Italie : « compromis historique » – le remix.

Les derniers rebondissements de la crise politique ouverte en Italie à la suite des élections politiques de février 2013 représentent à ce stade un retour vers le passé que même mon pessimisme, bien connu de mes proches et étudiants, ne m’avait pas permis d’envisager.

Bien sûr, la réélection de Giorgio Napolitano comme Président de la République à 87 ans pour un mandat (théorique) de 7 ans, constitue l’élément le plus visible de ces dysfonctionnements de la vie politique italienne  – ou plutôt de la tendance de ceux qui la dirigent à persister dans leur être au détriment désormais de tout semblant de justification autre que le poids des circonstances. De fait, l’élection du Président de la République semble avoir ouvert la voie à une solution impensable encore il y a quelques mois : un nouveau « compromis historique » comme dans les années 1970 entre la droite et la gauche. G. Napolitano semble avoir négocié avec les partis désirant le réélire, malgré son opposition affirmée à cette hypothèse de réélection à l’âge où même les Papes demandent désormais à pouvoir se reposer. Il a obtenu d’eux une promesse formelle de créer et d’appuyer un gouvernement d’union nationale – dans le cas contraire, il démissionnera!  On se trouve ainsi dans une solution inédite en Italie – et ailleurs peut-être : la menace de démission d’un chef de l’État, irremplaçable pour l’instant, lui donne tout pouvoir pour imposer sa politique aux partis majoritaires au Parlement. C’est donc lui ou le chaos, donc désormais, il faut lui obéir! Il n’aurait pas 87 ans, tout le monde se méfierait un peu plus, car cela revient à lui offrir la dictature.

Il y a donc une « présidentialisation de fait » du régime –  le politiste Ilvo Diamanti parle de « présidentialisme sans intention de l’instituer ». Ce dernier est totalement contraire à l’esprit de la Constitution italienne de 1947-48, qui refusait tout pouvoir personnel. Ce « présidentialisme de fait » se trouve en contradiction, au moins partielle, avec toute l’évolution institutionnelle depuis les années 1990, qui avait  visé à aller vers un système politique parlementaire à la manière de Westminster. Cette évolution devait permette des alternances entre deux camps bien différenciés. Contrairement à l’époque de la « partitocratie » (1946-1992) et de son sommet, le « compromis historique » des années 1970, les électeurs devaient être en mesure de choisir directement la majorité gouvernementale et le chef du gouvernement. Ce fut le but de la réforme instituant un scrutin mixte (majoritaire-proportionnel) en 1993-94, ce fut encore le but du mode de scrutin mixte (proportionnel-majoritaire) créé en 2005-06 qui institua des primes de majorité pour la coalition de listes  ou la listes arrivée en tête au niveau national ou régional et qui fit en sorte que chaque coalition de listes ou liste déclare par avance son candidat à la Présidence du Conseil. A la fin des années 2000, la création du « Parti démocrate » d’une part, et celle du « Peuple de la Liberté » d’autre part, allaient aussi dans le sens de cette « démocratie de l’alternance ». Les « primaires » régulièrement organisées par le Parti démocrate ce dernier automne allaient encore dans cette direction. Et, là que fait-on, parce que nécessité oblige, on jette tout cela par dessus bord, au nom de l’urgence – comme dans les années 1970. On évoque même comme possible Président du Conseil le nom de Giuliano Amato, 75 ans, ancien Président du Conseil par deux fois, n’ayant pas laissé des souvenirs impérissables de bonheur aux Italiens – euphémisme. J’ose encore espérer à cette heure où j’écris que tel ne sera pas le cas. En effet, j’imagine sans peine la rancœur, l’amertume, voire la désespérance, que cela pourrait soulever chez tous les Italiens  voulant sincèrement un renouvellement de leur pays. Il n’y aurait guère pire insulte à leur faire… J’espère au moins que ce gouvernement d’union nationale aura l’hypocrisie de choisir un homme moins marqué, plus jeune si possible.

On semble en effet se diriger en effet vers un gouvernement d’union nationale entre la droite (PDL), le centre-gauche (PD) et le centre (Monti). On retrouverait au gouvernement exactement les mêmes forces qu’avant l’élection où toutes ces forces ont perdu massivement des suffrages. En effet, depuis novembre 2011, un « gouvernement du Président », formé de « techniciens »,  a été dirigé par Mario Monti, avec le soutien parlementaire de ces mêmes trois forces. Toutes trois, en particulier le PDL et le PD, ont perdu plusieurs millions de suffrages par rapport à leurs scores des élections de 2008. Deux petits partis du centre (UDC et FLI), qui soutenaient avec enthousiasme, le gouvernement Monti, ont même disparu de la scène parlementaire à cette occasion faute d’électeurs.

Le seul résultat de l’élection de février 2012 aura donc été d’obliger  ces mêmes forces – ou de leur permettre?- à continuer à gouverner ensemble. Ce n’est sans doute pas ce que la majorité des électeurs voulaient quand ils se sont exprimés en février… On ne saurait imaginer déni plus cinglant des promesses d’organiser désormais les élections en Italie comme le choix direct des dirigeants par le vote populaire.

Quoi qu’il en soit, il devrait pourtant y avoir une majorité parlementaire en ce sens: le centre (Monti) et le PDL de Berlusconi étaient sur cette ligne depuis la proclamation des résultats en février, et le PD va suivre le mouvement comme un poulet décapité… En effet, la coalition autour du PD, arrivée en tête en février, est morte en cette fin d’avril, et en tant qu’acteur unitaire sur la scène politique italienne, il faut sans doute admettre que le PD n’existe plus.

Lors de l’élection présidentielle par les députés, sénateurs et délégués des régions (1007 électeurs), le PD a en effet explosé façon puzzle au delà de tout ce qu’on pouvait même imaginer. S. Berlusconi aurait télé-contrôlé avec quelque dispositif de science-fiction la direction du PD qu’il n’aurait pas pu mieux servir ses intérêts – à part peut-être organiser sa propre élection à la Présidence. Avec de tels adversaires, le jeu en devient trop facile. Premier essai de faire élire un Président de la République par le centre-gauche : le leader du PD propose de voter pour un vieux dirigeant post-démocrate-chrétien issu de leurs rangs,  Francesco Marini, qui serait acceptable par le centre, et surtout par la droite de Berlusconi. Première catastrophe : face à la perspective de cette alliance de fait avec Berlusconi, une partie des élus PD se rebiffent. Certains font même défection pour Stefano Rodotà, un autre noble vieillard issu de la gauche communiste, le candidat soutenu par le M5S, et aussi par l’allié de gauche du PD, le SEL. Échec cuisant de Marini, qui se retire de la course. Deuxième essai, après avoir voté blanc aux tours suivants de scrutin : Bersani, le leader du PD, fait acclamer par l’assemblée des grands électeurs PD (députés, sénateurs, délégués des régions) la candidature de Romani Prodi, ancien Président du Conseil, père spirituel du « centre-gauche » des années 1990. C’est là choisir un personnage dont ne veut pas S. Berlusconi comme ce dernier l’a déclaré à maintes reprises. Et, là, re-catastrophe, un quart des votants du PD font défection à leur candidat… sans aucune explication de vote bien sûr de la part des traîtres. A ce stade, la direction du PD semble avoir complètement perdu pied. Elle ne s’attendait pas à un tel niveau de duplicité. Au lieu de temporiser et de chercher un candidat « technique », sans passé politique marqué, qui aurait au moins pu apparaître comme un renouvellement normal de la charge présidentielle, elle se rallie à Napolitano. Elle accepte par la même occasion le gouvernement d’union nationale que ce dernier veut depuis quelque temps.  Elle en  vient exactement là où Bersani et l’ensemble de la direction du PD déclaraient depuis des mois ne pas vouloir aller, tenant compte à mon avis de l’aversion profonde d’une bonne partie des militants et électeurs du PD envers une telle hypothèse. Le petit parti allié du PD, SEL, a toute de suite annoncé qu’il ne participerait pas à cette alliance au centre, faisant donc éclater la coalition arrivée en tête en février 2013 à la Chambre des députés. Le M5S de Beppe Grillo fait ainsi la preuve que le PD, avec lequel il ne voulait pas s’allier, n’était pas vraiment opposé à S. Berlusconi. Je ne suis pas sûr cependant que cette preuve profite électoralement au M5S; en effet, beaucoup de ses électeurs voulaient un changement tout de suite, et vont lui reprocher de ne pas avoir au moins essayé de gouverner avec le PD. S. Berlusconi, sans même avoir dû trop se fatiguer, gagne sur toute la ligne. Finalement, on va faire comme il a dit…

Au final, le vote de confiance pour le nouveau « gouvernement du Président » marquera sans doute la fin du PD. L’une de ses rares raisons d’être était justement de s’opposer à S. Berlusconi.

Il faudra aussi prévenir F. Hollande que son objectif d’avoir un « gouvernement de gauche » à Rome, c’est fini pour un temps dépassant a priori de loin le terme de son propre mandat.

Ps 1. Allez voir ce rapide entretien dans les  Echos avec le politiste italien Sergio Fabbrini. C’est l’un des Italiens qui rêve pour son pays d’institutions « gaulliennes ». L’un des éléments serait d’adopter le scrutin majoritaire à deux tours. En effet, c’est le mode de scrutin qui permet de se débarrasser de tous les petits partis, extrémistes de deux bords et autres empêcheurs de gouverner l’État en rond. Bonne idée, cher collègue!

Ps. Ce matin, mercredi 24 avril 2013, G. Napolitano a finalement choisi de donner la charge de former le gouvernement à Enrico Letta, vice-secrétaire (démissionnaire) du PD. Le « nouveau » Président aura eu au moins la décence d’épargner aux Italiens le retour de G. Amato. J’ai même l’impression que le bruit du retour de ce dernier a couru justement pour souligner que, tout de même, E. Letta est « un petit jeune », de même pas 50 ans. Ouf. En même temps, son oncle, Gianni Letta, a été l’homme-lige de S. Berlusconi dans les belles années 2000, en dirigeant son cabinet de Président du Conseil. Il pourra donc donner des conseils à son neveu sur le fonctionnement d’un gouvernement. Pour être aimable, on dira que les Letta représentent bien la continuité de l’État italien.

En tout cas, ce choix de G. Napolitano est entièrement cohérent avec le choix pro-européen de ce dernier; en effet, E. Letta, un post- démocrate chrétien s’est fait un (pré)nom dans la politique italienne justement parce qu’il prétendait vouloir prendre l’Europe au sérieux (c’est-à-dire ne pas dire simplement que l’Europe était l’avenir de l’Italie, ce que prétendent tous les politiciens italiens ou presque depuis 1980, mais rechercher vraiment à « européaniser » l’Italie). C’est le représentant par excellence de la nouvelle génération de politiciens professionnels pour lesquels l’Europe a toujours fait partie de l’équation.

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