Sarkozy au taquet (III) : mais comment se débarrasser des indésirables?

Après les déclarations péremptoires du « discours de Grenoble » de N. Sarkozy, le gouvernement de François Fillon essaye de prouver sur le terrain à l’opinion publique qu’il est capable d’expulser à tour de bras les divers campements illégaux présents sur le territoire français métropolitain.

Du côté des « gens du voyage » (français), la situation bordelaise, due par ricochet à une expulsion dans une ville voisine, montre que ces derniers sont capables de se mobiliser pour défendre ce qu’ils considèrent  être leur droit à la mobilité dans de bonnes conditions – y compris en retournant la rhétorique xénophobe à leur avantage.  Leur utilisation du blocage routier comme répertoire d’action les fait du coup ressembler aux autres catégories de la population, peu nombreuses, mais disposant de véhicules/engins permettant de troubler la circulation  (agriculteurs, taxis, routiers, etc.). Il y a toujours dans ce cas-là un jeu entre les forces de l’ordre et les manifestants qui tourne autour de la valeur vénale des véhicules/engins utilisés. Ici, la situation se complique du fait que les véhicules/engins constituent, non seulement l’outil de travail, mais aussi l’habitat, des personnes mobilisées… Au delà de cette querelle bordelaise, ces incidents signent l’échec de la loi Besson. Je me demande d’ailleurs s’il ne faudrait pas avoir une réflexion, inspirée par une approche à la Elinor Ostrom, sur la création et la gestion de ces aires d’accueil pour nomades. Est-ce que, dans le fond, les communes en tant que collectivités dirigées par des élus -même bien intentionnés – des  sédentaires du lieu sont en état de créer et de gérer ce genre de services? De fait, au delà du problème de discrimination, de refus de leur présence par la majorité des populations dans les communes que transcrivent beaucoup de maires dans leurs politiques municipales de non-accueil (ou de mauvais accueil), n’y a-t-il pas un problème d’incitations? d’institutions?  Ne faudrait-il pas faire des gens du voyage les responsables directs de leur propre hébergement? Par ailleurs, pour avoir vu plusieurs années de suite, le campus de Grenoble utilisé par les gens du voyage pendant une bonne partie de l’été, je ne me fais guère d’illusions sur la réalité des nuisances provoquées par certains d’entre eux. Les réticences de certaines municipalités ne sont pas sans fondements réels. Une année,  sur le campus de Grenoble, à force de se comporter comme des sagouins, des gens du voyage avaient d’ailleurs réussi une mobilisation transversale des autres usagers du campus à leur encontre, rassemblant pour une fois personnels administratifs, enseignants-chercheurs, chercheurs, et étudiants, de toutes les institutions du site. L’adage néo-conservateur bien connu  se vérifiait : « Un conservateur, c’est un libéral qui a été agressé. » A l’époque, Le Dauphiné libéré, toujours à la pointe de l’édulcoration des situations problématiques (c’est-à-dire donnant de quelque façon raison aux extrêmes) faisait de louables efforts pour présenter la situation sous le jour le moins défavorable possible  à ces mêmes gens du voyage.

Du côté des Roms (étrangers!), on sent venir les abcès de fixation (accueil dans des gymnases) , et, quand j’entends que l’État roumain s’engage à faire un grand effort pour l’insertion des Roms rapatriés de France, je ne peux que prévoir l’impasse. A moins de les mettre dans des camps  en Roumanie gérés par des anciens de la Securitate (s’il en reste qui n’ont pas fait fortune dans la nouvelle Roumanie…), ou de leur supprimer leurs passeports sous quelque motif fallacieux, ils reviendront inévitablement. Actuellement, sous l’égide du FMI et de l’Union européenne, sait-on bien que l’État roumain se trouve contraint de couper drastiquement dans ses dépenses. Les salaires des fonctionnaires ont été ainsi réduits de 25% (un quart)… et, tout va à l’avenant dans un secteur public, particulièrement sujet à la corruption en plus, selon les rapports à ce sujet de la Commission européenne! Le pays peine déjà à absorber les aides européennes prévues dans les divers secteurs  aidés dans la mesure où, partout, la corruption menace d’engloutir les sommes versées. Je ne vois pas de fait comment l’État roumain pourrait avoir une action résolue d’insertion de ces populations – au delà de quelques villages Potemkine pour rassurer les interlocuteurs français. Si insertion veut dire, maintien sur place grâce à un tour de passe-passe policier quelconque, j’y crois un peu – sauf que la police roumaine elle-même n’est pas totalement  irréprochable, les réseaux criminels continueront donc à agir. Si insertion veut dire entrée dans la vie économique standard de la Roumanie, dans quel secteur de  cette dernière les insérer? Le secteur de la construction, sans doute le plus demandeur de travailleurs peu  ou pas qualifiés, se trouve en panne : les prix de l’immobilier sont en chute libre ; l’État et les communes n’ont plus d’argent pour créer des emplois publics, et prévoient plutôt de licencier du personnel ; l’agriculture regorge déjà de bras, et est censée gagner en plus en productivité avec l’aide de l’Union européenne; l’industrie, portée par la faiblesse de la monnaie roumaine, semble plutôt avoir besoin d’ouvriers/ouvrières qualifiés; quant aux  services privés (banques, assurances, publicité, etc.), ils n’ont pas besoin de Roms sans éducation… sauf à la marge (nettoyage, etc.) Pour avoir parcouru la Roumanie, je sais très bien qu’une bonne part des Roms du crû y vivent dans des taudis plutôt reconnaissables à force tant ils sont caractéristiques du paysage rural et urbain roumain.  On se trouve effectivement souvent face à une misère sans nom. Je sais aussi que la seule fois où j’ai vu dans l’espace public des Roms travailler, c’est en tant que cantonniers pour la municipalité de Bucarest. Comme par hasard, tous les cantonniers étaient des femmes à la peau sombre bien caractéristique des Roms. Rappelons que, sous le régime communiste d’avant 1989,  tous les Roms avaient du travail, mais qu’ils étaient particulièrement nombreux dans les occupations à faible productivité typiques du plein emploi sous ce type de régime d’économie planifiée. Une bonne part des Roms constituent donc un immense sous-prolétariat, dont l’économie officielle de la Roumanie capitaliste ne sait que faire. De fait, l’État français (qui dispose encore d’un fort secteur sanitaire, éducatif, et social, certes sous-financé aujourd’hui) possède sans doute, s’il le voulait, bien plus de capacités techniques et humaines d’insertion de ces Roms dans une société capitaliste développée que l’État roumain – mais il est vrai que ce n’est pas du tout ainsi que les Traités européens entendent faire jouer la solidarité entre Européens. Il est clair que, pour les individus qui ne sont pas porteur d’un facteur de production (travail ou capital) ou d’une rente financière (capitaux investis) ou sociale (retraite), chaque État reste responsable de ses inutiles au monde.

Bref, les droits de l’Homme, quelle gêne au fond!

Ps. Et je ne compte pas dans les désarrois gouvernementaux la reculade de plus en plus appuyée autour des projets de déchéance de la nationalité française appliquée largement… Non plus que la magnifique sortie de Christian Estrosi , ministre de l’Industrie et surtout maire de Nice, sur la sanction financière des maires incapables d’assurer la sécurité dans leur commune (pas mal comme idée de blame avoidance pour le pouvoir en place que de rejeter la faute sur les maires! tout ça, c’est la faute à  Voltaire, Destot, Aubry, etc.), idée farfelue qui nous a valu un démenti officiel des plus républicains de la part de rien moins que du ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux. Tout juste si ce dernier n’a pas crû bon de rappeler le principe de libre administration des collectivités locales garanti par la Constitution (et, d’ailleurs, renforcé en 2003 lors de la dite « Phase II » de la Décentralisation chère à Jean-Pierre Raffarin, un gauchiste bien connu)… Finalement, il reste un peu de raison institutionnalisée dans ce gouvernement! Ouf! Pour ne pas parler des paroles d’Alain Juppé, maire de Bordeaux, qui a manié le verbe avec élégance pour envoyer quelques piques bien senties  ce matin 18 août sur France-Inter.

Doit-on alors prévoir à la manière évangélique  que « Qui a vaincu par la sécurité, périra par la sécurité »?

6 réponses à “Sarkozy au taquet (III) : mais comment se débarrasser des indésirables?

  1. Ce qui est formidable, quand on y pense, c’est que l’UMP – en la personne du Président M. SARKOZY – a gagné, en 2007, en jouant l’État républicain à fond, sur la musique de « l’État n’est pas impuissant, ce sont les Hommes en place qui le sont ».

    Bref, après les « rois fainéants » allait arriver la phase « le grand retour de l’Etat » (même si M. SARKOZY confondait l’État avec sa propre personne)…Et au final, on se retrouve avec l’État impuissant…Qui n’agit qu’en paroles, jamais en actes !

    Ce qui tend à donner un sens aux sondages récents : oui, les Français plébiscitent toujours l’État (l’ont ils un jour récusé ?)…Mais oui, ils sont tout aussi persuadé que cet État puissant (modéré ou plus trash) n’apparaitra pas sous l’ère SARKOZY !

    M. SARKOZY n’a pas l’air de comprendre que toute sa crédibilité résidait là : le courage de vouloir. (A défaut de pouvoir, en toutes situations, du fait effectivement des traités, Constitution, autres « gènes » etc.)

    Je sens que le « courage » que les Français lui accordaient jusque là, va s’éroder à vitesse grand V !

    Sinon, comme toujours, des articles excellents – à défaut de vous présenter à la Présidence, peut être devriez vous postuler à Matignon…Comme « plume » ? – qui font un bien fou !!!

  2. @ seb : merci pour votre appréciation pour mes posts.

    Ceci étant, vous avez raison : une des thématiques de la Présidentielle 2007 était effectivement la capacité d’agir de Nicolas Sarkozy (la « rupture »). Le drame risque effectivement d’être que les Français vont constater que, comme depuis assez longtemps maintenant, les capacités d’action de l’État, y compris avec N. Sarkozy et son volontarisme sur-affiché tout au long de son mandat à sa tête, sont bien faibles pour ce qui les concerne directement (et positivement) dans leur vie quotidienne. Par exemple, N. Sarkozy aura du mal à prétendre qu’il a tenu sa promesse du « travailler plus pour gagner plus » par exemple. Mais je crois que cet échec va mettre en difficulté le discours de tous les candidats républicains à l’élection présidentielle 2012 – sauf donc celui des extrêmes. Seul parmi les républicains, F. Bayrou a un peu pris de l’avance par son discours de 2007 sur ce point de la capacité d’agir, mais, pour l’heure, en dehors d’une méthode très générale (l’union nationale), il n’est guère allé bien loin dans une redéfinition d’une façon d’agir plus rapide et plus efficace.

  3. Vos posts sont excellents…Le dire n’est qu’une confirmation. Et cela fait tellement du bien de vous lire…Si tous les Français le faisaient, les antidépresseurs seraient peut être passés de mode ! (Yes ! La Sécu économise quelques milliards !)

    Sinon, je crois que le vrai « problème » des candidats pour 2012, cela va être de prouver – parce que les Français ne s’arrêteront pas aux belles paroles – comme vous le dites, qu’ils peuvent mieux faire que les extrêmes, notamment miss Le Pen.

    Parce que, autour de moi – je suis patron d’une PME mais aussi plutôt actif dans les associations et mon épouse, enseignante, œuvre dans les maisons de retraite – le ton est moins à « l’État ne peut pas tout » (voir rien) qu’à « l’État est puissant mais la classe politique a peur, y compris le Président » (Et le témoignage d’un policier, sur le site du Point, expliquant qu’il a pour consigne de ne pas entrer dans certains quartiers, confirme, si je puis dire, ce « sentiment » : à savoir que les politiques ont la pétoche…Bref, Miss Marine devient, de plus en plus, le seul recours.)

    Si l’on ajoute à cela que le PS n’a toujours pas compris que l’élection présidentielle se gagne sur des thématiques régaliennes – comme celles locales le sont sur des thématiques État Providence (enfin, si les candidats sont crédibles…Ce qui, à mon sens, explique l’échec de miss Royal (bien partie au départ…Grâce aux thématiques État régalien) et l’échec des régionales pour les élus locaux UMP (qui sont allés stupidement s’insérer dans le débat « régalien » sur l’identité de la France ou la sécurité ! Je reste persuadé que certains élus UMP auraient pu éviter l’échec en ne tombant pas dans le panneau)) et qu’il sera impossible (après ses attaques plus que directes envers les droits fondamentaux !) à N. SARKOZY de se présenter comme le candidat « républicain » gardien de nos valeurs !

    Je ne crois pas que F. BAYROU arrivera à tirer son épingle du jeu. En misant tout sur sa personne, il a complètement mis en déroute sa « stratégie ». Il n’a pas non plus fait preuve de beaucoup de « courage » politique, et çà ses électeurs s’en souviendront, je pense.

    Bref…Je me demande si l’on ne va s’orienter vers une présidence avec Marine, qui va tout faire pour « adoucir » l’image du parti, mais sans lui retirer – sauf à être suicidaire – les « fondamentaux » de celui-ci. Après quelques mesures « populaires » – je réduis de 50% le nombre de députés ! Wouais !!! (à « droite ») Je fais embarquer M. SARKOZY pour la Hongrie ! Wouais !!! (à « droite ») – son « odeur nauséabonde » prendra vite le goût de la rose…Sauf si « Marine » commet la faute « impardonnable » de…Supprimer de 50% les aides à la presse !

  4. @ seb : oui, les Français ne sont sans doute pas convaincu par la rhétorique d’un Jacques Attali prétendant que le pouvoir d’État (et présidentiel) se trouve réduit à n’être plus qu’un « hochet » (France-Inter, matin 25 août 2010). Il est à craindre que le besoin d’homme fort se fasse sentir… La limite du FN sera sans doute dans son organisation affaiblie par de nombreuses scissions depuis 1998, et par ses finances encore bien mal en point suite à sa déroute de 2007.

  5. Le vrai problème, c’est que M. SARKOZY lui même, a convaincu les Français, en 2007, que le problème ce n’était pas les marges de plus en plus minces de l’Etat à agir…Mais bel et bien un problème de volonté politique. En gros, la « fracture sociale » n’a pas été résolue ou la délinquance fortement diminuée entre 95 et 2007, parce que le brave CHIRAC n’avait aucune prise sur des problèmes complexes…Mais parce que le brave CHIRAC ne VOULAIT pas agir sur ces problématiques.

    M. SARKOZY est même allé jusqu’à révéler le « moteur » de cette inaction : la volonté de…Durer.

    Rien d’étonnant, dès lors, de voir les Français faire leur la « théorie présidentielle ». Et de relier l’inaction dudit Président actuel au…Désir de durer, de ce dernier, comme semble le confirmer toute l’énergie qu’il met à préparer sa campagne !

    Sinon, pour le FN, vous avez tout a fait raison.

  6. SarkoGate : Raccompagnons Nicolas Sarkozy à la frontière … de l’Elysée : http://www.facebook.com/group.php?gid=142284815808171

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