R. Wilkinson et Kate Pickett, The Spirit Level. Why Equality is Better for Everyone.

Le livre de deux spécialistes d’épidémiologie, Richard Wilkinson et Kate Pickett, The Spirit Level. Why Equality is Better for Everyone (1ère édition 2009, 2ème édition, Penguin Books, Londres, 2010, que je cite ici) vient d’être traduit en français chez Demopolis (Paris) sous le titre L’égalité c’est la santé, avec une préface d’un diabétologue, André Grimaldi. Il faut d’abord saluer le choix de cette maison d’édition. Ce livre m’a paru excellent et bien digne d’attirer l’attention du lecteur français, mais il faut aussi lui reprocher d’avoir choisi un tel titre, certes amusant.  Mais cela tend à limiter le propos des auteurs aux seuls aspects de santé publique qu’ils traitent effectivement, alors que, justement, l’intérêt de l’ouvrage est d’être parti de leurs précédentes recherches en santé publique comparée pour (re)découvrir la totalité sociale à l’œuvre derrière des problèmes publics généralement traités de manière séparée.

L’ambition des auteurs dans la version originale est donc bien plus large que la seule santé publique au sens strict. Il s’agit de fournir des arguments rationnels à ceux qui sentent intuitivement que l’égalité sociale entre les individus s’avère une meilleure façon d’organiser une société humaine que les inégalités sociales, la compétition acharnée et la hiérarchie fondée sur l’argent, ceci si l’on a cœur de promouvoir le plus grand bonheur du plus grand nombre, si l’on veut sortir du paradoxe de sociétés matériellement plus riches que jamais mais guère plus heureuses pour autant par bien des aspects. Il s’agit profondément pour les auteurs de rouvrir l’avenir, de redonner sens à un progrès de l’Homme appuyé sur les acquis de la Science.  Autrement dit, il faut revenir au pacte « positiviste » d’antan entre la Science et la Société. Bien sûr, comme toute démonstration en sciences sociales, elle ne saurait convaincre qu’une partie du public : les auteurs ne s’attendent pas à ce que leurs propos emportent la conviction de ceux qui sont justement les gagnants de ce système inégalitaire et hiérarchique, ni non plus de ceux qui en sont les thuriféraires.

L’originalité de l’ouvrage est par ailleurs d’être résolument à mi-chemin entre la démonstration scientifique et l’essai politique. Dans la version originale, pleine d’allusions à des idiotismes américains ou britanniques, ils  mêlent habilement les deux sans cacher aucunement leurs objectifs liberals.  Un libertarien partisan d’Ann Ryan ou un simple néolibéral cherchera sans doute à brûler ce livre socialiste, collectiviste, communiste, unamerican, utopique, marxiste, etc. en place publique dès qu’il en aura parcouru les premières pages.  Les auteurs tiennent un discours dans un contexte anglo-saxon, où l’idée même d’égalité sociale est presque devenue obscène avec les années pour une grande partie des commentateurs, et où la suspicion est de plus absolue entre les différents camps  idéologiques en présence. Ainsi les deux auteurs vont travailler essentiellement sur des corrélations portant sur des données agrégées rendant compte de la situation dans une vingtaine de pays développés et dans les cinquante Etats des Etats-Unis d’Amérique, or il est frappant de les voir préciser à maintes reprises que les données sur lesquelles ils se fondent sont établies par des institutions nationales ou internationales reconnues, comme si une partie de leurs lecteurs allait de toute façon nier leurs sources tant ce qu’ils démontrent s’avère a priori inacceptable pour la droite anglo-saxonne.

En effet, leur démonstration revient à montrer que,  plus l’inégalité sociale dans un pays développé ou dans un État fédéré des Etats-Unis s’avère forte, plus toute une série de problèmes sociaux prennent de l’importance. Le lien entre PIB/habitant et problèmes sociaux constatés s’avère par contre inexistant dans cette partie des sociétés humaines qui ont dépassé le stade d’évolution économique et sociale, où l’augmentation de la richesse matérielle induit une augmentation de la satisfaction mesurée par les sondages d’opinion ou de l’espérance de vie mesurée par les statistiques de la mortalité (chapitre 1).

Ils étudient ainsi successivement :

– la sociabilité et la confiance  (chapitre 4),

– la santé mentale et l’usage des drogues (chapitre 5),

– la santé et l’espérance de vie  (chapitre 6),

– l’obésité  (chapitre 7),

– les performances scolaires (chapitre 8),

– les maternités précoces (chapitre 9),

– la violence physique (chapitre 10),

– la répression pénale et les taux d’emprisonnement (chapitre 11),

– la mobilité sociale intergénérationelle (chapitre 12).

Le parallélisme des différents classements est pour le moins  étonnant : la situation la plus typique voit les Etats-Unis, les pays de langue anglaise, et le Portugal  à une extrémité (celle du maximum du problème social étudié en corrélation avec une inégalité sociale maximum), et le Japon et les pays scandinaves à l’autre extrémité (celle du minimum du problème social étudié en corrélation avec le minimum d’inégalité sociale), les autres pays développés oscillant au centre du classement selon les cas.  Le plus souvent, les Etats-Unis sont seuls à une extrémité de la droite de régression où s’alignent les autres pays considérés, et de surcroît plus haut dans le problème que ne le suggérerait une simple logique d’ajustement linéaire du nuage de points. Pour le taux d’homicide par millions (p. 135), les Etats-Unis se situent ainsi à plus de 60, alors que le Portugal, le second plus mal placé, n’atteint que moins de 40, et que la plupart des pays développés se situent à un peu moins de 20. On observera d’ailleurs que la Finlande se trouve en situation d’outlier négatif (égalité sociale et beaucoup d’homicides) et Singapour d’outlier positif (inégalité sociale et peu d’homicides); bien que les auteurs n’insistent guère sur cet aspect, tout le signalant, cela montre sans doute que la situation américaine cumule deux effets distincts : celui lié à l’inégalité sociale et celui lié à la disposition facile ou non d’armes à feu.

Les auteurs proposent à chaque fois que c’est possible la même étude de corrélation entre un indicateur d’inégalité et les différents problèmes sociaux à l’échelle des Etats fédérés des Etats-Unis. Là encore, le résultat s’avère frappant : les Etats où le coefficient de Gini (qu’ils utilisent comme indicateur d’inégalité) montre une forte inégalité de la répartition des revenus entre individus sont statistiquement les mêmes où les problèmes sociaux se multiplient à l’envi, et inversement. De plus, comme par un terrible hasard, on retrouve presque toujours en plus mauvaise position, les anciens Etats de la Confédération (1860-1865), semblant bien là indiquer la rémanence de l’inégalité par excellence entre individus, l’esclavage. La Lousiane constitue ainsi un cas remarquable à presque tous points de vue. Les suites catastrophiques de l’Ouragan Katrina dans cette région des Etats-Unis peuvent être vus du coup, non comme une suite de malheureux coups du sort, mais comme une synthèse de la situation relative de  cet État du Deep South dans l’espace américain.

Comme chacun sait toutefois « corrélation n’est pas raison », et les auteurs n’ignorent pas cette considération banale en sciences sociales. L’originalité de l’ouvrage est de donner, si j’ose m’exprimer ainsi, une base « bio-sociologique » micro à ces phénomènes macro. Pour les auteurs, rendant compte à la fois des acquis de l’éthologie animale (sur les primates), de la psychologie,  de l’économie expérimentale, de la biologie, une situation de très forte inégalité matérielle dans une société donnée provoque des désordres à la fois psychologique et biologique chez presque tout le monde (d’où le titre en anglais qui insiste sur le fait que « l’égalité c’est mieux pour tout le monde » – à savoir : riches compris). Les personnes situées au plus bas de la hiérarchie « somatisent » leur situation, les personnes qui sont situées au dessus d’elles ne veulent pas être à leur place et font de même dans une moindre mesure, et même les personnes situés au plus haut craignent plus de perdre leur premier rang que dans une société plus égalitaire. Ainsi, pour les auteurs, l’obésité et son augmentation contemporaine dans les pays qui deviennent plus inégalitaires sur le plan des revenus ne sont pas liés à une diète particulière, mais  bien plutôt aux conséquences d’une adaptation biologique au stress d’origine sociale ressenti. A cette explication instantanée, ils ajoutent un effet à moyen terme des inégalités sociales :  les conditions de la toute petite enfance déterminent à travers le stress social des parents, de la mère en particulier,  les adaptations de l’enfant à ce stress via des mécanismes biologiques qui , en activant certaines potentialités génétiques, inscrivent à long terme dans le corps cette circonstance défavorable pourtant limitée dans le temps. Les auteurs retournent donc comme un gant l’approche « sociobiologique » qui fait des grandes lignes de la vie sociale  des humains une conséquence de  la génétique, en pensant pouvoir démontrer que la situation sociale relative, présente et passée, des individus – leur rang – détermine leur fonctionnement biologique et psychologique, et par là ce qu’on identifie ensuite comme problèmes sociaux. Une telle approche naturaliste, qui n’établit pas de barrière entre le « social », le « psychologique » et le « biologique », repose sur une conception de l’homme, comme dirait Aristote, comme Zoon politikon, avec une nuance de taille bien sûr, Darwin est passé par là : ces mécanismes d’adaptation biologique enclenchés par le statut social relatif seraient issus de notre évolution. L’homme est en effet ici défini (implicitement) comme un primate communautaire qui ne peut pas se passer pour son estime de soi du jugement d’autrui. (C’est Luc Ferry qui va être content, lui qui parcourt ces jours-ci les studios de radio et les plateaux de télévision en répétant que le problème de la violence à l’école est un problème d’estime de soi chez les jeunes… il se pourrait que la science lui donne raison.)

Pour les deux auteurs, l’inégalité des revenus importe parce que, dans les sociétés telles que nous les connaissons, c’est là le moyen essentiel, presque unique, de juger de la valeur de quelqu’un à première vue. On remarquera d’ailleurs que les autres valeurs reconnues à un individu (celles du sport, de la science ou de l’art par exemple) ont tendance à être ramenées à l’étalon commun de la richesse monétaire – ou à être dévalorisés par contrecoup comme valeurs si ce n’est pas le cas. Les auteurs se réfèrent souvent à Alexis de Tocqueville sur ce point, ils retrouvent aussi une idée d’un disciple de ce dernier au XXème siècle, Louis Dumont, qu’ils ne connaissent  pourtant visiblement pas : l’affirmation de l’égalité des conditions ne veut pas dire disparation de la hiérarchie entre groupes, mais naissance d’une concurrence pour le rang via le marché. Pour les auteurs, suivant ici la conception de la « consommation ostentatoire » de Thorstein Veblen, l’augmentation de la richesse monétaire de nos sociétés dans sa forme individualisée (c’est-à-dire par exemple être capable de construire des yachts, villas sur une île de Dubaï et autres hochets pour des milliardaires, mais plus d’aller au nom de l’Humanité sur la Lune ou Mars) ne nous sert plus collectivement à rien, sinon à re-créer en permanence de la différence, de l’ordre hiérarchique, de la distinction comme dirait Pierre Bourdieu dont les auteurs citent les travaux. Cette idée s’avère la même que celle mise en valeur par l’économiste britannique, Richard Layard : le désir de distinction, qui se traduit par la poursuite de biens matériels qui ne valent que relativement à ceux que les autres n’ont pas, conduit à une externalité négative pour la société. On sort complètement ici du paradigme néolibéral du trickle down economics, selon lequel les riches en s’enrichissant par leur activité débordante d’enthousiasme créatif motivé par la poursuite d’une Rolex ou autre colifichet, surtout si l’État ne les taxe pas beaucoup, finiraient par enrichir tout le monde en faisant dégouliner leurs richesses (par leurs dépenses par exemple) sur toute la société. Ici les riches qui montrent qu’ils s’enrichissent produisent surtout une forte dévaluation de tous les autres  individus qui se sentent ainsi déclassés et qui s’échinent  du coup à suivre le rythme imposé pour rester simplement au niveau de revenu minimal pour paraitre aux yeux d’autrui un citoyen respectable.

Cette vision globale des deux épidémiologistes tend aussi à remettre à leur place toutes les politiques sectorielles. En effet – et c’est plutôt rare dans les sciences sociales contemporaines – les deux auteurs assument une vision holiste du fonctionnement social. Par exemple, pour prendre un exemple d’actualité, si l’on veut vraiment combattre la violence scolaire pour autant qu’on prenne au sérieux ce concept, il ne sert pas à grand chose d’imiter les bonnes pratiques des pays où la violence scolaire s’avère faible (et il est certes encore pire d’imiter les mauvaises pratiques des pays où la violence scolaire est à son maximim comme on s’apprête à le faire un peu plus malgré les avis contraires des chercheurs  ….), il faut admettre que  ce sont les écarts excessifs de statut des parents, et par là des enfants, qui doivent être modifiés. Il ne faut pas agir comme des Finlandais, mais être aussi peu inégalitaires entre nous que des Finlandais… Bien sûr, comme cela apparait impossible car trop opposé à ce qu’est (malheureusement)  la société française, et surtout trop coûteux, on préfère discuter d’autres (fausses) solutions.

La version originale de l’ouvrage a suscité peu de réaction jusqu’ici en français. Nous n’avons découvert que celle de Julien Damon, un collègue de Science Po Paris, dans une note de lecture de l’ouvrage qu’il a produit pour Sociétal, n° 66, 2009, pp. 127-133, et qu’on trouvera via Google sur son site Internet. Au delà de la qualité factuelle de sa chronique, il me semble cependant qu’il se trompe sur l’horizon intellectuel de l’ouvrage : selon J. Damon, « Le message précis du livre est une critique à l’endroit des riches pour les conséquences néfastes de leurs activités et comportements.[ce qui est vrai en partie] Au-delà des riches, c’est la richesse même qui est critiquable. » [ce qui est faux], puis, plus loin, il ajoute : « Au total, l’ouvrage peut sans aucun doute grandement satisfaire les amateurs des théories de la décroissance, les malthusiens qui considèrent que nous sommes trop nombreux et trop riches sur terre et tous ceux qui veulent la révolution en faveur d’une autre société plus soucieuse du bien-être que de la croissance ». Or, à les lire, les auteurs ne nient aucunement que les pays en voie de développement doivent augmenter leur niveau de vie matériel jusqu’à un seuil de suffisance matérielle situé par eux à un revenu d’environ 25000 dollars par habitant – c’est même une des raisons de justice globale qui imposent aux pays déjà riches de produire et de consommer plus intelligemment. L’enrichissement n’est donc pas critiquable en soi, mais  la recherche de la consommation ostentatoire l’est avec la violence symbolique mais aux effets (psychologiquement et biologiquement) réels qu’elle induit sur autrui! Concept de « violence symbolique » que notre collègue dit ne pas comprendre sans doute pour n’y avoir jamais été soumis, ou parce que cela sent trop son Bourdieu?  Les auteurs ne sont pas non plus malthusiens – ou, alors, chercher à réduire les grossesses précoces et la mortalité infantile serait du malthusianisme? Quant à faire la révolution, nos deux auteurs écartent très explicitement une telle idée pour la charge de violence physique et de désordre qu’elle comporte : ce que J. Damon occulte (alors même qu’il cite en note R. Layard), c’est la filiation clairement utilitariste d’un tel ouvrage. Un utilitarisme dans la filiation de Bentham, mais rénové en ce qu’il veut tenir compte des acquis contemporains des sciences, et en ce qu’il prend en compte dans le calcul des plaisirs et des peines les effets induits des plaisirs des uns sur les plaisirs des autres. On peut qualifier l’approche de positiviste, comme je l’ai fait plus haut, ou même de scientiste, mais on ne peut pas accuser nos auteurs comme le fait J. Damon dans un autre passage de croire que les sociétés humaines ne vont plus progresser. Au contraire, nos deux compères veulent rouvrir les voies du Progrès.

Ici le discours m’a paru particulièrement séduisant : les auteurs indiquent que leur idée d’un lien consubstantiel entre inégalités sociales et problèmes sociaux au niveau macrosociologique peut servir d’idée directrice à la gauche, qui trouverait ainsi une nouvelle motivation pour réduire drastiquement les inégalités de revenu. De manière fort subtile, les auteurs indiquent bien que cette égalisation des revenus peut venir aussi bien de résultats de marché égalitaires de ce point de vue (cas du Japon ou de certains Etats des Etats-Unis), que de politiques fiscales redistributives (cas des pays scandinaves ou de certains Etats des Etats-Unis). Il n’existe pas une seule voie vers l’égalité des revenus. De façon réaliste, les auteurs rappellent que les grands moments d’égalisation des revenus ont tenu dans l’histoire des deux derniers siècles à une gamme limitée d’évènements politiques : une tentative des conservateurs de faire contre-feux à une protestation sociale montante, une guerre à financer dans l’indispensable unité nationale, une prise du pouvoir par des forces progressistes suite à de violents conflits de classe. Bien qu’ils remarquent ces circonstances historiques, et suivent largement l’analyse de Paul Krugman dans l’Amérique que nous voulons sur ce point (1ère édition sous le titre The Conscience of a Liberal, 2007, Paris, Flammarion, 2009) qui retrace une telle évolution de nature politique des inégalités de revenu aux Etats-Unis sur les deux derniers siècles, les auteurs préconisent toutefois une montée en puissance de l’égalité des revenus sur le moyen terme à travers le renforcement d’un puissant secteur d’économie sociale comme on dirait en France. J. Damon n’a pas trouvé cela très convainquant; pour ma part, j’ai été frappé de voir que les auteurs en reviennent à un appel au « tiers secteur », à la « coopération » tel que l’économiste français Charles Gide le faisait déjà au début du XXème siècle. Le problème de ce dépassement ou contournement du capitalisme par le bas, à travers les pratiques économiques coopératives, me paraît être son instabilité intrinsèque dans des sociétés qui restent dominées par la poursuite du statut social par le moyen de l’argent. Il y aura toujours à terme un groupe de dirigeants qui chercheront à privatiser la coopérative à leur profit.

Il va donc sans dire que, par déformation professionnelle, je suis bien plus convaincu par l’existence de moments de réajustements en un sens ou dans l’autre des inégalités sociales, correspondant à des rapports de force politiques, à la fois internes et externes à la société considérée. De ce point de vue, la crise de l’endettement public qui se profile  dans  bien des pays européens peut être tout aussi bien une opportunité pour les forces néolibérales de liquider une bonne part de ce qui reste de l’État social, que pour des forces progressistes d’ imposer un ajustement  fiscal égalitariste au nom même de la stabilité sociale, voire de la sécurité nationale.

8 réponses à “R. Wilkinson et Kate Pickett, The Spirit Level. Why Equality is Better for Everyone.

  1. Content que l’ouvrage vous ait intéressé, et désolé de voir que Julien Damon s’est si lourdement trompé sur la conclusion de l’ouvrage. J’ai rédigé mon mémoire sur ce sujet, et j’avais lu les prédécesseurs de cet ouvrage, dont M. Marmot, The Status Syndrome : How Social Standing Affects Our Health and Longevity, et Unhealthy Societies: The Afflictions of Inequality , l’autre ouvrage de R. Wilkinson sur le sujet (Marmot et Wilkinson sont tous les deux, à des degrés différents, des figures influentes dans le domaine des inégalités de santé outre-Manche).

    Concernant l’approche « bio-sociologique », c’est exactement ça. Un chapitre publié dans le récent livre Successful Societies de Peter Hall et Michèle Lamont explique bien comment cette approche fonctionne (et le reste du livre tente de donner une base historique-institutionnaliste à l’étude des inégalités de santé). Certains travaux sur les inégalités de santé utilisent aussi beaucoup de psychologie pour qualifier certains mécanismes (comme celui de la domination dans une hiérarchie professionnelle).

  2. Merci pour cette note de lecture roborative et passionnante ! La science au service d’un socialisme démocratique ? C’est J. Généreux qui va être content… Concernant les voies vers l’égalité sociale, il est frappant de voir à quel point les projets de réhabilitation de la fiscalité se multiplient. Certains de leurs promoteurs (Hollande récemment) insistent cependant sur le fait que cela fera « mieux passer » certains sacrifices. D’où l’idée plus ambitieuse que l’égalité sociale se construit aussi en amont, lors de la distributions primaire des revenus : c’est peut-être une explication de l’évocation par les auteurs du modèle coopératif.

  3. @ Fr. : vu vos sujets d’intérêt, je me doutais bien que vous auriez déjà lu ces auteurs…

    Pour ma part, il faut bien vous rendre compte de la nouveauté que constitue un tel mélange « bio-social » par rapport à l’horizon à la Max Weber ou à la Durkheim qui se trouve être le mien, d’où mon intérêt face à ce genre de démarches, pour moi (par rapport à mon parcours) très innovantes.

    @ fabien e. : oui, les auteurs tendent bien à avoir cette idée que le capitalisme anglo-saxon habituel qui tend à produire de très forts écarts de revenus doit être subverti par une autre économie, via des entreprises coopératives essentiellement. Ces dernières auraient aussi l’intérêt de créer de la vie communautaire, qui constitue pour eux une source de la santé par la densité des relations sociales entre pairs qu’elle permet. Ils ajoutent aussi qu’ainsi, contrairement à l’instrument fiscal, l’égalisation des revenus sera inscrite dans la société sur le long terme et non pas dans une décision politique qui peut être renversée par une majorité politique. Les deux sont liés en fait : le pouvoir politique dispose d’instruments institutionnels pour stabiliser ou déstabiliser l’économie coopérative ou plus généralement toutes les formes de vie économique.

    En France, il est clair que l’on assiste à un renouvellement du discours sur la fiscalité, à gauche et même à droite. « Les dépenses fiscales » (les niches fiscales) sont en train d’entrer dans le débat politique. Plus généralement, on commence à reparler de la répartition des revenus – sans doute, parce qu’il devient difficile de nier qu’elle s’est déformée en faveur des différentes formes de capital, et que, pourtant, la dynamique économique promise n’est pas vraiment au rendez-vous… « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain, qui sont les emplois d’après-demain »… eh bien, qui peut encore y croire? De même, les propriétaires ont la main, et la France manque de toits pour loger ses habitants, donc qu’en conclure?… sinon qu’il faut faire autrement.

  4. @bouillaud : je ne suis pas complètement à l’aise non plus avec cette approche, parce que je suis très sceptique de ce qui se fait dans certaines branches bio-sociales, en psychologie évolutionniste ou du côté de la “génétique sociale” par exemple.

    Cette approche est en cours de définition, avec des concepts récents comme celui de capital somatique (et celui, plus ésotérique, de ghetto métabolique). Mais l’on s’approche d’une connaissance de la stratification qui va effectivement plus loin que Durkheim.

  5. Bonjour,
    Merci pour cet intéressant article. Je me permets d’y apporter une légère modification.

    L’égalité c’est la santé de Richard Wilkinson est en réalité la traduction d’un ouvrage paru en 2005 chez The New Press dont le titre est The impact of inequality.

    Bien cordialement.

  6. Pingback: [equality trust] Why equality is better for every one / Pourquoi une société égalitaire est meilleure pour tout le monde « Pour un autre futur

  7. Merci pour la qualité de vos commentaires,

    on vient de me faire partager ce livre qu’il me reste encore à lire, mais vos axes de réflexion me font penser à ce film:

    Zeitgeist Moving Forward,

    il est en lecture libre sur internet, la qualité des arguments est ,à mon sens, vraiment pertinente et peut venir compléter une réflexion sur le monde déjà bien commencée.

    ps: il existe en version officielle sous-titrée français.

    Bonne journée à tous!

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