Et nous voilà en guerre, parait-il.

Suite aux attentats du vendredi 13 novembre 2015, la France, agressée, serait entrée en guerre contre le terrorisme (djihadiste), voilà le récit qui a envahi les médias depuis une semaine. Il  a reçu le saut de l’officialité à travers le discours de François Hollande devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles ce lundi. Les deux Chambres se sont empressés de voter dans la foulée une loi étendant l’état d’urgence pour trois mois, et on votera sous peu une rallonge budgétaire pour faire face aux premières dépenses de cette guerre dans le budget 2016 du pays.

J’ai pourtant comme une difficulté avec cette prétendue césure. Sauf à ne rien vouloir entendre des discours les plus officiels des autorités françaises depuis au moins 2001 et à tenir pour rien par exemple l’engagement de l’armée française en Afghanistan et plus récemment au Mali, il me parait totalement illusoire de voir dans ce vendredi 13 une entrée en guerre. L’armée française mène depuis un moment déjà des « Opex »(opérations extérieures), qui visent tout de même assez souvent par l’usage raisonné de la coercition armée des adversaires se référant d’une manière ou d’une autre à l’islamisme radical. Qu’une des branches de cet islamisme radical, désormais protéiforme, celle de Daesh, ait réussi à frapper des civils jusqu’au cœur de Paris constitue certes un très grave échec pour nos capacités de renseignement, mais il ne faut pas en faire en soi un début. Ce n’est dans le fond que le énième épisode d’un très long conflit.

Par contre, ce qui me parait faire césure, c’est le glissement de F. Hollande sur des positions de droite, voire d’extrême droite, à cette occasion.

La droite et encore plus l’extrême droite critiquaient la mauvaise querelle avec la Russie de Vladimir Poutine qui empêchait d’impliquer plus avant cette dernière dans le règlement de la question syrienne. Du jour au lendemain, droite et extrême droite reçurent satisfaction. Nous allions désormais bombarder Daesh de concert avec nos amis russes. Les chefs d’état-major français et russe se parlent  officiellement de nouveau. Si on le pouvait, on leur rendrait leurs navires Mistral avec nos plus plates excuses.

La droite et l’extrême droite s’en prenaient, plus ou moins fortement certes, à l’espace de libre circulation Schengen. On se rappellera qu’il s’agissait d’un des thèmes de la campagne de N. Sarkozy en 2012 avec sa promesse de « renégocier Schengen ». Le FN ne cesse d’appeler au rétablissement des frontières. Au lendemain des attentats, voici nos bons socialistes europhiles qui exigent de leurs partenaires européens et de la Commission européenne une réforme en urgence de l’espace Schengen, dans un sens bien sûr restrictif.

La droite et l’extrême droite font de la sécurité leur fond de commerce depuis au moins les années 1970. Comme l’a montré le discours de F. Hollande devant le Congrès, tout comme la discussion sur la loi prolongeant l’état d’urgence pour trois mois, seul l’aspect sécuritaire semble devenu  prioritaire pour l’exécutif socialiste et sa majorité parlementaire. Il est même officiellement question de réviser la Constitution pour permettre un meilleur état d’urgence que celui permis par la loi ordinaire de 1955. Ironiquement, le dixième anniversaire des émeutes de 2005 avait pourtant donné lieu quelques jours auparavant à un début de réflexion dans l’opinion publique sur la faible prise en compte des difficultés sociales, économiques et territoriales qui étaient apparues alors. Avec F. Hollande en ce mois de novembre 2015, toute réflexion sur l’arrière-plan social, économique et territorial des événements semble perdue de vue – au moins quand il s’adresse solennellement aux députés et sénateurs. Pourtant, cela saute aux yeux : les victimes  à en juger par les courtes biographies qu’ont rassemblées les médias font tous partie de la France intégrée dans sa vaste diversité, et leurs assassins de tout le contraire, toujours d’après les éléments rassemblés par les médias. C’est vraiment le lumpen-prolétariat de notre temps. On aurait pu attendre d’un Président socialiste un minimum de prise en cause de cet aspect social, économique et territorial. Cela viendra peut-être plus tard, mais le contraste sur ce point avec les réactions suite aux attentats du mois de janvier 2015, qui avaient donné lieu à une réflexion sur les tâches de l’éducation nationale par exemple, n’est guère encourageant.

Enfin, il y a cette reprise d’une proposition de l’extrême droite qui vise à priver de leur nationalité française les condamnés pour terrorisme. Certes, pour F. Hollande, restant légaliste sur ce point, il ne saurait être question de faire ainsi des apatrides, ce que le droit international interdit, puisque cette mesure ne viserait que les condamnés ayant la possibilité de se prévaloir d’une autre nationalité (par naissance). L’efficacité dissuasive de la mesure pour contrer les velléités djihadistes de certains me parait vraiment nulle. L’aspect démagogique de la proposition saute aux yeux: d’après un sondage, c’est une mesure qui serait soutenue par une immense majorité des sondés (plus de 90%). Elle me parait toutefois particulièrement liée à une pensée typique de l’extrême droite. En effet, ce n’est pas tant qu’elle créerait deux catégories de Français comme le disent les critiques (de gauche d’avant le 13 novembre), mais qu’elle implique l’idée que le mal s’explique par le fait de ne pas être français. Un vrai Français ne peut commettre un tel mal, donc il s’agit en fait d’un étranger. Ce genre de pensée coupe court à toute réflexion un peu approfondie sur les parcours qui mènent au djihadisme certaines personnes indéniablement socialisées sur le territoire français depuis leur naissance. L’hégémonie culturelle de la droite et de l’extrême droite parait ainsi validée : il n’est même pas question de s’autoriser à comprendre pourquoi quelqu’un socialisé en France devient djihadiste, c’est simplement un faux Français. L’étranger est mauvais, le Français est bon. Comme cela, le monde devient plus simple, c’est sûr.

Probablement, vu son état préalable de faiblesse dans l’opinion (juste avant les attentats sa popularité baissait encore), F. Hollande n’a pas entrevu – au moins à très court terme – d’autre choix que de s’aligner sur les positions de la droite et de l’extrême droite. A relire son discours devant le Congrès, je me demande d’ailleurs encore quelle phrase n’aurait pas pu être prononcée par un Sarkozy en de semblables circonstances. La folie qui sembla s’emparer de la droite parlementaire au lendemain de son discours au Congrès tient d’ailleurs sans doute à l’irritation de celle-ci face à l’immense plagiat qu’avait opéré la veille F. Hollande à son détriment. Il reste que ce plagiat revient tout de même à dire, y compris à l’extrême droite : vous aviez raison sur des nombreux points.

De fait, lorsqu’un Président socialiste commence à reprendre dans un discours devant le Congrès au moins une proposition qui fut l’apanage de l’extrême droite – celle sur la déchéance de nationalité des condamnés pour terrorisme -, il ne peut que légitimer cette extrême droite, qu’il prétend par ailleurs combattre. Cela va quand même être compliqué de mobiliser l’électeur aux régionales pour faire barrage à l’extrême droite, dont on reprend certaines idées clé.

Bref, nous sommes en guerre, pardon en « Opex », cela n’est malheureusement pas nouveau, mais  l’extrême droite ne l’est plus tant que cela, extrême, et cela c’est nouveau. Vraiment une très mauvaise semaine.

Ps. Peu après avoir écrit ces lignes, j’ai eu confirmation de mon impression : Marine Le Pen elle-même reconnait que les mesures prises et annoncées ressemblent fort à ses propres idées. Et quelques députés socialistes, selon le Monde, s’interrogeraient tout de même…

16 réponses à “Et nous voilà en guerre, parait-il.

  1. Merci pour cet excellent article. Ne croyez-vous pas que nous amorçons un autre virage, celui du passage de la République à la Dictature? Et dans ce cas, les attentats ne seraient-ils pas une sorte de divine surprise pour un pouvoir qui n’attendait qu’un chose, qu’un événement se produise pour pouvoir franchir le pas? Etranges ces attentats, comme ceux de Londres qui avaient exactement coïncidé en temps et lieux avec des essais commandés à la société Visor Consultant dont le gérant, Peter Power, avait publiquement exprimé sa surprise. Voici les deux interventions de ce monsieur à l’époque : Live ITV Peter Power https://www.youtube.com/watch?v=JKvkhe3rqtc et sur la BBC https://www.youtube.com/watch?v=sEbUQiYOGjU
    Lors des attentats de Paris on assiste à une autre coïncidence qui fait que cette fois, c’est le professseur Pierre Carli, médecin chef du Samu de Paris, qui « n’en revient pas ».
    http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaques-du-13-novembre-a-paris/attentats-de-paris-le-samu-avait-organise-une-repetition-generale-vendredi-matin_1177061.html
    Comme vous dites « vraiment une très mauvaise semaine »
    En espérant que personne ne nous concoctera un 10 juillet 40.
    Cordialement
    brunoadrie.wordpress.com

    • @ Bruno Adrie : merci de votre appréciation.
      En fait, les coïncidences que vous citez correspondent au fait que, vu la conjoncture des relations de la France avec le djihadisme, il était complètement logique de s’attendre à un moment ou à un autre à un attentat. L’ancien juge Trévidic s’était inquiété à plusieurs reprises. Les institutions du coup (comme les pompiers ou le Samu) se préparent au pire. Il y a quelque temps, il y a eu un grand exercice à Lyon sur un attentat multiple dans le métro pour tester les réactions des différents services de secours. De fait, à force d’expérience, les scénarios d’attentats ne sont pas difficiles à imaginer, c’est juste qu’il faut avoir le bon renseignement au bon moment pour les contrer. Ou alors il faut mettre tout le monde en prison, nous compris, pour parer à toute éventualité. Comme disait un commentateur chinois, voilà où mène l’abus de libertés…

      • Merci pour votre point de vue fouillé et nuancé. Je reste tout de même très méfiant concernant les vues potentiellement « fascisantes » de notre oligarchie. Les travaux d’Annie Lacroix-Riz à ce sujet (pour les années 20 et 30) ne laisse pas planer le doute concernant leur goût pour l’autoritarisme. Evidemment, il ne faut rien affirmer dans le vide et nos opinions doivent être celles des faits.

  2. A reblogué ceci sur Bruno Adrie, mon blog d'auteuret a ajouté:
    Un article de Christophe Bouillaud sur la dérive extrême-droitiste du gouvernement suite aux attentats du 13 novembre. Christophe Bouillaud est professeur agrégé de science politique à l’Institut d’Études politiques de Grenoble depuis 1999, agrégé de sciences sociales (1988), ancien élève de l’Ecole normale supérieure (rue d’Ulm).

  3. J’ai reblogué votre article en reprenant la présentation que vous donnez de votre parcours dans « à propos ».

  4. Pingback: Et nous voilà en guerre, parait-il. | Ar...

  5. Je te trouve dur quand tu dis « On aurait pu attendre d’un Président socialiste un minimum de prise en cause de cet aspect social, économique et territorial ». En fait, un membre central du gouvernement indique la responsabilité de la France dans ces attentats. C’est Manu M, notre chouchou. Il souligne que si on adoptait ses lois de flexibilisation du marché du travail, on aurait une société plus ouverte et moins de terroristes. Oui,oui. Je lui donne la palme de l’indécence http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2015/11/22/emmanuel-macron-la-france-a-une-part-de-responsabilite-dans-le-terreau-du-djihadisme_4815087_4809495.html

    • @clement fontan : en fait, c’est tout de même significatif d’un état des lieux de l’opinion publique que le seul membre du gouvernement qui se soit autorisé une remarque à caractère sociologique sur les causes lointaines des atttentats (allusion à la « société de défiance » théorisée par les économistes Yann Algan et Pierre Cahuc) ne soit autre que le ministre perçu comme le plus à droite, Emmanuel Macron, et qu’il le fasse devant un public choisi et ultra-confidentiel de vieux hauts fonctionnaires de gauche (« les Gracques ») Il pousse logiquement – ou de manière indécente vu les circonstances – son agenda de réformes néo-libérales, mais au moins il rappelle que l’état général du marché du travail joue aussi un rôle dans ces événements. Les solutions qu’il préconise (précariat pour tous) ne feraient qu’accentuer la source lointaine du terrorisme, mais au moins il envisage qu’il existe un lien entre la condition sociale des personnes et leur choix de s’engager dans des entreprises délictueuses, jusqu’au terrorisme pour certains.

  6. Une autre interprétation est au contraire que F. Hollande a très bien joué. D’une part, il se redonne une belle légitimité en devenant officiellement chef de guerre (au passage, sans demander au parlement de voter une déclaration de guerre, ce qui impliquerait de reconnaître le statut de belligérant à l’Etat islamique), d’autre part il assèche l’extrême-droite, dont on voit bien qu’elle est complètement à la ramasse. Bien sûr, il ne va pas récupérer tous les électeurs FN, mais il va au moins leur enlever une raison de se rendre aux urnes (en gros : puisque le président va dans le bon sens, à quoi bon voter pour un FN qui, de toute façon, nous fait quand même un peu peur ?). Et puis, un FN fort est surtout un problème pour la droite. D’après mes échos sur le terrain, les socialistes disent en off : tout ça nous profite, à nous et au FN. On voit d’ailleurs que la droite a quasiment disparu des radars. Donc, sur le strict plan de la gestion politique, Hollande vient de donner une grande leçon. En plus, en se situant sur le terrain sécuritaire et militaire, il évite soigneusement d’aborder les questions de l’islam et de la laïcité, ce qui lui permet à la fois d’éviter de taper sur ses électeurs musulmans et de diviser son électorat traditionnel. Bref, du grand art.

    • @ vince 38 : en tout cas, à en juger par les sondages de popularité, tu as raison. F. Hollande ressort des tréfonds de l’impopularité. Par contre, à plus longue échéance, je reste de l’avis que cela bénéficie au FN: son personnel politique n’est certes pas plus légitime, mais les politiques publiques qu’il préconise le sont, puisque le gouvernement socialiste les applique, au moins partiellement. Cela aura un effet, et finira par rendre impossible le discours de diabolisation/exclusion du FN. Et puis après tout, qui pose des bombes? qui tue? sûrement pas le FN et ses militants.
      Sur l’évitement de la question de l’Islam et de la laïcité, on pourrait dire aussi que les djihadistes ont résolu la question. En tuant indifféremment tout le monde, en particulier aux terrasses des café, ils rapprochent aussi les gens. Laïcs ou pas, français ou étranger, tout le monde est victime.

  7. La réaction des Français m’a fait penser à la réaction des Américains lors du 11/09.
    « Mais pourquoi on nous déteste? » se demandait Mme Scavo (cf. Desperate Housewives) avec une candeur désarmante.
    « A cause d’un excès de gentillesse Madame ». Forcément.

    Allez, remplacez Mme Scavo par Mme Michu et que le spectacle continue…

    PS: Ceci dit, je vais pas pleurer sur les fous d’Allah non plus, prolos ou pas. Tout ceci est juste un mauvais film (ou trop intello) sans personnage sympa.

    • @MonPesudo : oui c’est assez similaire en effet, avec la circonstance aggravante que nous avons déjà vu ce que cela avait donné avec les États-Unis depuis 2001.
      Et bien sûr, je n’ai moi-même aucune sympathie c’est peu dire pour les assassins fanatisés par un Islam de pacotille.

  8. Je m’inquiète qu’un billet de blog aussi critique ne te vaille un fichage « S » et une visite de quelques individus casqués à l’heure du laitier…
    Plus sérieusement, ce qui m’a frappé est la façon dont la rhétorique de guerre a emporté le sang-froid de beaucoup de représentants de gauche, d’après les comptes-rendus que j’ai pu lire sur l’ambiance à l’AN et au Sénat (des phrases du genre « il nous faut notre Stalingrad », « il faut les massacrer », « pas de juridisme » ne sont tout de même pas anodines). Plus personne parmi les élites n’a connu une « bonne guerre », ce qui est heureux mais expose aussi au risque de surréaction.
    Je vois aussi une contradiction entre la nouveauté de la menace invoquée (le mode opératoire a changé, les individus potentiellement dangereux sont bien plus nombreux qu’auparavant) et la continuité des réponses apportées (extension de l’arsenal législatif antiterroriste, un peu plus de bombardements aériens sans remise à plat des alliances douteuses consolidées par notre belle diplomatie économique…).
    Quant au FN, je partage l’hypothèse du renforcement de sa légitimité. Je fais le pari que comme aux départementales, le regain de popularité de l’exécutif ne se transmettra que très partiellement aux listes PS, et que le FN atteindra à nouveau un plafond inédit à ce type de scrutin intermédiaire.

    • @ Fab Escalona : et intervenir sur ce blog, vaut aussi derechef une fiche « S »! Non mais, surtout pour les gens qui se permettent de faire de telles remarques sur le manque de sang-froid de nos députés et sénateurs.

      Sur le score du FN, on risque d’avoir rapidement la réponse… on va rire jaune…

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