Le gouvernement « rouge-brun » d’Athènes (comme diraient les Gracques et quelques autres) par la voix d’Alexis Tsipras a décidé dans la nuit de vendredi à samedi d’appeler à un référendum dimanche 5 juillet 2015 sur les dernières propositions en date (25 juin) des créanciers européens et internationaux de la Grèce. Il estime en effet ne pas avoir de mandat populaire pour continuer la politique d’austérité demandée de fait par les créanciers, comme cinq mois de négociations l’ont amplement confirmé. Il considère par ailleurs qu’un nouveau plan d’austérité ne fera qu’enfoncer encore plus l’économie et la société grecques dans la crise ouverte en 2010. Une majorité au Parlement grec a approuvé cette décision gouvernementale dans la nuit de samedi à dimanche. Les néo-nazis d’Aube dorée ont même voté avec les partis gouvernementaux pour faire bonne mesure. La réaction à cette annonce a été au départ extrêmement négative de la part des partenaires européens de la Grèce. La réunion de l’Eurogroupe du samedi 27 juin a d’ailleurs tourné court pour cette raison, et, sous l’impulsion de son président néerlandais, l’Eurogroupe a diffusé un communiqué sans l’aval du représentant grec et s’est réuni sans lui après la fin de la réunion qui a pris acte du désaccord.
J’ai cependant l’impression à écouter les déclarations de Michel Sapin, notre Ministre de l’économie, ce matin sur France-Inter, que la perception de ce même référendum grec du 5 juillet a rapidement changé. En effet, M. Sapin n’a pas du tout critiqué le droit des Grecs à se prononcer par référendum.
Ce changement se trouve sans doute lié au fait qu’à Paris, les dirigeants se sont vite rendus compte qu’en réalité le « oui » (aux mesures d’austérité proposées par les partenaires européens) pouvait l’emporter. Yanis Varoufakis, le Ministre grec de l’économie, dans les propos qu’il dit avoir tenu devant l’Eurogroupe de samedi, évoque lui-même cette possibilité d’un « oui ». Il souligne de manière (trop) honnête qu’en réalité le gouvernement Syriza-ANEL n’a été soutenu que par une minorité d’électeurs en janvier 2015 : « Our party received 36% of the vote and the government as a whole commanded a little more than 40%. Fully aware of how weighty our decision is, we feel obliged to put the institutions’ proposal to the people of Greece. » La demande grecque d’étendre de quelques jours le programme de sauvetage de 2012 correspondait aux dires même du Ministre Varoufakis samedi dernier à la nécessité de laisser voter les électeurs grecs dans un climat (relativement) apaisé. Cela ne va bien sûr pas être le cas. Les partenaires européens et les partisans grecs d’une poursuite de la politique menée depuis 2010 ne vont surtout pas se gêner pour effrayer les électeurs grecs au dernier degré, afin qu’ils fassent le bon choix. On va laisser voter les « mémés » grecques (pour reprendre le terme de quelqu’un qui s’offusquait il y a deux jours de ce droit donné au peuple de décider de son sort) tout en leur expliquant que voter non, c’est, non seulement le retour à la Drachme et à la misère, mais que cela provoquera aussi à terme le retour des Janissaires…
Avec le blocage des comptes bancaires en Grèce, lié à la décision de la Banque centrale européenne, de ne pas augmenter les liquidités d’urgence (ELA) fournies aux banques grecques, l’ambiance dans lequel le référendum va se tenir en Grèce constitue en effet presque une garantie que le « oui » l’emporte. En fait, le gouvernement Syriza-ANEL organise du coup un vote de recall à son égard – ce qui devrait enchanter les esprits dans toutes les autres capitales européennes. Sa chute parait en effet inévitable en cas de « oui » des électeurs grecs à l’austérité quoi que puisse en dire par ailleurs Yanis Varoufakis. Selon tous les sondages disponibles (réalisés ces derniers mois), les électeurs grecs ne veulent pas que la Grèce quitte la zone Euro, or le « oui » , quelque soit son contenu précis en termes de mesures d’austérité, va apparaître comme un espoir de maintien dans cette même zone Euro, et le « non » comme un risque de sortie définitive. Il faudrait vraiment qu’une majorité d’électeurs grecs soient donc très courageux à court terme pour voter non, et qu’en plus, ils admettent que les risques liés au retour à la drachme sont moindres à moyen terme que ceux liés à une stagnation de très longue durée au sein de la zone Euro.
N’en déplaise à certains, l’Euro est un piège dont on ne sort pas si facilement.
En tous cas, chapeau à Tsipras. Un politicien qui se bat pour son pays et qui tient parole sur ses promesses électorales, ça nous change du train-train habituel. Comme quoi, c’est possible.
Si j’étais aussi pessimiste que toi, je rajouterai aussi l’argument lié à l’explication culturaliste et le poids symbolique de la monnaie. Si détenir l’euro, c’est appartenir au camp des occidentaux, et non plus, du bassin méditerranéen, ou pire, turc, alors les grecs vont vouloir continuer cette appartenance, quelque soit le coût. ET, ironie du sort, cette explication liée à la « superstructure » vient du député marxiste Costas Lapavistas. https://www.jacobinmag.com/2015/03/lapavitsas-varoufakis-grexit-syriza/
@ clementfontan : effectivement, c’est une bonne explication. En tout cas, l’Euro, c’est vraiment l’étalon-or de notre temps…avec les mêmes résultats tragiques.
Je crois que vous sous estimez le rejet de l’austérité en Grèce. Il est fort possible que le « non » l’emporte. Mais un « non » ne veut pas dire forcément une sortie de l’euro, sauf si l’Eurogroupe décide d’exclure la Grèce et si la BCE coupe le robinet des liquidités aux banques grecques. Vous dites que le personnel politique s’est trop investi dans l’euro pour accepter un Grexit, pourtant j’ai eu l’impression ces jours-ci qu’il était dans leur intention de le provoquer, car ils n’ont fait absolument aucun effort pour obtenir un accord de Tsipras, et bien au contraire ils ont tout fait pour le pousser à bout. Leur objectif était sans doute de faire tomber Tsipras, mais c’était tout de même jouer avec le Grexit. D’ailleurs nous avons entendu des discours, notamment en Allemagne, expliquant que la zone euro est parfaitement capable aujourd’hui de surmonter un Grexit. Et un responsable de la BCE a admis que l’Euro n’était pas irréversible.
@ Albert : pour ma part, vraiment, je ne crois pas que le « non » puisse l’emporter : la démographie grecque est celle d’un pays de l’Europe du sud, en terme relatif beaucoup de vieux et peu de jeunes. Les vieux ne peuvent pas envisager sans terreur une phase d’inflation suite au retour à la drachme, ils préfèrent sans doute avoir quelques rares euros « lourds », plutôt que quelques moins rares « drachmes » légères et fondantes. Et en plus, les télévisions privées, que ne manquent pas de regarder les vieux à longueur de journée, sont à 100% pour le « oui ». Le gros de la presse aussi. Bref, à mon sens, A. Tsipras va perdre son pari, ce que, par ailleurs, je déplore au plus haut point. Ce référendum grec sera une pierre tombale pour la gauche européenne.
Par ailleurs, vous avez raison de souligner qu’il existe deux lignes parmi les « créditeurs » : une ligne France – Commission européenne – (et États-Unis) qui ne veut pas du « Grexit » et une ligne Allemagne & Cie qui accepte de jouer avec l’idée d’une sortie de la Grèce. Si le « non » l’emportait en Grèce, cela mènerait sans doute à une belle engueulade. Avec le « oui », on se mettra facilement d’accord pour continuer à garder la Grèce prisonnière de l’Eurozone.
Les Grecs et les médias grecs sont peut-être conservateurs, mais cela n’a pas empêché Syriza d’arriver au pouvoir. Et plusieurs sondages ont donné le « non » gagnant.
@ Albert : en tout cas, si le « non » l’emporte, les électeurs grecs auront montré une rare « vertu » au sens de Machiavel.
Le pire n’est pas toujours certain, M. Bouillaud…
Je ne sais pas comment cela va finir, mais on peut d’ores et déjà faire deux constats :
– les Grecs, en votant « non », ont placé le rejet de l’austérité devant leur peur du Grexit;
– l’Allemagne, la Finlande et plusieurs autres pays recherchent le Grexit, la réunion de l’Eurogroupe du 11 juillet l’a montré avec évidence.
Quelle que soit l’issue de cette crise, il n’est plus possible d’affirmer que l’euro est irréversible et que les états et les peuples feront tout pour le conserver.