De Pécresse en Fioraso…

Demain, 22 mai 2013, commence la discussion de la nouvelle loi sur le statut de l’Université, dite « loi Fioraso »  du nom de l’actuelle Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.  Un certain nombre de syndicats appellent (banalement) à une journée de grève et de mobilisation à cette occasion. C’est peu dire en effet qu’une bonne partie du monde universitaire, dont je suis, se trouve déçue par les mesures contenues dans cette loi. On y maintient, y prolonge et approfondit la réforme L.R.U. des années Sarkozy, soit la « loi Pécresse ». A dire vrai, loin d’être une exception française, il s’agit de tendances mondiales qui tendent à réduire, partout dans le monde occidental, l’Université à n’être plus qu’une bureaucratie, frappée d’éléphantiasis évaluative/évolutive,  productrice d’étudiants  (formellement) bien formatés pour le monde du travail et de savoirs (vaguement) utiles pour l’économie capitaliste post-moderne. Il n’y a pas que dans le monde de l’entreprise que la bureaucratie finit par tuer toute efficacité…

Je laisse à d’autres la critique de la loi elle-même. Quelques réflexions tout de même :

– comme universitaire grenoblois, du jour même où j’ai appris que c’était Madame Geneviève Fioraso qui récupérait le poste de Ministre dans le gouvernement Ayrault, il était évident qu’on aboutirait à ce résultat. Il suffisait en effet de l’avoir entendue auparavant s’exprimer une ou deux fois sur les questions universitaires, en tant qu’adjointe au Maire de Grenoble chargé de ces aspects, pour comprendre qu’elle était la sympathique et parfaite incarnation de la doxa du moment, il n’était pas vraiment nécessaire de soumettre ses propos à un puissant logiciel d’analyse de contenu; en conséquence, il n’y avait absolument rien à attendre d’autre. Dont acte.

– en ce qui concerne la faible mobilisation (à ce jour) des universitaires sur le projet de loi Fioraso,  il faut sans doute évoquer la lassitude de beaucoup, mais aussi la difficulté dans un milieu  largement acquis à la gauche à admettre que le PS a joué finement depuis 2009; il a récupéré certains leaders de la mobilisation de 2009, et a laissé entendre qu’il n’était pas d’accord avec les évolutions contenues dans la loi Pécresse, pour ensuite s’inscrire dans la continuité des réformes engagées (ainsi que dans la continuité de l’austérité imposée aux universités). Cela apprendra aux universitaires à avoir la moindre confiance dans le PS.  Tout groupe social quel qu’il soit ne doit compter que sur lui-même pour sa défense. Dont acte.

– la discussion dans les médias de masse sur le statut des enseignements en langue anglaise, que la loi Fioraso encourage,  est ce qui pouvait arriver de pire à une possible mobilisation : les opposants à la réforme Fioraso apparaissent du coup comme des passéistes. Il se trouve que je donne des cours en anglais depuis quelques années; je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir trahi ma langue maternelle.  La question de l’usage de l’anglais dans l’enseignement universitaire doit être traitée au niveau local, par chaque filière, en fonction de ses besoins propres. La bonne maîtrise d’une langue étrangère par toute personne ayant fait des études universitaires longues (niveau Master) me parait une évidence, ne serait-ce que pour la liberté d’esprit que donne la maîtrise d’une autre langue que sa langue maternelle.

– enfin, sur ces évolutions déplaisantes que représentent les lois Pécresse et Fioraso, les universitaires n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes : il va de soi en effet que les pétitions, les grèves et autres modes de mobilisation classiques n’ont presque aucun impact, autre qu’assurer le sentiment du devoir accompli pour ceux qui se mobilisent plus ou moins en vain; en tant qu’universitaires, nous ne sommes capables de rien bloquer à court terme par une grève; le fait même d’avoir à pétitionner démontre par a+b que nous n’étions pas au bon moment dans la boucle décisionnelle (comme on dit, la mise sur agenda nous a échappé…) ; le seul levier que nous pouvons utiliser, c’est de ne pas prêter notre concours à l’ensemble des processus bureaucratiques de réforme en cours. Faisons notre service normalement,  mais abandonnons tout le reste à son sort. On ne peut pas faire sans notre activité intellectuelle pour mettre en œuvre concrètement les réformes. Or, malheureusement, il y aura toujours de braves collègues qui voudront faire avancer la machine, malgré tout. En l’occurrence, pour la mobilisation sur la loi Fioraso, le gouvernement veut mettre en place des substituts aux IUFM dès l’année prochaine. Sauf à inventer une branche de l’enseignement supérieur sans enseignants du supérieur, il a absolument besoin du concours des universitaires : l’annonce que pas un universitaire ne souhaite participer en l’état à cette avancée serait un moyen de pression bien plus adéquat que toute autre forme classique de manifestation. En 2009, il me semble que c’est une pression de ce type de la part des directeurs de laboratoires de recherche qui a modéré les intentions de la loi Pécresse.  Cette année, cela n’aura pas lieu, parce que tout de même, il faut préparer la rentrée.

– plus généralement, j’aurais tendance à penser qu’une des raisons de la dégradation statutaire des universitaires tient à leur immense bonne volonté pour faire tenir les choses d’aplomb malgré tout. Qu’est-ce en effet qu’un universitaire, sinon qu’un (très) bon élève qui a réussi? De ce fait, la plupart d’entre nous tendent à essayer de sauver ce qui ne doit pas être sauvé. J’ai lu il y a quelque temps les aventures de Marc Sympa qui résumait en une journée les désagréments d’un universitaire dans une université ordinaire. Je suis moi-même un « nanti » qui exerce dans un IEP de province, et je ne peux que compatir avec Marc Sympa. Toutefois, je me dis toujours que Marc Sympa est largement responsable de ce qui lui arrive. Après tout, pourquoi ne baisse-t-il pas les bras? Pourquoi ne fait-il pas seulement ce qui est obligatoire dans le statut? Pourquoi ne provoque-t-il pas le blocage bien concret de son Université, simplement en arrêtant de faire plus qu’il ne doit? Un collègue économiste dans une grande université me racontait il y a déjà quelques années qu’il passait près d’un mois de son année de travail à courir après des dizaines de chargés de TD introuvables. Et s’il lui était venu à l’esprit d’arrêter de les chercher ces fameux précaires qui font tourner la machine? Eh bien, la machine se serait arrêtée. Bien sûr, il y a l’intérêt des étudiants… qui y auraient perdu leur année, et alors? Malheureusement, il y aura toujours le brave et obligeant collègue qui ne voudra pas en arriver là, et fera des pieds et des mains pour que l’université continue à faire semblant de fonctionner normalement malgré le manque de moyens. (Pour donner un exemple, en science politique, je me suis laissé dire qu’à l’Université Lyon II en science politique, il y aurait un peu plus d’une dizaine d’enseignants permanents pour… autour de 1500 étudiants inscrits… c’est sans doute un cas extrême, mais, pour des politistes spécialistes de l’art de la mobilisation politique, et quand on connait le nombre de docteurs sans poste dans notre discipline, on mesure le chemin à parcourir).

Désolé pour ces considérations pessimistes et défaitistes… Bonne mobilisation.

Ps. Les articles du Monde du mercredi 22 mai 2013  consacré à la réforme universitaire, avec un portrait fort louangeur de la Ministre Fioraso (avec de belles photos en plus), disent assez le peu de poids des universitaires dans la définition même des termes du (non-) débat en cours, à part une allusion à la prise de position d’une députée EELV, Isabelle Attard, en faveur des « jeunes chercheurs précaires ». Le résumé du contenu de la réforme est lénifiant, comme on dit.

10 réponses à “De Pécresse en Fioraso…

  1. La vache ! Voilà qui me change, enfin un collègue (je me permets, même si je suis bien plus newbie que vous dans le métier…) qui dit quelque part ce que je pense depuis la cuisante défaite de 2009. Il est clair pour moi que la mobilisation de 2009 a en grande partie terminée en rase campagne du fait de cette propension stérile 1) à se fier à des mobilisations convenant à d’autres situations salariales, d’une parfaite innocuité quand il s’agit des enseignants-chercheurs, sans analyse de nos vrais leviers d’action, comme justement, ne pas participer à la mise en place concrète des réformes, bloquer les examens etc. : exemple, pourquoi diable avoir fait malgré tout des maquettes de master enseignement? 2) au fait que cette propension vient du complexe du brave gars « qui pense à ses étudiants » (le choix du pseudo « Marc Sympa » étant ici assez symptomatique, je trouve).
    Sans parler de la réaction sur l’anglais, où je me suis dit tout de suite : OK, si le cœur, ou la visibilité de la mobilisation se fait là-dessus, non seulement c’est débile, mais en plus on a perdu d’avance.

    • @ erikantoine : oui, je sais bien, je suppose que le choix des répertoires d’action tient au fait que les syndicalistes veulent assimiler les universitaires à des salariés, voire à des prolétaires, dont la grève reste l’arme historique majeure. Il faudrait aussi ajouter que ce problème de l’inefficacité des répertoires d’action historiques du syndicalisme en général ne concerne pas que les universitaires… Et, pour l’heure, personne n’a trouvé dans le monde du travail une bonne solution pour rétablir les rapports de force au profit du travail ou du salariat.

      J’ai moi aussi pensé que le pseudonyme de Marc Sympa était très significatif.

  2. Bien heureux par cet article. J’attendais d’avoir le point de vue d’un universitaire sur cette « loi » pour voir si vous partagiez mon avis sur le sujet.
    Concernant la question de l’anglais, je pense que ce qui heurte le plus, c’est l’incohérence gouvernementale, qui dit un jour que le français est super moderne pour les sciences et le commerce, et s’offusque qu’un Ministre parle d’une « stratégie argent » dans la langue des godons…Et explique, dans le projet de loi, qu’il faut encourager l’anglais (ou plus exactement le globlish)…Parce que le français est « has been » !

    • @ seb : c’est sûr que ce gouvernement n’est pas vraiment étouffé par la cohérence. Si l’on veut vraiment apprendre l’anglais aux Français, commençons déjà par supprimer tout doublage de série ou film américain… Cela serait une façon de donner des cours gratuits de compréhension et d’accent à la plupart des gens… comme d’ailleurs dans tous ces pays du nord de l’Europe qui nous impressionnent tant. Ma propre femme a de fait appris l’anglais ainsi, sans cours au départ. Du coup, elle se moque toujours de mon pauvre accent de français…

  3. Fioraso, Pécresse… Mais c’est qu’on n’est pas loin du sexisme, là ! Attention, mêmes les universitaires font finir par penser avec Zemmour que les femmes sont les idiotes utiles de la mondialisation libérale.

    Cela dit, je ne comprends pas l’indulgence de Christophe sur l’anglais. La libéralisation de l’anglais est cohérente avec tout le reste, notamment l’amplification d’une compétition internationale entre les universités qui va laminer à terme les spécificités nationales et les filières « hors norme ». C’est aussi un attrape-nigaud pour les intellectuels, lesquels sont naturellement portés au cosmopolitisme et à l’exotisme. Vous ne voulez pas que vos étudiants s’ouvrent sur le monde ? qu’ils participent à ce vaste et beau mouvement de globalisation ? Pauvres franchouillards passéistes… Allez ! Tournez vous vers l’avenir ! D’ailleurs, même Bouillaud est pour.

    • @ Vince38 : sans doute, sans aller à faire du Zemmour, n’est-ce pas complètement un hasard si ce sont des « femmes politiques » qui se succèdent à ce ministère de peu d’importance au total…

      Pour l’anglais comme langue du grand capital apatride si j’extrapole ta pensée, tu exagères vraiment : on peut très bien donner à nos étudiants des cours en anglais sans que cela constitue une approbation univoque de la « mondialisation » (néo-libérale), ni une renonciation à nos valeurs humanistes (si c’est de cela qu’il s’agit). Tu oublies complètement que c’est aussi dans cette même langue que s’expriment les critiques les plus écoutés de cette dernière (du genre Stiglitz, Krugman, etc.), et que le monde anglophone ne se résume pas intellectuellement à Wall Street et à ses affidés. Je ne plaide d’ailleurs pas pour un monolinguisme en anglais, ce qui serait aussi idiot. En Italie, l’Université polytechnique de Milan vient de se faire condamner par la justice italienne pour avoir justement adopté une telle option monolingue. Il faut un équilibre entre deux langues. A mon sens, le cosmopolitisme – que tu confonds un peu rapidement avec l’exotisme tout de même – est tout à fait compatible avec le respect des différences « nationales » et/ou « locales ». L’uniformisation complète dans une langue mondiale quelle qu’elle soit ne peut pas marcher de toute façon.

  4. @ bouillaud : supprimer le doublage ne me semble pas bien pertinent. Les Français ont une langue (le français), et il me parait normal qu’ils puissent suivre les films qu’ils souhaitent dans la langue de leur pays (même si, là encore, je dois avouer que la cohérence est manquante : pourquoi le faire pour le cinéma, et pas pour la radio par ex ?)

    En revanche, il serait sans doute bon (ce n’est pas votre cas, mais tous ne sont pas dans cette situation) que les professeurs, eux, appelés à dispenser des cours dans des langues étrangères (pas seulement l’anglais), quel que soit, au demeurant, le niveau (CM2 à post bac)…la connaissent !

    Personnellement, j’ai « appris » l’anglais en chantant. A force d’écouter des groupes anglophones, j’ai fini par chercher ce qu’ils disaient…Et j’avoue avoir été souvent été déçus par les paroles !

    Pour l’allemand, c’est l’amour, dira-t-on, qui m’a encouragé ! Mon épouse est originaire d’Alsace, et mon beau père ne parle que cette langue.

    Personnellement, je crois qu’il est bon que les Français s’ouvrent aux langues étrangères. Ce qui m’énerve un peu (comme d’autres), c’est la prééminence donnée à « l’anglais ». Étant chef d’entreprise, je suis amené à côtoyer beaucoup de pays de langues « latines » avec qui je ne m’entretient jamais en anglais. Et pour cause…Un espagnol, qui a tendance a roulé les r, pratique souvent un anglais détestable ! L’espéranto ou…Le latin (et oui !) convient mieux dans ses situations !

    Avec un allemand, l’anglais marche bien, mais pas nécessairement avec un chinois ou un japonais. Au demeurant (merci M. Chirac !), les Japonais que je côtoie adorent la langue française. Donc, avec eux, je parle français ou l’espéranto !

    Bref, encourager les cours en anglais, pourquoi pas…Si les enseignants sont aptes à la parler correctement ! Et si l’on ne fait pas une fixette sur cette langue.

    Oui à l’ouverture d’esprit…Non à la prédominance d’une langue, pour le seul plaisir de nos amis anglophones !

    • @ seb : il n’est pas sûr que l’usage de l’anglais fasse plaisir à tous les anglophones natifs, j’étais une fois dans un colloque de relations internationales, où, à la fin, la seule vraie anglophone (une Britannique à la Miss Marple) nous a dit, en blaguant à moitié, que la discussion était vraiment géniale, mais qu’elle avait beaucoup souffert de nous voir tous écorcher l’anglais et tous mélanger l’anglais et l’américain… Dans la salle, il y avait des gens du sud et du nord de l’Europe, les uns parlaient vraiment bien anglais de mon point de vue, d’autres, les latins, moins bien… mais notre Britannique ne nous a pas ratés, tous autant que nous étions! Humour britannique, je suppose.

      Pour l’importance de l’usage de l’apprentissage d’autres langues que l’anglais, je suis entièrement d’accord, aussi bien pour le commerce que pour la culture. (J’ai d’ailleurs aussi fait des cours en italien il y a quelques années.) D’ailleurs, si l’on veut être économiquement réaliste, ne faudrait-il pas privilégier désormais le chinois? ou tout au moins une langue asiatique? Cependant, il faut bien souligner que, dans la plupart des sciences (dont les sciences politiques), l’anglais sert de langue véhiculaire, et les étudiants avancés doivent maîtriser cette dernière pour avoir accès à l’information scientifique, à certains débats. En revanche, ce qui fait la force d’une langue, c’est le nombre de traductions qu’elle accueille : pour assurer la pérennité du français en sciences sociales, c’est surtout cela qu’il faudrait faire, traduire, traduire, dans notre langue tout ce qui est publié d’intéressant et d’important en anglais ou en une autre langue. De fait, en littérature, le français reste une « langue-pont » très importante, on peut y trouver pratiquement des échantillons de tout ce qui s’écrit par ailleurs. En sciences humaines, nous avons du mal à assurer une pareille ouverture, qui ensuite profiterait au statut de langue française.

  5. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Et ma fille ayant réalisé un stage à la commission européenne, au moment de la « crise » du H5N1, m’a raconté que les conversations entre les membres représentants les pays de l’UE étaient franchement drôles, en ce sens que les « latins » s’exprimant en « anglais » (globlish plutôt) le faisaient d’une façon qui (effectivement) était fort déplaisante pour une oreille anglaise !

    Je suis tout à fait d’accord avec vous sur l’importance de la traduction. Et je déplore que cela ne se fasse pas. La faute, sans doute, au « renoncement » flagrant de nos dirigeants, qui ne semblent pas avoir compris que ce n’est pas la taille d’un pays qui fait sa force au plan mondial ! Si tel était le cas, comment expliquer le sort de la France ou celui de « Venise » ?

  6. En gros, soit le Dieu-Etat pond une réforme qui vous plaît (mais je me dis que d’ici à ce que cela arrive…), soit le Dieu-Etat est méchant, et la bonne attitude est de se cantonner à faire ce que la loi précédente disait de faire… Quant à l’anglais ou le zwahili ou le breton comme langue d’enseignement, on s’en branle, c’est pas le problème.

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