Archives de Tag: politique étrangère de l’Union européenne

« L’Europe c’est la paix » (Laurent Fabius, 5 mai 2014)

Ce matin, sur France-Inter, notre Ministre des affaires étrangères, a prononcé le mantra bien connu pour mobiliser les électeurs pour les élections européennes : « L’Europe c’est la paix », en se référant explicitement à ce qui se passait actuellement autour de la crise ukrainienne. J’ai failli en avaler mon café de travers, tellement l’invocation de cette phrase rituelle ce matin a sonné à mes oreilles comme pouvant devenir dans des temps pas trop lointains une moquerie des Dieux à notre égard, une de ces phrases que les historiens se refilent entre eux, non sans cruauté, pour illustrer l’aveuglement des contemporains face à un événement tragique en train de se produire.

En l’occurrence,  il me semble à en juger de l’information publiquement disponible pour tout le monde que l’Union européenne (UE) se trouve partie prenante au conflit avec la Russie sur l’avenir de l’Ukraine. C’est si j’ose dire officiel, puisque l’UE sanctionne la Russie (ce que ne font pas le Brésil ou l’Indonésie par exemple). Toute la politique visant à associer l’Ukraine à l’UE a été (mal) conçue de telle façon qu’elle a (inévitablement) provoqué la réaction que l’on a pu observer depuis quelques mois du pouvoir russe de V. Poutine.

Les deux seuls arguments qui me viennent à l’esprit pour justifier que l’Europe soit la paix, c’est d’une part la survie de diplomaties nationales au sein de l’UE. On dirait ainsi que l’Allemagne essaye de calmer le jeu. La diffusion hier par Bild de l’information, présentée dans ce journal populaire s’il en est au delà du Rhin comme venant des services secrets allemands selon laquelle des dizaines de conseillers issus de la CIA et du FBI aideraient le gouvernement intérimaire « pro-occidental » de Kiev à rétablir l’ordre dans le pays m’a paru comme l’un des signes qu’une partie au moins des dirigeants allemands (économiques? politiques?) essayaient de préserver la paix, puisque c’est valider ainsi les thèses russes sur l’implication directe de certains occidentaux dans l’affaire, c’est partager de fait les torts entre occidentaux et russes sur la présente situation en Ukraine. En somme, notre première chance pour  l’instant, c’est que l’UE ne soit pas complètement unie derrière les va-t-en guerre. Dans le même entretien, L. Fabius insistait lui-même sur l’usage du terme de « partenaire » pour parler de la Russie, pour bien souligner que le dialogue restait ouvert. Cela n’a pas grand chose avoir avec l’UE, mais sans doute beaucoup avec les intérêts (économiques) de la France. D’autre part, il n’y a pas en Europe que l’UE pour représenter les intérêts collectifs du continent, il y a aussi le Conseil de l’Europe, et surtout l’OCSE, cette « ONU-régionale » qui est prévue pour éviter une confrontation directe entre pays membres.  Ces deux organisations régionales constitueront peut-être un instrument pour résoudre la crise.

Espérons en tout cas ne pas finir dans un « L’Europe, c’est la paix » à la manière d’Orwell.

Notre (ex-)ami le satrape (VII)

Et voilà le Rubicon a été franchi. Contrairement à ce que je voyais se profiler la semaine dernière au fil des journées et des heures à mesure que les forces fidèles au tyran reprenaient le dessus, une réaction de la « communauté internationale » a eu lieu in extremis. Vote vendredi 18 mars 2011 d’une résolution du Conseil de sécurité, qui obtient une majorité et qui échappe à l’exercice du droit de veto d’un membre permanent. Réunion samedi dernier 19 mars à l’Élysée des différentes instances (Etats et organisations internationales) intéressées à sa mise en application. Mise en œuvre de la force aérienne dès la fin de l’après-midi du samedi. Tout ce que j’ai pu lire dans la presse européenne tend à prouver que ces bombardements ont évité la prise de Benghazi à quelques heures prés.

Sur l’interprétation à chaud de cet événement, je ne crois guère à une explication par un complot franco-anglais (surtout français en fait) pour mettre la main sur le pétrole de la Libye. Certains responsables italiens y recourent pourtant (craignant pour les concessions pétrolières de l’ENI). Dans ce genre d’explications par l’accès au pétrole (ou à des matières premières vitales), les guerres récentes (Irak 1991,  Afghanistan 2001, Irak 2003) me semblent plutôt indiquer que l’absence de conflit aurait été bien plus simple et rentable au final du point de vue de l’acheteur de ces ressources que le conflit.  Dans le cas présent,  un satrape revenu solidement au pouvoir après une insurrection écrasée à l’ancienne aurait été une bien meilleure option du point de l’acheteur de pétrole. Je ne crois guère par contre non plus à la vertu humanitaire de la « communauté internationale » des Etats. Je privilégierais plutôt comme explication une double clé de lecture :

– une erreur initiale de jugement de la part des dirigeants occidentaux, qui ont cru (sur la foi de quelles informations? est-ce simplement pour suivre l’enthousiasme médiatique sur le « Printemps arabe »? ) que le satrape allait tomber dans l’heure, et qui les a amenés à mon sens à se lier les mains en tenant des propos bien trop définitifs à son égard. C’est là souvent une stratégie typique pour impressionner un adversaire que de brûler ses vaisseaux pour montrer sa détermination. Une partie de la communauté internationale l’a fait sans bien se rendre compte qu’elle se mettait dans cette situation, croyant simplement entériner un fait déjà presque accompli et venir au secours d’une insurrection populaire sur le point d’être victorieuse.

– puis, face à la résistance des forces loyales au satrape, et à leur contre-offensive, une décision de certains (la France, la Grande-Bretagne, puis les Etats-Unis) de ne pas perdre la face en laissant celui qu’on donnait pour perdu reprendre tout son bien vite fait bien fait.

Maintenant, la mise a été doublée : soit le satrape tombe, et les pays en pointe dans l’action militaire, comme la France, en profitent pour réaffirmer leur prestige international; soit le satrape réussit à manœuvrer encore, à jouer des divisions de la « communauté internationale », etc., et cela peut finir comme l’expédition de Suez en 1956 par une perte de statut des plus offensifs parmi les ex-amis du satrape.

Quant à l’Union européenne, on peut avoir deux visions de sa situation. Le première classique serait de souligner que la politique étrangère de l’Union européenne est bel et bien morte dans les sables libyens il y a quelques jours, et qu’elle n’est décidément qu’un spectre (voir les propos de Daniel Vernet). Il y a toujours 27 politiques étrangères dans l’Union européenne, malgré les institutions (Traité de Lisbonne) et les propos unitaires de façade (déclarations des sommets européens). Il n’y a pas non plus de capacités militaires propres de l’UE pour appuyer la dite politique étrangère de l’UE. Pourquoi d’ailleurs en discuter encore? A cette version classique, on peut opposer la version inverse qui voudrait que, dans le fond, grâce à ses divisions entre Etats membres sur tous les grands sujets, l’UE ne met jamais tous ces œufs dans  le même panier. En 2003, pour la guerre d’Irak, une fracture nette était apparue entre « Vieille Europe » et « Nouvelle Europe »; le fil des événements a donné raison à la « Vieille Europe ». Dans le cas présent, une ligne de fracture apparait, qu’on pourrait qualifier de  fracture entre les « Munichois » d’une part, et les « Va-t-en guerre » d’autre part. Du coup, on pourrait dire que, quoiqu’il arrive à la fin, un des deux camps européens sera gagnant : si le satrape se maintient, les poules mouillées se feront une joie de l’aider à se réintégrer dans la communauté internationale; si le satrape tombe, les téméraires ramasseront la mise. Pour que l’Union européenne soit gagnante à tous les coups, il faut et il suffit juste que une divergence en matière de politique étrangère ne déborde jamais sur les bonnes relations quotidiennes entre pays européens. C’est peut-être cela la nouveauté de l’Union européenne comme forme politique. (Il est d’ailleurs frappant qu’au même moment, où l’on diverge sur la Libye, on semble en voie de s’accorder sur les affaires économiques et monétaires.) Je ne croyais pas trop à cette seconde voie d’explication, mais je commence à avoir besoin d’y croire pour ne pas désespérer de l’Europe.

Une dernière chose : il faut noter la vitesse avec laquelle la question du coût financier de l’intervention aérienne a été évoqué dans la presse française.

Notre ami le satrape (III)

Le nouveau Ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, semble avoir décidé de frapper les esprits par une communication décidée envers les médias francophones et arabophones dès son entrée en fonction.  Du coup, au nom de la France,  il affiche désormais un  soutien appuyé aux mutations en cours dans  certains pays du monde arabe. Fort bien. Mais j’ai cru comprendre qu’il aurait annoncé lors de son rapide voyage en Égypte le soutien de la France aux autorités insurrectionnelles libyennes situées à Benghazi (Le Monde, mardi 8 mars 2011, p. 7).

Deux petites remarques : si tel est bien le cas,  comme il s’agit tout de même d’une décision importante que de prendre parti dans une telle situation où le sort des armes semble  loin d’être décidé, la politique étrangère de l’Union européenne, qu’était censé rénover le Traité de Lisbonne, se trouve bien chaotique tout de même. Chacun semble tirer à hue et à dia comme avant.  Alain Juppé fait une déclaration importante le 7 mars, et le directoire européen se réunit pour décider (ou pas) le 11 mars… A quoi sert d’avoir fait de ce Traité tout un plat? De plus, il reste des ressortissants européens dans les zones de Libye contrôlées par le régime; heureusement, que, pour l’instant, ce dernier ne traite pas  la déclaration de notre Ministre comme le point de vue général de l’Union européenne  à son égard. En tout cas, même si, comme citoyen, j’approuve pleinement cette déclaration de soutien aux insurgés, je me dis comme politiste qu’il va falloir en assumer les conséquences. Il ne faudrait pas avoir  benoîtement soutenu des gens qui vont finir dans deux jours écrasés sous les chenilles des chars de notre ami le satrape… Comme aurait dit François Mitterand en 1990, entrons-nous du coup dans une « logique de guerre »?

Deuxième remarque : à ce stade, il y a un autre ministre du gouvernement, président des amitiés franco-libyennes, qui doit se sentir un tout petit peu désavoué (euphémisme). Le Conseil des Ministres de demain devrait être amusant pour ceux qui y participeront.  Le seul grand service qu’il peut rendre désormais à la France (incarnée par Alain Juppé en matière de politique étrangère) serait d’effectuer une amicale pression sur notre (ex-)ami le satrape pour qu’il veuille bien quitter le pouvoir… , et, pour le convaincre que le climat est fort agréable au Venezuela… Il pourrait lui servir de garant et  d’accompagnateur.