lourds » du Modem ont dû démissionner du gouvernement très vite (M. de Sarnez), voire ne pas y entrer du tout (Bayrou), à cause d’affaires judiciaires liées à l’emploi d’assistants parlementaires au Parlement européen. On peut imaginer que Macron avait au départ en tête un autre gouvernement et que, comme d’habitude, il a dû bricoler avec les moyens du bord (et que le même scénario est valable pour la formation même de son parti : il ne peut avoir autour de lui que les recasés/recalés des partis existants, que tu évoques justement, et des novices…). Résultat, un gouvernement avec peu de poids-lourds (un Le Drian invisible ; un J.-M. Blanquer ?), et des figures qui peinent à émerger.
    L’un des soucis du macronisme est sans doute à chercher dans l’incapacité à garder les bons (Hulot ? Villani ? je ne mets pas Collomb…) et à garder les mauvais (Castaner, Ndiaye).
    C’est d’autant plus étonnant que de mon point de vue toute la « vocation » de Macron quand il s’est lancé dans la course à la présidentielle a été de faire le diagnostic de ce qu’avait lamentablement raté Hollande pour ne pas le reproduire (la loi El Khomri, les démissions subies des ministres frondeurs, dont Monsieur 6%, l’absence de grande réforme fiscale pikettyenne, l’affaire Léonarda, le scooter nocturne, etc.), et notamment des arbitrages en la défaveur de ministères importants (l’Ecologie avec Delphine Batho) ou des changements étranges de ministère (Fleur Pellerin). Macron s’est retrouvé pris dans le vieux système pas si usé des récompenses à fournir, des loyautés à ménager, et des arbitrages foireux. Le cas Buzyn pour remplacer Griveaux au pied levé comme candidate à Paris est un modèle du genre…

    -Il est clair que nombre de cadres de la macronie ressemblent à ce qu’on connaissait déjà depuis longtemps : énarques et hauts-fonctionnaires hors-sol, élites consanguines, néo-libéraux ânonnant une doxa ininterrogée, etc. Mais, si j’en crois le Pierre Birnbaum de « Où va l’Etat ? Essai sur les nouvelles élites du pouvoir », écrit à chaud après les élections, sur les 308 députés LREM, 279 sont des entrants, qui avaient exercé d’autres métiers avant. Et sur les 45 membres du premier cercle de collaborateurs de Macron, 19 venaient du secteur privé. Le parcours de Macron lui-même, passant du public au privé pour revenir au public, le rapproche davantage d’un Jospin ou d’un Sarkozy, que d’un Chirac ou d’un Hollande. Donc, oui, l’inexpérience politique peut jouer à plein, mais elle est liée au dégagisme sur lequel ont fait campagne presque tous les partis lors de la présidentielle.

    -Sur la question de l’âge, je serais moins dur que toi, et plutôt preneur d’élus jeunes. La « sagesse des anciens », où nos chers médias vont interroger à longueur d’année Edgar Morin, Alain Touraine, Régis Debray, ou feu Stéphane Hessel, pour qu’ils délivrent des oracles rances, moi j’ai vraiment du mal…
    Pour ma génération, les figures d’hommes politiques de premier plan apparaissaient comme des vieillards cacochymes. Mitterrand avait l’âge de mon grand-père quand il a été élu président ! Et je ne parle même pas de l’image que j’avais quand j’étais jeune des dirigeants soviétiques qui me semblaient être des momies hors d’âge (comme les papes d’ailleurs), Andropov et Tchernenko passant comme des fantômes.
    Dans notre propre métier, le temps paraît dilaté, avec des thèses longues, des recrutements tardifs, et des mutations qui arrivent tard voire jamais. Si ça ne tenait qu’à moi, j’accélérerai tout ça de manière drastique et radicale !

    Dans la situation actuelle, outre ce que tu signales à raison, je me demande quand même si le caractère inédit et mondialisé de la menace virale ne joue pas à plein. Tu le suggères, d’ailleurs. Ça patauge aussi dans d’autres démocraties, avec des dirigeants très différents de Macron, et entre eux (Trump commande de la chloroquine, quand Johnson attend, horreur, une « immunité » collective…). Il faudra former les futurs dirigeants à la biopolitique foucaldienne. J’ai pris de l’avance sur ce sujet, je pourrai donner un de main ! :)

    Prends soin de toi et des tiens.

    • @ E.T. :
      Merci de tes remarques, qui me permettent d’expliciter certaines choses que je n’ai pas pu dire dans le post. .

      Pour le Modem, il faut dire qu’ils ne sont guère meilleurs que les LREM pur jus. Personnellement, je crois que Macron a au contraire profité de ce scandale des assistants parlementaires européens pour se débarrasser du contre-pouvoir qu’aurait pu représenter Bayrou et les siens. Cette attitude se voit encore aujourd’hui où il refuse d’ouvrir vraiment à une union nationale en faisant entrer au gouvernement des personnalités indépendantes politiquement de son bon vouloir.

      Pour ce qui est du caractère nouveau des élites parlementaires du « macronisme », je crois que cela renforce plutôt mes hypothèses. Au sein des entreprises privées, s’est développée aussi cette gestion au mépris et à coup de tableurs Excel, voire à l’arnaque pure et simple grâce à la communication rabaissée au rang de mensonges. L’actuelle Ministre du travail, ex-DRH d’une grande boîte du CAC 40, ne fait que reproduire au gouvernement son ethos de courtisane zélée. Comme ces entreprises ne fonctionnent plus avec à leur tête de vrais entrepreneurs à la Schumpeter (des ingénieurs ou des commerciaux ayant vraiment des grandes idées), ils sont particulièrement inaptes à faire autre chose qu’obéir ou suivre le vent quand il tourne. L’épisode sur l’allongement du congé parental en cas de décès d’un enfant a été révélateur : le chef actuel du MEDEF a dû siffler la fin de la récréation. En somme, comme la génération des élus « Bleu horizon » de 1919 apportait les qualités et défauts des anciens combattants, nos joyeux macronistes apportent à la politique les qualités et les défauts du groupe dirigeant des (grandes et moyennes) entreprises actuelles. Il faut dire qu’à Lyon, nous avons quelques spécimens bien gratinés qui m’ont fait réfléchir.

      Pour ce qui est de l’âge, je comprends bien ton inquiétude, surtout face aux débris qui osent encore parler en public. Il y a évidemment ce qu’on pourrait appeler un « effet Pétain »: l’homme d’une guerre n’est pas celui de la suivante. Mais il reste pour moi qu’il faut subir des épreuves pour s’endurcir. On peut le faire en accéléré, comme lors de la Révolution et de l’Empire, mais il faut bien comprendre que personne ne se révèle du jour au lendemain un grand chef de « guerre » pour filer la métaphore du grand génie des collines de la Somme.

      Enfin, pour la biopolitique foucaldienne, il faut bien dire que c’est un peu son triomphe intellectuel qui s’annonce. Tu vas avoir beaucoup de travail. Donc prends bien soi de toi et de tes proches.

      • Je te suis globalement.

        Disons, qu’il y a un paradoxe du « dégagisme », mais aussi sans doute de la promotion lyrique de la démocratie participative, du renouvellement des élites, de la fin de la professionnalisation politique, qui est que quand elle se produit, on trouve les nouveaux incompétents, gaffeurs, débordés par la technicité des décisions, mal formés en économie, et évidemment pétris de leur socialisation préalable. Or, si on se passe des professionnels, il faudra aussi accepter que les nouveaux élus « nous ressemblent », et galèrent comme il faut (et je ne parle pas seulement des macronistes).

        J’aurais tendance à penser que le pouvoir est en soi une épreuve qui endurcit, et pas seulement en temps de crise ! Mais là on est quand même dans quelque chose de très inédit et de non-préparable en amont. On verra si Macron en sort endurci…! :)

  4. LE combat va être de montrer que les différences de réponses entre la Chine et la France ne sont pas dues au manque d’autoritarisme mais à l’incompétence dont les effets sont amplifiés par la corruption personnelle inévitable dans les systèmes néo-libéraux.

    Ce néo-libéralisme qui se définit comme une compétence auto-suffisante, donc qui n’a besoin d’expert que pour informer et pas décider, alors même qu’il a prouvé de manière répétée qu’il ne fonctionnait que pour enrichir les plus riches et ne savait traiter aucun problème sociétal.

    PS : quel que soit le système politique, il sera mauvais s’il est préempté par des incapables. Ce qui est à revoir, c’est notre mode de sélection et de formation de l’élite.

    • @ Jean Landry : oui, je suis d’accord, il faut absolument trouver d’autres formes de sélection et de formation des élites dirigeantes. Mais déjà, il faut bien faire comprendre à ceux qui entendent jouer ce rôle aujourd’hui que les sanctions existent, de quelque nature qu’elles soient d’ailleurs (morales, pénales, financières, etc.)

  5. Il y a longtemps que je suis abonné à votre blog. Suleiman 1979 parlait déjà de l’élite française et son culte de l’amateurisme, voir mon blog #zElites https://zelites.wordpress.com/2017/05/10/biblio-zelites-4-suleiman-1979-suite/ A.M.

    • @ alexmoatti: Je suis content de découvrir du coup votre blog, et je vous remercie d’avoir suivi le mien depuis longtemps.

      Vous avez bien raison de me le rappeler. Il est évident que mon post n’invente rien de radicalement nouveau et s’appuie sur des réminiscences de lectures parfois anciennes..

      Dans le genre, une étudiante d’origine biélorusse qui a fait un master sous ma direction avait conclu de tout ce que Suleiman et d’autres décrivaient et qui l’aidait à comprendre les blocages en matière de politique de recherche fondamentale en France : « Avant de venir en France, je n’aurai jamais cru que le socialisme pouvait fonctionner! ». Elle faisait allusion justement à ce que nous étions en train d’étudier : la concentration du pouvoir politique, administratif et économique au sein d’une toute petite élite, ressemblant beaucoup à la nomenkatura qu’elle connaissait bien. C’était une remarque d’il y a plus d’une dizaine d’années: maintenant, on va tous découvrir à nos dépens que ce mode de fonctionnement des « Bonzen » ne fonctionne pas. C’est la « Nemesis ».

  6. Il est des textes que l’on enrage de ne savoir écrire et puis voila ce courant d’air frais ! Comme on dit en Italie de vrai « svergognati »

  7. « Cela interroge bien sûr le modèle de formation dans lequel j’ai travaillé depuis plus de 20 ans. Nous devrons sans doute nous aussi balayer devant notre porte. »
    Exact, on le voit particulièrement chez les députés et sous secrétaires d’Etat. Des Sciences Po ayant échoué à l’ENA.
    Pour rappel bibliographique Alain Denault « La médiocratie » Lux Éditeur.

    • @ Mosca Michel: oui, et j’ai malheureusement quelques exemples à citer pour Science Po Grenoble. Cela fait tout de même bien réfléchir.

      Sur le livre de A. Denault, dont plusieurs personnes m’ont signalé l’intérêt à l’occasion de ce post, je le met sur la liste de mes lectures, dès que je peux me le procurer. Ce qui risque de ne pas être demain…

  8. Il y a beaucoup de choses qui méritent d’être débattues dans votre passionnant article, mais votre passage sur l’irresponsabilité des élites est passionnant avec cette spécificité française du monde des affaires : combien de condamnations en France après la crise de 2008 vs les États-Unis pour les patrons de banques publiques ou privées ?
    À titre d’exemple, M Pierre Richard dont la gestion de Dexia à coûté 10 milliards d’euros aux contribuables belges et français jouir toujours d’une retraite chapeau de 300 000 euros annuels alors qu’il devrait être en prison depuis longtemps…

    • @Edouard92 : oui, cela pourrait faire partie des exemples auquel je pensais. Globalement, le risque d’être vraiment puni au delà d’un certain seuil de rémunération et de prestige est quasi-nul en France.

  9. Coco le haricot

    Merci pour cette analyse qui me paraît juste et argumentée. Désastre pour la France, je rajoute simplement que depuis que ce gouvernement est au pouvoir les crises qu’il orchestre par son incompétence se succèdent : toujours un temps de retard…

  10. J’apprécie votre article. D’autant plus que je suis un petit chef d’entreprise que la crise actuelle risque bien de mettre en faillite. Sanction évidente, concrète et incontournable. Et j’apprécie que vous ayez évoqué cette réalité.
    Nos ministres nous ont annoncé qu’aucune entreprise ne ferait faillite. Mais qui sont-ils pour pouvoir affirmer cela ? Surtout lorsque l‘on compare les moyens mis sur la table pour les TPE en Allemagne et en France. L’Allemagne gère mieux la crise sanitaire et prévient aussi bien mieux la crise économique. Nous sommes donc condamnés à attendre, pour pouvoir retravailler, que ces puissants veuillent bien s’entendre afin d’accorder le réel avec leurs petits intérêts financiers…
    A l’heure des comptes, nous verrons les faillites par milliers, les restaurants, les bars, les commerces, l’événementiel, les DJ, les traiteurs, les fleuristes, les coiffeurs, les garagistes…
    Et nos chers dirigeants s’apercevront alors que la dynamique de l’emploi, en France, c’étaient ces entreprises du coin de la rue.
    Mais pour autant, je serais moins dur que vous ne l’êtes avec nos élites gouvernementales. Simplement parce qu’elles sont prises en sandwich entre deux autres réalités bien plus larges :
    1- La faillite du management.
    Et là je vous rejoins, nous sommes bien face à une pure conséquence du néolibéralisme financier. Mais pas que.
    Quand je demande à mes étudiants, futurs ingénieurs, ce qu’ils veulent faire ensuite : la moitié me répond « chef de projet ».
    Je leur explique que ce n’est pas un métier. Car quand je prends ma douche, je suis chef de projet hygiène ; quand je fais le repas, je suis chef de projet cuisine. Plombier c’est un métier, cuisinier aussi. Chef de projet, ce n’est pas un métier. A leur niveau de jeunes de 22 ans, alors même qu’ils ont fait des études d’ingénieur, ils sont formatés par la gangrène des généralistes sans métier.
    Et quand je leur demande ce qu’est un bon manager, ils ne parlent pas d’autorité, ils ne parlent plus que de communication. Et c’est pour cela que vous ne pouvez pas vous affranchir des désastres du progressisme égalitariste, qui a voulu abolir toute forme de verticalité. Partout dans les grandes entreprises, on nomme chefs les bons communicants, sans pour autant qu’ils soient exemplaires dans leur métier. Comment s’étonner, à ce compte-là, que nos gouvernants ne sachent plus faire que de la com. Ce n’est pas leur seul désastre, c’est un désastre général dans lequel l’école a joué un rôle décisif.
    2- La faillite européenne
    Pas un mot sur l’Europe dans votre article. Je le regrette. François Mitterrand avait dit à la fin de son second mandat : je serai le dernier président avec du pouvoir. Il savait ce que Maastricht allait provoquer : la relégation de la France à une région. Et donc la relégation des élites françaises à des exécutants d’une politique néolibérale définie à Bruxelles. Les anciennes élites qui ont fait la France ont toujours eu le souci de sa souveraineté et de sa grandeur : de Louis XIV à de Gaulle, en passant par Napoléon. Et les ministres autoproclamés et obéissants que vous évoquez, obéissent à leur Macronidole, oui. Mais lui-même est le pion s’un système technocratique inventé et entretenu par des gens non élus.
    Il faut réécouter le discours de Seguin à l’assemblée nationale en juin 1992. Tout y avait été prophétisé.
    Alors comment attirer des élites valables sans souveraineté et dans un cadre sociétal où le management n’est plus qu’éléments de langage et communication ?
    Jean-david Gallet

    • @ Gallet: J’espère de tout cœur que votre entreprise et vous-mêmes se sortiront de cette crise.
      Je suis d’accord sur le point 1, il rejoint ma critique : nous sommes gérés par des généralistes sans métier. Vous insistez sur la com. Là encore, vous avez raison. J’avais d’ailleurs été frappé il y a quelques années en enseignant à des futurs ingénieurs ENTPE de leur faible niveau technique et scientifique, guère meilleur que nos Science Po avec lesquels ils étaient mis dans le même cours. Ils m’avaient expliqué que, dans les faits, ils avaient finalement peu de cours spécifiquement technique ou scientifique en ingénierie, mais beaucoup de « management » pour « comprendre les enjeux » (sic). C’est sûr que les discours creux finissent par faire des étudiants médiocres à la sortie.
      Sur le point 2, je ne parle pas de l’Europe, parce que la formation et la sélection des élites reste nationale, même si idéologiquement il existe un fond commun qu’on appelle le « néo-libéralisme » ou le « New Public Management ». On voit bien d’ailleurs (un mois après) que les pays européens réagissent plutôt différemment à la crise. Les Allemands semblent avec les Autrichiens tenir la corde en matière de sérieux et de prudence. Or la formation de leurs élites passe par l’Université ou bien par l’expérience duale (école/apprentissage).

  11. Un texte lu récemment indiquait que jusqu’aux années 80/90 les élites populaires intégraientles hautes écoles et donc amenaient du sang neuf au sein des élites dirigeantes. Un effet négatif a été de diminuer l’intelligence collective de la classe populaire et donc des résistances aux gouvernements.
    Depuis l’accaparation des hautes écoles par les enfants des élites, le niveau intellectuel de la classe dirigeante est en baisse permanente et s’atrophie en pouvoir de décision quand toutes les données ne sont pas connues. On le voit bien dans le contexte du covid-19. Ainsi il est bien connue que toutes les données et le nombre de morts ne sont connus qu’à la fin de la guerre. Science Poet l’ENA a donc bien besoin dechanger de modèle de formation et ne plus générer des automates, qui croie t connaître la vérité.
    L’avantage de l’exclusion de l’intelligence populaire dans l’élite est l’accroissement de l’intelligence des élites populaires. Celle-ci devenant probablement supérieure aux élitant des classes supérieures.
    Ces idées sont peut-être de F. Lordon
    Bravo pour vos textes’ ceux-ci permettant de faire avancer notre réflexion.

    • @ Hoelt Philippe : la clôture sociale des grandes écoles est effectivement très bien décrite par les sociologues. Entre les années 1950 et les années 2000, le mouvement est impressionnant. Cela éloigne de fait les élites de toute compréhension des classes populaires et moyennes. C’est aussi le phénomène des « fils/fille de » très visible dans certains secteurs.
      Sur l’intelligence populaire qui ne serait augmentée, je ne sais pas. Je crois surtout que cela augmente la frustration, et provoque dans certains cas l’émigration hors de France.

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