« Que ceux qui sont responsables soient sanctionnés ».

Ce matin, j’avais entendu vaguement aux nouvelles matinales que notre président de la République avait appelé à des « sanctions » contre les responsables de la crise financière en cours. Je n’y avais pas cru, mettant ces propos sur le compte de ma difficulté à me réveiller. D’après le Monde, daté du 24 septembre, que j’ai pu lire cet aprés-midi, il s’agirait d’une déclaration faite lors de la réception donnée en son honneur dans un restaurant de New York pour la remise du Prix humanitaire de la Fondation Elie Wiesel. Celle-ci aurait été : « Qui est responsable du désastre? Que ceux qui sont responsables soient sanctionnés et rendent des comptes et que nous, les chefs d’Etat, assumions nos responsabilités ». Libération donne une information semblable. Ces « propos de table » m’ont irrésistiblement fait penser à la réaction habituelle de N. Sarkozy lors de quelque drame survenu sur le territoire français ; à chaque fois, le ou les « responsables » doit/doivent être identifié/s et bien sûr sanctionné/s. On ne dégrade plus en place publique, on ne fusille plus sur l’heure, on n’utilise plus le pilori, mais l’idée semble  être un peu la même qui se résume ainsi: première erreur égale sanction définitive (enfin dans le cadre de l’Etat de droit) quelque soient les états de service de la personne considérée. Cela est censé plaire au « peuple » qui demande que les élites irresponsables soient punies pour les fautes dont elles se rendent coupables. N. Sarkozy semble dans cette déclaration, qualifiée de « sortie » par le Monde sous la plume d’Arnaud Leparmentier, vouloir suivre le même processus pour la crise financière, comme si les financiers de Wall Sreet, de la City ou d’ailleurs étaient de vulgaires serviteurs de l’Etat français limogeables à la première (grosse) bourde.

Bien évidemment, une telle déclaration est absurde : s’il y a des « sanctions », elles seront prises  par les marchés, qui vont se débarrasser (en principe) des mauvais gestionnaires en les renvoyant (pour un temps) dans leurs foyers, et il est donc inutile qu’un homme politique appelle à ce que le marché fasse son office (l’on voit mal en effet une loi dans un pays capitaliste interdisant à tous les financiers actifs avant juillet 2007 d’exercer tout métier en rapport avec la gestion de l’argent pour le restant de leurs jours); et, si on entend par « sanctions » des poursuites judiciaires ou administratives de quelque nature que ce soit, il faut d’urgence rappeler à notre Président que la spéculation ou simplement les erreurs de gestion pourvu qu’elles soient faites de bonne foi dans le cadre d’un aveuglement collectif au niveau de risque pris (le fameux « paradoxe de la tranquillité » d’Herman Minsky) ne sont pas des délits punissables par quelque loi que ce soit. Ni le panurgisme ni l’apreté au gain ne sont des délits. Seuls des individus particuliers qui ont effreint les lois en vigueur sont sanctionnables (ce qui va concerner sans doute une minorité de financiers et de banquiers bien loin du nombre de tous ceux qui ont participé à cette bulle spéculative). Comme les lois ne sont pas rétroactives (surtout dans un système légal aussi raffiné et soucieux des droits de la défense que celui des Etats-Unis), il n’existe donc aucun moyen humainement concevable de « sanctionner » (au sens légal) les banquiers et financiers qui ont amené ce joyeux désastre. Seule une Révolution (qui punirait les gens pour des actes légaux au moment où ils ont été commis) pourrait « sanctionner », couper si nécessaire les têtes de ces « gnomes de Londres » (comme disait Edith Cresson si je me souviens bien) comme de vulgaires fermiers-généraux sous la Terreur. Cela m’étonnerait en effet que N. Sarkozy nous propose un « Tribunal de Nuremberg » de la finance internationale… suite au Grand soir enfin advenu par ses soins. Si pour finir N. Sarkozy veut dire par là, qu’il faut plus de régulation des marchés financiers et de leurs opérateurs, ce n’est pas là une « sanction », à moins que l’on considère les financiers comme des joueurs que l’on priverait de fréquenter leur casino favori. (Ils n’auront qu’à se mettre à jouer au poker en ligne, les dégâts sociaux seront moindres).

Bref, il semble bien que N. Sarkozy ait gardé un peu de cet ethos de Ministre de l’Intérieur  un brin populiste qui lui a si bien réussi. Pour se montrer à la hauteur de cette crise, cela ne va pas suffire : en même temps, je comprends qu’il veuille s’en prendre à tout prix à des « responsables », en effet, si les prévisions de croissance pour la France à la suite de cette crise financière s’avèrent exactes (1% de croissance prévue en 2009 ), notre Président va vivre des heures sombres du côté de sa popularité. Les élections européennes de juin 2009 s’annoncent comme un calvaire pour l’UMP; elles pourraient même redonner vie au PS. C’est dire.

PS. Le lendemain, j’ai eu l’impression que je n’avais pas été le seul à remarquer l’inconguité de l’idée même de « sanctions » en une telle matière. Cela n’a pas empêché cependant Libération de titrer sur « Punir l’argent fou » en reprenant implicitement au moins l’idée de N. Sarkozy, que celui-ci a plus ou moins réexprimé ensuite, en particulier lors d’une conférence de presse, où il aurait dit en gros que, si on savait qui avait reçu les « bonus » quand  cela allait bien, on connaissait donc les responsables à punir. Je n’ai pas été le seul à ironiser sur la longueur de la chaîne de responsabilité qu’une telle situation engageait : du trader jusqu’à l’ancien Président de la « Fed » (jusqu’il y a encore deux/trois ans le génie absolu en matière de gestion macro-économique), en passant peu ou prou par l’ensemble ou presque des direigeants des banques.

Il semble par ailleurs que le FBI se soit lancé dans une chasse au « financier véreux »; il est vrai qu’il serait utile de trouver quelques « boucs émissaires » à proposer à la vindicte populaire. Comme dirait René Girard, cela refera sens et communauté après que la crise financière ait révélé la réalité des rapports économiques entre groupes d’individus inégaux, mais, comme me l’a appris l’expérience des scandales « Mains propres » en Italie, cela ne changera rien au système socio-économique en vigueur, cela brisera juste les destins des quelques malchanceux qui se feront prendre et juger en premier. Si une telle enquête sur d’éventuelles malversations aboutissait à des inculpations, cela ne veut pas dire d’ailleurs qu’in fine, les inculpés seront condamnés à quoi que ce soit, simplement leur peine sera de devoir subir un long processus judiciaire.

Plus sérieusement – à moins que le FBI ne découvre un « complot » (juif? comme dirait le président iranien) au coeur de la finance internationale destinée à déstabiliser ainsi les Etats-Unis et  par là le monde  capitaliste -, « punir l’argent fou » ne peut vouloir dire qu’arrêter à partir de maintenant des pratiques jugées désormais dangereuses. Libération détaille d’ailleurs diverses propositions, faites par des chercheurs ou praticiens. La « foire aux idées » est ouverte : apparemment, le MODEF lui-même serait sur le point de proposer d’interdire les « parachutes dorés », mais là encore, le droit n’étant pas rétroactif, les patrons ayant une telle clause dans leur contrat pourrait en profiter à l’avenir (il reste à souhaiter alors qu’ils restent tous en place sans avoir à faire jouer la dite clause). Mais je le répète, « punir quelqu’un » ou « le sanctionner » ne consiste pas à lui supprimer son jouet – comme on ferait pour un adolescent qu’on prive désormais de Playstation pour l’obliger à faire ses devoirs correctement.

Un détail encore : Pervenche Bérès, socialiste française, ex-« noniste », député au Parlement européen, interrogée par le Monde en tant que présidente de la Commission compétente du Parlement européen, déclare que : « Au delà de l’examen des textes aujourd’hui à l’étude dans le domaine de l’assurance et de la banque, nous pourrions mettre en place en 2009 un comité des sages dont le mandat serait de réfléchir à la future supervision européenne [des banques et du système financier en général]. Il s’agit de donner un certain rôle à la BCE.  » Je n’ai pu manquer de sourire en voyant les délais annoncés par la très radicale P. Bérès, tout cela nous mène au mieux en 2010; de l’autre côté de l’Atlantique, le Congrès est sommé par l’Administration Bush et la  Fed de légiférer sous la huitaine, et, si tout se passe comme prévu, il  va voter l’équivalent d’un Patriot Act pour la finance. A ce genre de déclaration faite en toute bonne foi, et tenant compte de la réalité telle qu’elle est percue par une personne au coeur des processus décisionnels de l’UE, on mesure le problème de décision qui l’afflige  dès qu’elle confrontée à une crise grave supposant de légiférer . L’ordre juridique européen ne peut en effet être que changé lentement, et, si on veut vraiment créer une super-BCE avec des droits de supervision de tous les acteurs financiers opérant sur le territoire de l’UE (ce qui me paraît ne pas être une idée indigne), j’ai bien peur qu’on doive en passer par un nouveau Traité… Et personne, à part les Français peut-être, ne veut rediscuter au fond du statut et des missions de la BCE!

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