Comme à chaque élection présidentielle, les responsables du Front National indiquent qu’ils ont bien du mal à avoir pour leur candidat(e) les fameux cinq cent parrainages d’élus permettant de se présenter à l’élection présidentielle. Il semble, d’après ce qui sort dans la presse, que, cette fois-ci, le FN rencontre vraiment plus de problèmes que les fois précédentes. L’hypothèse d’une absence de candidat pour ce parti à l’élection présidentielle devient donc moins hypothétique qu’auparavant. On peut s’en féliciter du point de vue politique, on peut réfléchir au vice ou à la vertu démocratique d’une telle exclusion (15/20% des électeurs privés de leur choix préféré?), mais ce n’est pas ma préoccupation.
A mon sens, une telle absence serait avant tout significative de la situation réelle du FN dans l’espace politique français – un(e) « tigre(sse) de papier » si j’ose dire. En effet, si le FN peine à recueillir ces fameuses signatures d’élus, c’est avant toute chose parce qu’il n’a pas… d’élus. Élémentaire, mon cher Watson. Et pourquoi n’a-t-il pas d’élus, en particulier pas de maires ou de conseillers généraux? Tout simplement parce qu’il se trouve exclu de manière permanente et durable des coalitions entre partis qui élisent les maires ou les conseillers généraux au fil des deux tours de scrutin. Bien qu’ayant parfois près de 50% des électeurs prêts à le soutenir au second tour, il se trouve toujours incapable de gagner seul des mairies ou des conseillers généraux en nombre significatif. Marine Le Pen n’est pas le maire d’Hénin-Beaumont. On vérifie ainsi empiriquement sur le cas du FN que le scrutin à deux tours, qui se pratique pour l’élection des maires, des conseillers généraux, des députés, et… du Président de la République, interdit à un parti d’avoir quelque importance que ce soit dans la plupart des organes élus de la France (à l’exception des conseils régionaux et surtout de la députation française au Parlement européen) sans avoir auparavant trouvé des partis, selon la vision qu’on a de ce genre de choses, avec qui s’allier ou se compromettre. Si l’on compare le sort institutionnel des « Verts » et du FN depuis les années 1980, il est facile de constater que les « Verts » ont fini – après quelques tribulations certes – par accepter de rentrer de manière stable dans la coalition des gauches et qu’ils y ont été acceptés (même si des élus communistes ou socialistes ne les supportent pas au niveau local, cf. situation à Villeurbanne par exemple); à l’inverse, surtout depuis les régionales de 1998 qui ont vu la droite républicaine faire le ménage dans ses rangs (exit Millon & Cie), le FN n’a plus aucune capacité à se coaliser avec qui que ce soit à sa gauche. Il est à la fois pur et isolé. Les « Verts » au contraire tirent les fruits de cette stratégie de coalition avec le reste de la gauche lors des élections sénatoriales de l’automne 2011, où ils commencent à être significativement représentés au Sénat via leur présence accrue dans les conseils municipaux – inversement, le FN est bien incapable de se doter du moindre sénateur à cette occasion : pourquoi devrait-il prétendre à la Présidence de la République? On notera qu’aussi bien les Verts que le FN ont des électorats de taille moyenne qui fluctuent largement selon les élections, mais chacun a pu faire des usages très différenciés des alliances. Les « Verts » risquent certes de voir leur candidate se prendre une gamelle à la Présidentielle, mais, en cas de victoire de F. Hollande, ils auront dans la foulée des députés – qui, ironie de l’histoire, pourront se taxer eux-mêmes (à la manière des députés du vieux PCF d’antan) pour rembourser les dettes du parti si Eva Joly n’atteint pas les 5% requis pour se faire payer ses frais de campagne par la République.
Par ailleurs, à cette incapacité du FN à se coaliser, correspond le fait que le FN a été « diabolisé » – et s’est lui-même « diabolisé » pour se faire entendre. Il est censé faire peur. C’est le Raminagrobis de la politique française. Jacques Le Bohec a décrit il y a quelques années déjà tout ce mécanisme (cf. Sociologie du phénomène Le Pen, Paris : La Découverte, 2005) dont le monde des médias a été le co-producteur. De ce fait, apporter son parrainage à Marine Le Pen devient un acte de la part d’un maire qui mérite une médiatisation particulière. Certains maires sont sans doute effrayés par cette situation – plus que par des menaces liées à leur appartenance à une intercommunalité dominée par les membres du PS et/ou de l’UMP. Il est du coup plus facile de donner son parrainage « républicain » au candidat d’une force politique de moindre importance que le FN, éventuellement encore plus extrémiste ou à tout prendre fantaisiste. Il serait ainsi amusant de voir quelques micro-entreprises politiques totalement marginales en terme de voix, de militants, pour ne pas parler d’élus, avoir leur candidat à la Présidentielle. On parle beaucoup d’une éventuelle nouvelle tentative de Jacques Cheminade en 2012, qui prétend avoir ses 500 signatures. (A vérifier par le Conseil constitutionnel…) Or, qui a vraiment peur de ce personnage? Personne! De fait, si Marine Le Pen n’a pas ses signatures, cela sera aussi un échec complet de sa stratégie (prétendue) de « dé-diabolisation ». Les cantonales de 2011 avaient déjà montré que cela ne marchait pas (cf. travaux de Pierre Martin sur ce point). Cet échec à se présenter en 2012 ne ferait que vérifier l’existence de cette impasse. Je ne donne pas alors très cher ensuite du FN comme parti – sauf si l’UMP faisait bêtement l’inverse de ce qu’il devrait faire aux élections législatives à venir, c’est-à-dire s’il revenait sur sa ligne de fermeture à toute alliance avec le FN.
Que se passerait-il en cas de non-candidature de Marine Le Pen? D’abord beaucoup de bruit pour rien dans les médias autour de ce sujet, et un débat inutile à ce stade sur les parrainages et la démocratie. Ensuite, comme le montre déjà un sondage pour le JDD, les électeurs se reclasseraient logiquement. Le candidat Sarkozy en profiterait sans doute, mais cela ne bouleverserait pas le paysage. En effet, aucun candidat en lice ne peut recueillir tous les électeurs en déshérence du FN. Par contre, il est possible que cela amène N. Sarkozy à se droitiser trop, que cela pousse les électeurs modérés dans les bras de F. Bayrou d’autant plus que le risque d’un « 21 avril à l’envers » aura disparu, et que donc voter Bayrou sera une façon de voter à droite sans risque aucun de ne pas avoir de candidat de droite au second tour de la Présidentielle pour qui voter.
Enfin – remarque égoïste de la part du politiste – sans M. Le Pen à cette élection, que de comparaisons entre résultats de sondages faits sur les différentes élections présidentielles qui se perdront…
Bonjour,
Merci pour cette analyse, très claire avec ces petites notes d’humour et d’ironie qui sont toujours agréables pour le lecteur.
Une petite question « technique », peut-être pas la plus pertinente qui soit : si Me Le Pen ne se présente pas, les frais – déjà – engagés pour la campagne sont donc à sa charge pleine et entière non ? Est-ce que ce serait de nature à « couler » financièrement le FN, ou bien le parti a-t-il des réserves pour faire face à cela ?
Une deuxième, plus prospective : est-il question d’inclure plus de proportionnalité, ou bien les principaux partis politiques ne souhaitent pas toucher au système au moins à court terme ?
Une troisième : Un pronostic sur l’avis du Conseil Constitutionnel ? (et plus globalement au sujet de la transparence : est-ce une bonne chose en théorie, mais en pratique, elle génère des effets pervers, ou bien ce n’est qu’un élément de second plan ?)
@ Mat : de notoriété publique, depuis 2007 au moins, sinon 1998, les finances du FN ne sont pas excellentes, mais je ne crois pas qu’arrêter la campagne présidentielle serait un vrai problème financier à court terme, c’est plutôt le désordre qu’un tel échec mettait dans les rangs de ce parti qui le coulerait.
Sauf erreur de ma part, le PS propose d’introduire une dose de proportionnelle pour l’élection des députés – mais, si la victoire sourit aux socialistes, il leur paraîtra sans doute urgent d’attendre, d’autant plus que les Verts eux-mêmes auront eu une satisfaction en terme de députés élus avec l’actuel mode de scrutin. L’UMP est viscéralement hostile à un changement de mode de scrutin – le seul vraiment républicain à ses yeux; au contraire, si ce parti avait les mains totalement libres, il voudrait supprimer la proportionnelle là où elle existe au profit d’un scrutin majoritaire à deux tours. Elle a d’ailleurs modifié l’élection des futurs conseillers territoriaux (à compter de 2014) en ce sens (et réduit le caractère proportionnel de l’élection européenne à partir de 2004).
Pour ce qui est du Conseil constitutionnel, logiquement, ce dernier ne devrait rien changer à la situation actuelle – s’il le faisait, on pourrait pour le coup avoir quelques soupçons sur une manœuvre visant à sauver la soldate Le Pen. En effet, du point de vue des droits fondamentaux, je ne vois pas en quoi la situation actuelle les léserait en quoi que ce soit, et, dans ce cas précis, le Conseil constitutionnel pourra se référer à la volonté du constituant lors de la réforme de 1962 instituant l’élection du Président au suffrage universel. Il a voulu des parrainages d’élus, et ceux-ci sont publics. De mon point de vue, un telle publicité va plutôt dans le sens d’une évolution bienvenue de nos institutions, où la transparence des actes des élus devrait être la règle en toute matière d’intérêt collectif.
http://triton95.wordpress.com/2012/01/31/et-si-francois-hollande-etait-elu-des-le-premier-tour/
Sarkozy fait un mauvais calcul, il n’est pas certain de recueillir les voix de ces mécontents là, et cela pourrait avoir l’effet que je décris.
Sans vouloir faire mon spécialiste obtus, votre espoir est bien peu réaliste. Même « le Général » fut mis en ballotage au premier tour en 1965 – ce qui fut d’ailleurs une surprise prédite par les sondages! Le grand fait d’arme initial de ces derniers pour la France. Par contre, il est possible qu’effectivement une dynamique se crée au profit de F. Hollande comme « balais » pour sortir Sarkozy.
Juste une précision: en fait; la publicité des parrainages ne date que de 1976, l’anonymat était la règle initialement.
@ vince38 : oui, effectivement, le publicité des parrainages ne date officiellement que de 1976. Cela ne correspond donc pas à une volonté explicite des constituants, mais cela va à mon sens dans le sens d’une plus grande transparence des actes des politiques, ce qui correspond à une demande forte sur la moyenne durée de la part des citoyens ou plutôt de ceux qui les représentent comme « société civile ».
Je n’ai pas lu Sociologie du phénomène Le Pen de Jacques Le Bohec, mais il me semble que la diabolisation médiatico-politique du FN a surtout pour origine les déclarations très datées de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz et ses calembours du genre « Durafour crématoire ».
En voulant dédiaboliser le nazisme, le FN s’est ainsi diabolisé lui-même, car on n’a pas le droit, dans notre République, de considérer politiquement le nazisme autrement que comme l’incarnation du Mal, sous peine d’être ostracisé à vie et surtout suspecté de vouloir rétablir un tel régime.
Il me semble néanmoins que le FN n’est pas le seul parti à être « exclu de manière permanente et durable des coalitions entre partis ». En effet, les partis d’extrême-gauche (comme le NPA) ne paraissent guère mieux alliés à la gauche que l’extrême-droite à la droite -, mais je peux me tromper.
Je me souviens d’avoir lu un article assez récent du Canard enchaîné qui affirmait que Jean-Marie Le Pen était « plus libéral que Reagan et Thatcher réunis »... Plus libéral aussi que Sarkozy ? L’article ne le précisait malheureusement pas. Par contre, il semblait dire que la fille ne s’inscrivait pas dans la supposée logique ultra-libérale du père.
Vous-même, en tant que politiste, partagez-vous ce point de vue ?
@ EricJean : les déclarations de J. M. Le Pen sur la période de la Seconde guerre mondiale sont effectivement à la source de la diabolisation du FN dans les années 1980, mais ce qu’il faut comprendre, c’est que les médias et les adversaires politiques en ont beaucoup trop fait sur ces mêmes déclarations. Celles-ci permettaient de faire parler (en mal) du FN. C’est cette tactique de rupture du silence médiatique qui est soulignée par J. Le Bohec. Il me semble d’ailleurs que ces derniers jours, J. M. Le Pen en remet une couche dans le même genre avec son poème de Brasillach à la fin d’un meeting de sa fille, et les médias d’en parler bien plus que nécessaire! Avec toutefois un peu moins de succès qu’autrefois, dans la mesure où le grand public ne sait guère qui est Brasillach…
Dans les années 1980, alors que les socialistes étaient au pouvoir pour la première fois depuis un bon quart de siècle, le FN occupe effectivement une position très libérale en économie, dans la mesure où se sont ralliés à lui des extrémistes libéraux de la droite classique, déçus de la mollesse du RPR et de l’UDF, encore trop sociaux à leur goût. Ces ralliés, dont un Bruno Mégret, lui offrent un programme économique clé-en-mains de style très libéral. De fait, ce libéralisme économique du FN a fini dans les années 2000 par devenir un handicap (étant dépassé en pratique par celui de l’UMP), et le FN version Marine s’est clairement rallié à une vision de protection sociale et économique des Français. Il cherche à copier la formule électoralement gagnante des partis nationalistes/populistes scandinaves (anti-Islam +protection sociale maintenue pour les seuls nationaux). Claude Guéant vient de traiter le FN de parti « national et socialiste ». Pour une fois, il n’a pas complètement tort, sauf que l’aspect « socialiste » est encore mêlé à de vieilles propositions libérales du parti.
Pour la gauche extrême (LO et LCR, puis LO et NPA), le vrai problème réside dans le rôle attribué par ces partis révolutionnaires aux élections. LO ne croit pas du tout à une transition électorale vers le communisme, et n’utilise les élections que pour faire sa propagande en appui des luttes sociales. LCR (puis NPA) hésite sur ce point. Il me semble qu’aux dernières régionales, des membres du NPA, se sont ralliés dans une région à une liste de concentration à gauche de la gauche. Pour la présente élection présidentielle, LO reste sur sa ligne habituelle, mais le NPA est cassé en deux tronçons : une partie minoritaire du NPA s’est rallié au Front de gauche. Ce ralliement de « gauchistes » à l’organisation qui présente le candidat Mélanchon à la présidentielle n’a fait aucunement scandale. De fait, en France, l’anti-communisme radical qui existe à l’est de l’Europe ne fait plus recette pour structurer les interdits politiques, par contre, le souvenir de l’Occupation, si!
Si le FN est devenu socialiste, c’est finalement plutôt rassurant. D’autant plus que même les différents gouvernements officiellement socialistes français ont toujours laissé du champs libre au libéralisme économique.
Comme vous le faites remarquer, peu de gens savent qui est Brasillach, et encore moins nombreux sont ceux qui ont lu ses poèmes.
Fabrice Luchini déclame du Louis-Ferdinand Céline dans ses spectacles, les lycéens de l’Ecole publique étudient les contes de l’anticlérical et antisémite Voltaire… mais quand J. M. Le Pen récite un poème de Brasillach, haro sur le baudet. Heureusement que ce n’était pas un extrait de « Mein Kampf ».
Le « souvenir de l’Occupation » est tellement douloureusement présent chez nos contemporains que Bourvil et Louis de Funès ne pourraient plus jouer dans « La grande vadrouille », ni Michel Simon dans « Le vieil homme et l’enfant », ni Fernandel dans « La vache et le prisonnier », ni Jean Lefebvre dans « la septième compagnie », ni Gérard Jugnot dans « Papy fait de la résistance »…
La génération survivante de l’Occupation savait dédramatiser et rire de cette période. Aujourd’hui, on dirait presque que c’est interdit par l’industrie cinématographique et la classe médiatico-politique : probable conséquence de la structuration des « interdits politiques » par le « souvenir de l’Occupation ».