Ces compromis qui tuent l’Europe (2)

(Version légèrement révisé le 14 juillet en milieu de journée.)

L’accord auxquels sont arrivés les dirigeants européens dans la nuit de dimanche à lundi constitue vraiment un pur chef d’œuvre. Il restera indéniablement dans les annales de l’histoire européenne. François Hollande a eu raison de le qualifier d’historique, il l’est d’évidence, une vraie pierre de Rosette de l’Euro. Tout est clair désormais. Pour sauver l’intégrité de la zone Euro, les dirigeants européens ont en effet choisi de piétiner toute raison économique et politique. Il suffit de lire l’accord dans sa version anglaise (qui, je suppose, est la version sur laquelle nos dirigeants ont négocié et qui m’a paru différer de la version française en quelques points qui peuvent être des erreurs de traduction) pour se rendre compte à quel point il constitue une négation de la démocratie souveraine de la Grèce, à quel point il n’est que diktat, à quel point il n’est que méfiance vis-à-vis des autorités grecques (cf. la première phrase : « The Euro Summit stresses the crucial need to rebuild trust with the Greek authorities as a pre-requisite for a possible future agreement on a new ESM programme. ») La mise sous tutelle de ce pays, tout au moins dans tout ce qui concerne sa vie économique et sociale, est évidente. Il y est écrit explicitement que, s’il n’y a pas de déblocage de fonds à la fin du processus engagé, cela sera entièrement la faute de la partie grecque (cf. le passage suivant : « The above-listed commitments are minimum requirements to start the negotiations with the Greek authorities. However, the Euro Summit made it clear that the start of negotiations does not preclude any final possible agreement on a new ESM programme, which will have to be based on a decision on the whole package (including financing needs, debt sustainability and possible bridge financing). », ce qui veut dire en clair que ce n’est pas parce que vous aurez fait tout cela au préalable que l’on vous donnera nécessairement de l’argent). Il ne manque à ce document que la nomination à Athènes d’un « Haut commissaire plénipotentiaire extraordinaire »  à la place de toutes les autorités légales du pays pour compléter le tableau. Cela reste juste un peu plus discret, « post-moderne » en somme, avec le retour prévu (la « normalisation » de leur situation selon le texte) des hauts fonctionnaires de la « Troïka » (les « Institutions ») dans les ministères grecs pour surveiller ce qui s’y passe (cf. la formule, [la Grèce s’engagera] « to fully normalize working methods with the Institutions, including the necessary work on the ground in Athens, to improve programme implementation and monitoring ») , et avec l’engagement de revoir toute la législation prise depuis le 20 février 2015 quand elle ne correspond pas à ce que les MoU (Memorandum of Understanding) précédents avaient prévu (cf. « With the exception of the humanitarian crisis bill, the Greek government will reexamine with a view to amending legislations that were introduced counter to the February 20 agreement by backtracking on previous programme commitments or identify clear compensatory equivalents for the vested rights that were subsequently created. »)  – clause  vexatoire pour Syriza et son Premier Ministre. En tout cas, il est désormais évident que, dans la zone Euro, certains sont vraiment plus égaux que d’autres. Ce texte ressemble à s’y méprendre à un document de capitulation, avec toute l’acrimonie que peut comporter un tel texte de la part des vainqueurs.

Sur le plan strictement économique, c’est à tout prendre du pur délire. Je n’ai pas lu pour le moment un commentaire à contenu économique qui ne souligne pas ce fait. Les dirigeants européens reprennent dans ce plan du 12 juillet 2015, qui constitue en fait les lignes directrices du troisième Memorandum et qui vise à ouvrir la voie à un prêt du MES (Mécanisme européen de stabilité), tout ce qui n’a pas marché jusque là et qui a mené la Grèce vers l’abîme, et, pour bien faire, ils en rajoutent une bonne pelletée. Tsipras lui-même l’a dit en sortant de la réunion lundi matin 13 juillet : « Cet accord est récessif ». Il espère certes que les fonds européens apportés pour investir en Grèce vont compenser cet effet. C’est illusoire bien sûr, parce que la détérioration de l’économie ira bien plus vite que le déblocage de ces fonds européens. La hausse immédiate de la TVA par exemple va plonger encore plus l’économie dans la récession. (Et va sans doute encourager la fraude fiscale!) Les choix de politique économique imposés à la Grèce restent donc inchangés, comme l’a dit clairement le spécialiste de l’Euro, Paul De Grauwe (dans un entretien donné à la Libre.be) : austérité, privatisations et réformes structurelles, le tout accompagné de prêts conditionnés surtout destinés à rembourser les prêts déjà consentis, et à sauver les banques privées grecques de la faillite (due entre autre au ralentissement économique qui a rendu beaucoup de leurs emprunteurs insolvables). Quant à la cagnotte des privatisations, évaluée à 50 milliards d’euros, c’est là encore une redite des plans précédents, un chiffre fétiche (pourquoi 50 et pas 25,  75 ou 100?). Le  montant a sans doute été choisi pour faire croire que les créanciers n’auraient rien de plus à prêter à la Grèce que ce qu’ils n’ont déjà prêté. Bien sûr, tous ces choix, à tout prendre délirants, dépendent de deux constantes inchangées : le maintien de la Grèce dans la zone Euro et le montant nominal de la dette grecque face à une économie diminuée d’un quart par rapport à 2010. Comme les dirigeants européens se sont mis d’accord pour ne rien changer sur ces deux points (cf. « The Euro Summit stresses that nominal haircuts on the debt cannot be undertaken. » suivi de « The Greek authorities reiterate their unequivocal commitment to honour their financial obligations to all their creditors fully and in a timely manner. ») , il ne reste plus qu’à continuer sur la lancée des plans précédents, qui ont si bien fonctionné. Et bien sûr c’est sûr, cette fois-ci, cela va bien marcher. (En dehors des aspects macroéconomiques, un tel accord va pousser encore plus de jeunes grecs à quitter le pays, ce qui aggravera à terme encore la situation économique et sociale de la Grèce.) Les difficultés  à rester dans les clous du Memorandum précédent sont d’ailleurs attribués explicitement et exclusivement dans le texte au relâchement de l’effort depuis un an, autrement dit au cycle électoral grec, et souligne même que les autres Européens ne sont pour rien dans la situation, bien au contraire, ils ont fait leur devoir et plus encore (cf. « There are serious concerns regarding the sustainability of Greek debt. This is due to the easing of policies during the last twelve months [sic, je souligne], which resulted in the recent deterioration in the domestic macroeconomic and financial environment. The Euro Summit recalls that the euro area Member States have, throughout the last few years, adopted a remarkable set of measures supporting Greece’s debt sustainability, which have smoothed Greece’s debt servicing path and reduced costs significantly. ») Là encore, je me demande encore comment Tsipras a pu donner son accord à un tel document, qui exonère les autres Européens de toute responsabilité dans la situation de la Grèce.

Sur le plan politique, la démonstration est en effet ainsi faite  à travers ce texte : un pays débiteur dans le cadre de la zone Euro n’a plus besoin d’organiser des élections libres et compétitives, et encore moins des référendums. Ces institutions démocratiques à l’occidentale s’avèrent même contre-productives pour le bonheur des populations dans ces pays, qui sont entièrement à la merci du bon-vouloir des pays créditeurs et des institutions européennes (Commission et surtout BCE) que ces derniers dominent, et qui n’ont qu’à attendre que l’austérité fasse son effet positif à moyen terme sans se plaindre. Les populations des pays débiteurs n’ont  d’ailleurs pas lieu de se plaindre vraiment puisqu’on les aide – il est même question d’aide humanitaire -, et, par ailleurs, elles n’ont sans doute que ce qu’elles méritent pour avoir de tout temps bien mal utilisé leur droit de vote, d’abord en élisant des dirigeants corrompus nationalistes, dispendieux et inefficaces jusqu’en janvier 2015, pour ensuite passer le relais à des rêveurs gauchistes, et pour avoir enfin voté courageusement bêtement lorsqu’on leur a demandé leur avis par une démagogie d’un autre temps. A ce compte-là, les Grecs étant au fond de grands enfants, il serait certes plus simple qu’ils ne votent plus, cela ferait des économies, éviterait toutes ces discussions oiseuses et éviterait de faire dérailler les beaux programmes de redressement conçus pour l’économie grecque. De toute façon, les autres pays membres de la zone Euro n’ont à ce stade besoin que d’un prête-nom, d’un fantoche, qui maintient l’illusion de la souveraineté. Quand on demande un pays de voter autant de lois dans les trois jours ou les dix jours (dont un code de procédure civile pour le 22 juillet, « the adoption of the Code of Civil Procedure, which is a major overhaul of procedures and arrangements for the civil justice system and can significantly accelerate the judicial process and reduce costs »), on fait d’évidence bien peu de cas de ses soit-disant législateurs – l’insulte est d’autant plus énorme que jamais cela ne se passerait ainsi au Bundestag ou encore moins au Parlement européen. Ce genre de mise sous le joug d’un pays par un autre s’est vu bien souvent dans l’histoire, et c’est d’ailleurs justement par la dette que certaines colonies françaises ont commencé à exister (comme la Tunisie si mes souvenirs sont exacts). L’Euroland vient donc par la déclaration du Conseil européen daté du 12 juillet 2015 (rendu publique le 13 au matin) de se doter de sa première colonie intérieure. Un Premier Ministre, soit disant d’extrême-gauche (?), vient ainsi de prouver au monde que, sous la ferme pression de ses pairs européens, il peut accepter un programme de la plus stricte orthodoxie néo-libérale. C’est du pur TINA – avec des détails tragi-comiques, comme cette obligation de légiférer  sur l’ouverture des magasins le dimanche. (C’est vrai que dans un pays touristique, le client devrait être roi en toute heure et en tout lieu.) A lire l’accord, on ne peut que penser que le résultat du référendum a vraiment été tenu pour rien, voire moins que rien. (Ou pire qu’il aurait donné l’envie aux autres dirigeants européens d’obliger Tsipras à se renier entièrement, y compris sur des points de détail.) Il a simplement accéléré les choses. De fait, si le gouvernement Tsipras avait signé avant et sans référendum, il aurait de toute façon eu à négocier cet automne un autre mémorandum. Simplement, avec le référendum, les choses sont allées directement à la négociation suivante. Et comme les autres dirigeants européens ne veulent rien changer à leurs recettes de « sauvetage » économique, on aurait de toute façon abouti au même résultat. Il n’y a donc pas grand chose à regretter, et en plus, l’épisode du référendum constitue un acquis pour la connaissance de l’Union européenne en général et de la zone Euro en particulier qui ne sera pas oublié.

Les premières  leçons de tout cela sont terribles.

Du point de vue économique, les gestionnaires actuels de l’Eurozone ne connaissent d’évidence qu’une seule potion pour régler les problèmes d’un pays. Si cette potion d’aventure ne marche pas, c’est la faute des dirigeants  nationaux concernés qui ne se la sont pas assez « appropriés », qui ont relâché l’effort. Elle ne peut que marcher, puisqu’elle a marché en Lettonie, Estonie, etc.  Le principe de « subsidiarité », qui supposerait au minimum une adaptation des politiques économiques européennes aux spécificités de chaque pays membre, est totalement mort et enterré.  Il n’existe qu’une one best way européenne, point barre. Cela ne peut que marcher.

Du point de vue politique, le dénouement de la nuit du 12 au 13 juillet 2015 montre que les dirigeants européens sont prêts à tout sacrifier au maintien de la zone Euro – enfin, à vrai dire, surtout le bonheur des autres – , et qu’ils ne comptent en même temps pour rien la légitimité du projet européen comme lieu de progrès démocratique, économique et social et comme moyen de pacifier les relations entre peuples européens. L’élection comme moyen de signaler un désarroi populaire n’a pas de valeur dans la zone Euro : les rapports de force entre États l’emportent sur toute considération démocratique de légitimité. Le résultat du référendum grec (61% de non à plus d’austérité) aurait dû aboutir au minimum à un début de réflexion sur une autre approche du problème grec, il n’en fut rien. Et je crois qu’il faudra un certain temps pour bien digérer ce fait politique, presque inédit à ma connaissance dans les annales de la vie démocratique des nations, surtout dans l’immédiateté du déni du résultat populaire par les élites concernées (aussi bien d’ailleurs en Grèce qu’ailleurs en Europe). Il n’y a même pas eu de « période de réflexion » comme il y en eut après les référendums français et néerlandais de 2005.

Par ailleurs, comme je l’ai dit plusieurs fois sur le présent blog, les investissements politiques dans l’Euro sont décidément tels qu’il est totalement impossible aux dirigeants européens de s’en passer. Les économistes auront beau montrer qu’il n’est pas rationnel de s’entêter dans cette mauvaise idée, cela ne sert absolument à rien. Dans le cas présent, ce sont d’après ce qu’on a pu savoir surtout les dirigeants français qui ont fait pression pour qu’une solution soit trouvée à tout prix – probablement les États-Unis ont aussi fait leur part plus discrètement pour des raisons géopolitiques et financières. En effet, le présent accord doit aussi être vu du côté des pays « créditeurs ». Les dirigeants allemands étaient sans doute sérieux dans leur menace de provoquer le Grexit. Le témoignage de l’ancien Ministre grec de l’Économie, Yanis Varoufakis, donné à un journal britannique, le NewStateman, va dans ce sens. De fait, il correspond bien à la tonalité du texte adopté par les dirigeants européens. Il apparait sans doute absurde  aux dirigeants allemands et à leurs proches alliés dans cette affaire de financer à fonds perdus un État comme la Grèce, d’où leur demande d’un alignement total de la Grèce sur leur idée de la bonne politique économique, d’où leur volonté de tirer le maximum de ressources de la Grèce elle-même en prévoyant le plus de privatisations possibles, d’où leur refus d’envisager la moindre annulation de dettes. En somme, il ne faut pas sous-estimer le fait que ces États créditeurs se trouvent eux aussi prisonniers de l’impasse que constitue l’Euro, et qu’ils y défendent ce qu’ils croient être leur meilleur intérêt – payer le moins possible.   Cependant, il faut souligner aussi que les derniers jours ont clairement fait apparaître la difficulté des États « créditeurs » à continuer la mascarade de l’Euro comme promesse d’une  Union politique à venir. En effet, ces États « créditeurs », dont bien sûr l’Allemagne, défendent aussi désormais publiquement leur idée d’un Euro sans aucune solidarité entre États. Il y a en somme désormais deux versions d’un « Euro intangible », celle des Français qui y voient encore le projet d’union politique de l’Europe et celle des Allemands et de leurs alliés qui n’y voient que le « super- Deutsche Mark » partagé entre les seuls États « sérieux » du continent européens, mais les deux s’accordent encore (pour l’instant) sur l’idée d’un Euro qui doit perdurer. L’illusion d’une concordance pourrait ne pas durer, sauf si la France se rallie pleinement à la version allemande- le choc risque d’être rude de ce côté-ci du Rhin: « L’Europe sociale n’aura pas lieu », et donc tout le projet socialiste français établi dans les années 1980 est caduc.

Pour les forces qui voudraient s’opposer aux règles et fonctionnements de l’Eurozone actuelle, la leçon grecque est difficile à accepter dans toute son horreur et dans toute son exigence. En pratique, il n’existe donc aucune sorte d’accommodements possibles, tout au moins dans le cadre d’un État « débiteur ». Pour reprendre la terminologie bien connue, « Voice » (la protestation) est inutile, il ne reste que « Loyalty » (la soumission silencieuse) ou « l’Exit » (la sortie). Les électeurs grecs ont tenté la voie de la protestation, et sont allés jusqu’à voter massivement non à un référendum. Cela n’a servi absolument à rien. Les autres électeurs ailleurs en Europe sont prévenus : il ne sert vraiment plus à rien d’aller voter sur ce genre d’enjeux, ou alors il faut voter pour des forces authentiquement décidés à en finir avec l’Euro. De fait, tout ce qui arrive aux Grecs et au parti qu’ils ont choisi pour les représenter en janvier dernier, Syriza, tient à leur illusion qu’il puisse y avoir une autre voie dans l’Euro. Le politiste Cas Mudde a raison de souligner qu’il ne peut pas y avoir d’euroscepticisme conséquent, ou de volonté de créer une « autre Europe », qui ne passe pas  d’abord par une sortie de la zone Euro. Cette dernière est en effet de par sa conception même, sans doute moins néo-libérale qu’ordo-libérale, et par la domination des États « créditeurs » qui s’y exerce incapable – y compris via la BCE – d’accepter d’autres options de politique économique que celles de l’austérité permanente. En fait, depuis l’adoption du TSCG et des autres mesures de contrainte budgétaire (« Six Pack », « Two Pack », etc.), il s’agissait déjà d’une évidence de papier, mais, désormais, la Grèce nous offre à son corps défendant un exercice en vraie grandeur de cette évidence – avec la BCE dans le rôle de l’exécuteur des basses œuvres de l’Eurogroupe, de bras séculier en quelque sorte. Le service de la dette publique et la stabilité de la monnaie comme réserve de valeur l’emportent décidément sur la volonté populaire, comme dirait le sociologue allemand Wolgang Streeck, qui décidément a bien cadré notre époque (cf. Du temps acheté. Paris : Gallimard, 2014).

Cela pose bien sûr un problème de cohérence : pour être sérieux face à l’Euro, il faudra désormais, non pas être gentiment réformiste et « européiste » comme le fut Tsipras (qui, rappelons-le, s’était présenté à la Présidence de la Commission lors des européennes de mai 2014 au nom du « Parti de la gauche européenne » [PGE] et sous le slogan éculé d’une « Autre Europe »), mais méchamment révolutionnaire et  « nationaliste ». Je doute que ce triste constat fasse les affaires de la (vraie) gauche européenne, et encore moins de la (vraie) gauche française.

18 réponses à “Ces compromis qui tuent l’Europe (2)

  1. Je ne suis pas d’accord avec vous : nous sommes passés très près d’un Grexit. Il aurait pu avoir lieu si la ligne Varoufakis l’avait emportée (voir les révélations de ce dernier dans la presse). Le référendum a montré que les Grecs pouvaient l’assumer, et qu’ils l’assumeront sans doute à l’avenir en votant pour des partis eurosceptiques puisque nous sommes bien d’accord que la situation en Grèce va empirer. Le sommet de l’Eurogroupe a mis en évidence que l’Allemagne et d’autres pays ne cherchaient pas à maintenir l’intégrité de la zone euro à tout prix. Sans croissance et sans inflation, l’endettement va continuer de croître, rendant la situation de nombreux pays impossible à tenir dans le cadre de l’euro.

    • @ Albert : sans doute pour l’avenir vous finirez par avoir raison. Mais, pour l’instant, ce qui doit être souligné, c’est la volonté des dirigeants européens de trouver un compromis y compris le plus foireux comme ce dernier pour préserver les apparences, alors même que la terre entière et les électeurs du côté des pays créditeurs en particulier leur dit qu’il s’agit d’un compromis foireux. C’est cela qui doit nous intéresser : malgré tous les bons arguments de Schaueble pour arrêter là les frais, la décision collective a été de continuer quitte à être la risée de la planète.

    • Et alors doit-on s’accrocher à cet Euro qui n’est en fait qu’un mark c’est à dire une monnaie adaptée aux réalités de l’économie allemande et à sa démographie

  2. C’est pas pour rien que les pays à plus forte tradition démocratique sont restés prudemment hors de l’Euro (voire de l’UE comme la Suisse et l’Islande). Je crois qu’en faire partie est même un bien mauvais signe de ce point de vue…
    Je ne compterais d’ailleurs pas trop sur l’extrême-droite pour sortir un pays qui y serait engagé. Ils ont pour habitude de se vendre au plus offrant, donc je ne vois pas pourquoi ils tiendraient ce genre de promesse. Il faut attendre l’émergence d’une droite classique nationaliste (type gaulliste, vraiment gaulliste) ou d’une extrême-gauche nationaliste (type jacobine, le parti communiste grec défendait d’ailleurs cette voie depuis le départ). Bref, c’est pas pour demain.

    • @ MonPseudo : oui, les pays européens qui se sont méfiés ont fait le bon choix, et en plus, pour l’instant, les gouvernants respectent la volonté des citoyens (comme la Suède qui devrait être dans l’Euro, mais qui ne l’est pas à cause d’un référendum sur le sujet en 2003).
      Je suis assez d’accord en plus avec vous sur l’extrême droite. En réalité, en France, une partie de sa base électorale (les petits retraités du sud-est de la France) n’aura jamais l’envie de sortir de l’Euro de manière révolutionnaire. Cependant, il reste que l’épisode grec risque fort de favoriser auprès des électeurs les forces apparaissant les plus extrémistes et les plus nationalistes. Le discours de gauche sur « l’autre Europe » va vraiment être déconsidéré pour stupidité et irréalisme.

  3. Ce que la crise grecque révèle ainsi que votre interpétation des évènements, c’est le fonctionnement de cette Europe et de son coeur dur l’euro. Nous commençons à réaliser que les démocraties nationales avec leurs institutions forgées par leurs peuples et leurs élus au cours de leur histoire et d’élections périodiques successives, ne sont pas compatibles entre elles, dans cette Europe là. Du coup, la technocratie européenne ignore les processus démocratiques pour imposer sa vision du bien commun. Une Europe dans laquelle l’Allemagne revient avec ses vieux démons: le Lebensraum à l’Est; l’ouverture et la domination à l’Ouest avec la complicité d’élites acceptant cette domination de l’Allemagne comme en 1940. L’histoire se répète d’une autre manière. Les processus démocratiques nationaux sont incomaptibles. Faut-il espérer que l’Angleterre, comme en 1940-1945, résistera et mettra un terme à cette Europe là? Voir « Greece and the fate of the Euro » http://bit.ly/1eYMS9X et ce point de vue d’Eric Verhaeghe http://bit.ly/1M3kDE1

    • @ pratclif62 : en tout cas, les Conservateurs britanniques fidèle à l’héritage de M. Thatcher peuvent largement dire qu’ils avaient raison depuis le début sur l’Euro.

  4. Plus prosaïquement, ce qui continue de me sauter aux yeux est le fait que les institutions européennes vont continuer de demander au gouvernement grec d’augmenter drastiquement les impôts, alors même que le président de la Commission Européenne est l’ancien Premier Ministre du Luxembourg et a largement œuvré pour que son pays devienne un paradis fiscal. De ce point de vue, si j’étais grec, je ferais probablement en sorte de payer le moins d’impôt possible, sans remords.

    • @ léo : Vous avez raison. Dans un pays qui, en raison de son passé ottoman, a une longue habitude d’éluder le fisc (des occupants), il n’est d’évidence pas très fin d’avoir augmenté ainsi les impôts directs et indirects à ce rythme depuis 2010, et de continuer en plus à vouloir augmenter les impôts en 2015, sans avoir aucun vrai consensus démocratique sur ce point. De ce point de vue là, le plan des Européens du 12 juillet 2015 n’est pas « néo-libéral » version Reagan ou Thatcher, il est simplement stupide.

  5. Merci pour ton analyse Christophe. Le niveau d’imbécilité politique et économique atteint de la part des institutions européennes laisse rêveur. Reste à l’expliquer. Ton hypothèse institutionnelle path dependency à l’euro (avec les investissements politiques comme facteurs renforçants) + BCE comme bras armée est séduisante, mais, selon moi, elle reste à compléter par une considération en termes d’agency. Par exemple, je doute que TOUS les dirigeants allemands pensent que c’est une bonne idée de crucifier ainsi Tsipras et/ou de faire sortir la Grèce de la zone euro. Weidmann, le président de la Buba, a posé sur la table ce que cela pourrait couter, je pense que cela a du faire réfléchir. Je pense qu’en fait, les dirigeants allemands sont prisonniers de leur opinion publique (la surenchère du SPD peut être un bon indice pour ceci) qu’ils ont eux-mêmes monté contre les Grecs depuis 2010 par leur mensonge originel sur le cadrage de la crise (comme fiscale plutôt que bancaire). Le mensonge était tellement gros qu’il est impossible de revenir dessus. Comme seuls l’Eurogroupe et la BCE comptent dans la résolution de crise, que le premier est dominé par l’Allemagne et que la deuxième est effectivement le bras armé de l’Eurogroupe, cela me semble être le facteur explicatif principal.

    • @ clementfontan : tu as sans doute raison pour la contrainte représentée par l’opinion publique allemande trompée sur la nature même de la crise grecque dès le début, c’est d’autant plus vrai que ce sont les mêmes dirigeants allemands (Merkel et Schaueble) qui sont au pouvoir en 2010 et aujourd’hui. En plus, ce cadrage « moral » anti-Grecs a contaminé les autres pays de l’Europe du nord, comme la Finlande ou les Pays-Bas, qui auraient pu avoir une vision plus neutre puisque leurs banques étaient moins mouillées dans l’affaire grecque en 2010. Tu as aussi raison sur le poids des calculs de Weidmann sur le coût d’un défaut grec et d’un Grexit, cela a dû peser aussi sur la décision de Merkel. A dire vrai, Schaueble prévoit un Grexit négocié, qui permettrait de récupérer encore une partie de la dette publique grecque, contrairement à un Grexit désordonné où les autres Européens perdraient toute leur mise.

  6. PS: sur la BCE, il faut noter que l’étranglement des banques grecques par l’ELA est totalement illégal, surtout depuis ses missions de superviseur bancaire et la régulation qui va avec (point 30 : « The ECB should carry out the tasks conferred on it with a view to ensuring the safety and soundness of credit institutions and the stability of the financial system of the Union as well as of individual participating Member States and the unity and integrity of the internal market, thereby ensuring also the protection of depositors and improving the functioning of the internal market. »)

    Cliquer pour accéder à 20131104ATT73792EN.pdf

    • @ clementfontan : tu as aussi raison de souligner ce point. Je crois qu’un économiste (Xavier Timbault de l’OFCE sur France-Inter la semaine dernière?) a aussi rappelé la nature constitutionnelle du droit à la monnaie que devrait garantir la BCE à tout citoyen européen, y compris un Grec fort fainéant et sans doute retraité à 40 ans comme le croient certains. C’est clair que la BCE a fonctionné dans cette crise comme un bras armé des États créanciers sans jamais respecter ses propres statuts de banque fédérale des citoyens de l’UE.

  7. PS 2. D’autant plus que comme la BCE avait déclaré les banques grecques solvables dans son Asset Quality Review l’an dernier et qu’elle resserre l’ELA, soit ses stress tests étaient tout pourris, soit elle prive effectivement de liquidités des banques solvables (mais confrontées à une crise de liquidité) ce qui révèle le caractère politique de sa décision ( = dégommer Syriza).

    • @ clementfontan : si j’ai bien compris, les deux hypothèses sont vraies : les banques grecques sont pleines de créances irrécouvrables et la BCE n’avait pas envie de voir l’expérience Syriza s’éterniser.

  8. Voir Nigel Farage expliquer l’euro et la nouvelle hégémonie Allemande! https://youtu.be/PbCjx38f_xM

  9. Et si on faisait pour une fois l’hypothèse que les dirigeants européens (y compris le grec) ne sont pas forcément des imbéciles ?
    Que le compromis produit le 12 juillet soit une mauvaise solution est une évidence, mais si cette solution a été choisie, c’est probablement que les autres solutions disponibles étaient bien pires !
    Si Tsipras s’est renié aussi vite après avoir gagné largement son référendum c’est que d’une part tous les sondages montraient que une grande part dles grecs, y compris la majorité de ceux qui ont voté non, veulent rester dans l’euro, et d’autre part que la fermeture des banques a été l’occasion de voir à quel point le Grexit serait catastrophique, au moins pendant 2 ou 3 ans
    Et si les allemands et autre durs ont des exigences de contrôle qui mettent la Grèce sous surveillance très rapprochée, c’est aussi que pour eux le respect des règles communes et des engagements pris fait partie de la démocratie
    Sinon, l’origine de la crise Grecque ne me parait ni bancaire ni fiscale, mais purement inflationniste : dans une union monétaire, on ne peut pas durablement avoir une inflation 20% supérieure à la moyenne des autres et un salaire minimum qui augmente de 30 % de plus que les autres. Les difficultés économiques ne sont que des conséquences de cette dérive inflationniste

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