Palinodie à la Castaner.

Les dernières heures ont fait apparaitre dans mon esprit chagrin le beau mot de « palinodie » à propos des revirements incessants de notre Ministre de l’Intérieur.

Je m’étais étonné qu’au début de la semaine, à la suite d’une mobilisation inédite des « classes dangereuses »  profitant de la vague d’indignation venue d’outre-Atlantique, et  sur l’impulsion de son saint patron élyséen, notre bon Ministre se décide à aborder dans une conférence de presse la question de… ce qui n’existe pas selon toutes les droites de ce pays, à savoir les « violences policières » et le « racisme » dans cette belle institution républicaine qu’est la Police nationale.

Il avait annoncé des mesures au contenu en forme d’oxymore (« soupçons avérés » qui restera) ou de jeu de bonneteau (« OK, je t’enlève l’étranglement, mais, en échange, tu gagnes un taser pour tous en open bar, content? »).

Au delà du contenu des annonces, les syndicats des premiers concernés n’ont pas apprécié cette validation de fait des thèses portées par la mobilisation des « classes dangereuses », et ils ont pris la mouche. Ils sont intervenus en masse dans les médias, et ils ont organisé quelques démonstrations symboliques, comme un dépôt de menottes complaisamment filmé. ( Copiant d’ailleurs par ce geste, le lancer de robe des avocats quelques mois auparavant.)

La semaine n’est même pas finie, que voilà notre Ministre obligé de préciser que rien ne changera vraiment. On étranglera autrement, mais on étranglera.

Le pouvoir est donc pris dans la nasse de ce que j’ai appelé dans un autre texte publié sur ce bloc la « prétorianisation ».

Depuis 2017, face aux divers mouvements sociaux qui ont mis en cause ses réformes, le pouvoir n’a eu de cesse que de s’appuyer sur la répression policière, plutôt que de reculer ou que de simplement de dialoguer vraiment avec les protestataires. Déjà, au moment des mobilisations contre la réforme des retraites, il avait suffi d’une petite journée de mobilisation aux syndicats de policiers pour que leur « corporation » soit épargnée par cette réforme, si « progressiste » par ailleurs. C’était là le prix à payer pour leur loyauté sans faille.

Maintenant, ce sont des pratiques de certains policiers qui sont mises en cause. Or la stratégie de mobilisation des principaux syndicats dans ce secteur semble bien être de nier mordicus leur existence. Au regard des résultats des élections professionnelles, ils sont suivis – ou précédés? – par l’immense majorité des policiers en poste. Du coup, fort logiquement, les syndicats de policiers, tels des prétoriens, rappellent au pouvoir ce que ce dernier leur doit, à savoir sa pérennité depuis 2018. Et ce dernier n’a d’autre choix que de céder piteusement – alors qu’il devrait, pour réaffirmer son autorité, indiquer que les syndicats de policiers sortent de leur rôle.

Et, bien sûr, au tour suivant, les « classes dangereuses » continuent de leur côté de se mobiliser, encouragés par cette première victoire symbolique, et risquent bien de se heurter lors des prochaines manifestations aux dits policiers.

Bref, le grand génie qui siège à l’Élysée, celui-là même qui considère désormais les universitaires comme coupables des divisions dans ce pays (!) , va devoir choisir, sa police ou les « classes dangereuses ». Le « en même temps » ne pourra pas durer bien longtemps. Il choisira sans doute sa police. Mais, là, il n’a en fait guère le choix.

Que la fête répressive continue!

 

 

9 réponses à “Palinodie à la Castaner.

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  2. Bonjour.
    Je vois cela sous un angle complémentaire. Mais le constat est le même. Ce gouvernement cherche à se faire aimer. Tout d’abord, se faire aimer des manifestants, en ne réprimant pas une manif interdite et en l’excusant à posteriori par l’émotion. Que chacun s’en souvienne : la prochaine fois que vous prenez une prune, invoquez l’émotion !
    Ensuite, Belloubet a cherché à se faire aimer des manifestants en demandant à rencontrer la famille Traoré. Un comble… Et puis, voyant qu’il risquait de la perdre, Castaner tourne sur l’aile et cherche à nouveau à se faire aimer de la police.

    Management : 1ère année – cours 1 : Un manager doit toujours avoir à l’esprit de se faire respecter, jamais de se faire aimer. S’il se fait respecter, il pourra agir et sera peut-être aimé, mais peut-être pas. S’il veut se faire aimer, il perdra, à coup sûr, le respect de ses collaborateurs.
    Quel honte de voir des adultes de cet âge se vautrer dans de tels errements et manquer à ce point de savoir-être.
    JDavid Gallet

    • @ Gallet : Si mes souvenirs sont exacts, Machiavel dit à peu près la même chose dans le Prince. Plus généralement, un peu de cohérence ne saurait nuire.

  3. Désolé, mais là tu te trompes. La répression policière n’est pas la même pour tous : Castaner est impitoyable avec les Gilets jaunes, mais laisse faire les Traoré et Cie, lesquels bénéficient d’une dérogation pour manifester et casser malgré l’interdiction des rassemblements. Camelia Jordana peut même appeler à prendre les armes sans que personne ne lui dise rien. Et Belloubet a sorti une énorme boulette en disant, au mépris du droit, que les manifestations sont interdites sauf si certaines précautions sont respectées (quand on pense qu’elle a été au Conseil constitutionnel, mon Dieu…).
    Quant aux universitaires, il est plutôt rassurant de voir que le président a compris que les sciences sociales sont tombées du côté obscur.

    • @ Vince 38: A mon sens, toutes les manifestations auraient dû être autorisées pendant l’état d’urgence sanitaire. Le Conseil d’État vient d’ailleurs de censurer le gouvernement sur ce point en ré autorisant de fait les manifestations extérieures de moins de 5000 participants. Pour moi, c’est le gouvernement qui a demandé trop de la part des Français pendant le confinement, contrairement à l’Allemagne où ni les manifestations ni les cultes religieux n’ont été trop entravés par la lutte contre la pandémie. D’où le n’importe quoi à la fin.

      Pour ce qui des universitaires (en général), tu sembles avoir la même lecture de la situation que notre Président. Or, d’une part, c’est là prêter une influence démesurée à certains universitaires sur un mouvement social, qui, à mon sens, se développerait aussi bien sans leurs conceptualisations, et, d’autre part, c’est là mettre dans le même sac tous les universitaires et leur attribuer les divisions dans la société française. Tu peux toi-même être visé par le Président, si,si, puisque tu as travaillé, à l’aide de sondages en particulier, sur certaines différences d’attitudes en fonction de la religion déclaré par les sondés. Tu te mets en cause toi-même! (Certes, tu n’en as pas tiré les mêmes conclusions que d’autres, mais il n’empêche que tu as divisé les Français.. par leur religion, comme des dizaines/centaines d’autres chercheurs avant toi.)

      Plus généralement, il ne faut pas confondre la mise en lumière, fort classique, d’inégalités, de discriminations, etc. avec le développement chez certains groupes extrémistes d’une idéologie de « revanche de race » si j’ose dire. Comme tout mouvement social, ce mouvement contre les discriminations liées à l’apparence raciale/ethnique possède ses extrémistes.

  4. Bonjour
    Le début de la fin de la 4ème République commence quand les agents de la préfecture de police de Paris cessent le travail.

  5. « à la suite d’une mobilisation inédite des « classes dangereuses » profitant de la vague d’indignation venue d’outre-Atlantique… »
    Mobilisation inédite des classes dangereuses? Vous osez appeler ainsi les manifestations en faveur d’un délinquant violent multi-récidiviste (17 procédures judiciaires à son palmarès!).
    J’ignorais que ce mouvement était porteur de revendications sociales pouvant inquiéter l’Oligarchie: hausse des salaires, retraites, fiscalité des plus riches, plus de démocratie, etc.
    Une fresque en l’honneur d’un voyou mort à la suite d’une interpellation mouvementée (n’ayant rien à se reprocher, il s’est pourtant enfui lors d’une tentative de contrôle qui visait son frère Bagui qui lui était recherché par la gendarmerie pour des faits qui le conduiront aux assises!).
    L’honnêteté intellectuelle oblige à constater qu’à ce jour rien ne permet de dire que les gendarmes sont les auteurs directs de son décès.
    Je sais que l’air du temps chez les progressistes est au Bisounoursisme car souvent ils vivent loin de la réalité des banlieues populaires, mais point trop n’en faut car ce déni cela ouvrira tôt ou tard un boulevard à Le Pen.

    • @ Jean Paul B : mon allusion aux « classes dangereuses » était bien sûr lié à la perception par la bourgeoisie des premières mobilisations populaires dans les années 1820-30. Vous n’aimez pas la comparaison, mais j’ai bien peur qu’au delà du cas précis sur lequel il y a eu une mobilisation et des personnalités qui organisent cette mobilisation, force est de constater que des gens, plutôt venus des banlieues, se sont mobilisés. Ce n’est pas effectivement une mobilisation pour des revendications sociales, mais c’est autre chose, visiblement de fort ressenti par ceux qui sortent ainsi dans la rue. La répression policière a fini par déclencher son contre-mouvement, et effectivement, cela n’arrange pas les affaires de la gauche, car, sur ce point, vous avez raison, cela aide Marine Le Pen & Cie à valider ses thèses auprès de ses partisans ou possibles partisans.

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